samedi 4 novembre 2023

Records en Bretagne et tornade à Jersey: les dessous de la tempête Ciaran

Première grande tempête de l'année, Ciaran laissera des traces matérielles en Bretagne et Normandie, mais aussi des statistiques pour l'histoire météorologique du nord-ouest de la France. Dans cet article, nous explorons deux sujets:

  • Avec ses records, Ciaran peut-elle être considérée comme une tempête historique?
  • Comment la tornade de Jersey a-t-elle pu survenir?

 

mercredi 26 juillet 2023

Les vacances et le mauvais temps

Le propre de notre climat tempéré, c'est de connaître des variations de météo parfois très prononcées, et ce aussi en été. Si les coups de chaleur et les canicules font partie de notre histoire météorologique, les coups de fraîcheur, les épisodes pluvieux conséquents, voire les mois entiers complètement ratés en sont aussi. Le présent article passe en revue une série de périodes de temps vraiment mauvais en été.

Août 1996

C'est tout simplement le mois le plus pluvieux depuis que l'on fait des mesures à Uccle, avec 231 mm. Aucun mois, quelque soit son moment dans l'année, n'a fait mieux à ce jour! S'il pleut déjà en grande quantité tout son long, ce sont surtout les 28 et 29 août qui comportent un épisode historique, avec en quarante-huit heures:

183 mm à Hombourg (Liège)
130 mm à Ernage (Namur), La Hestre (Hainaut) et Landelies (Hainaut)
129 mm à Auvelais (Namur)
128 mm à Blanmont (Brabant wallon) et à Mornimont (Namur)
121 mm à Marbais (Brabant wallon)
113 mm à Uccle (Bruxelles)

Il s'en suit des crues de nombreux cours d'eau, à la base de dégâts. Seule la Lorraine belge échappe au déluge. Cet événement est lié à une dépression qui vient se coincer sur les Pays-Bas, avec son occlusion bloquée sur nos régions. Le vent est également notable compte tenu du gradient de pression resserré, avec 108 km/h à Middelkerke et 90 km/h à Gosselies. Durant ces deux jours, les maximales dans la plupart des stations ne dépassent pas 13 à 15°C. Un véritable coup de vent diluvien (non-)estival!

Juillet 2000

Il fait encore office, aujourd'hui, d'archétype de tout ce que la météo peut nous offrir de pourri en été. Et pourtant... ce mois commence bien: de 20 à 25°C jusqu'au 6, date à laquelle des orages éclatent. Mais dès le lendemain, c'est la débandade: de l'air polaire maritime s'infiltre sur le pays. Sous un temps sombre et bruineux, Uccle enregistre une maximale de 14,3°C. Inutile de dire que c'est incroyablement frais pour un début juillet. A la suite, ce sont dix jours d'affilée pendant lesquels le mercure ne dépasse jamais les 20°C!

Le 11 juillet est extraordinairement froid. Le soleil ne se montre pas de la journée, il pleut en continu, et le thermomètre à Uccle ne dépasse pas 13,4°C. Le lendemain, c'est à peine mieux: 16,8°C grâce à quelques éclaircies. En altitude, les températures à 500 hPa (vers 5,5 km d'altitude) sont proches des records de froid connus à cette date avec -24°C.

Du 18 au 31 juillet, les températures ne passèrent que huit fois la barre des 20°C, sans jamais atteindre 25.

Au final, avec une moyenne de 15,3°C à Uccle, c'est un déficit thermique qualifié d'exceptionnel qui est acté. La moyenne 1980-2010 de juillet est en effet de 18,4°C... L'ensoleillement est exceptionnellement mauvais, à des niveaux records, avec seulement 93h05 et la pluviométrie est très élevée avec 133 mm au total. Entre le 5 et le 18, il a pratiquement plu tous les jours.

La carte du 11 juillet 2000 est assez symptômatique des coups de fraîcheur de ce mois de juillet pourri: des dépressions dans nos parages, un anticyclone sur l'Atlantique, et entre les deux, un toboggan d'air maritime polaire venu du nord ou du nord-ouest selon le placement des centres d'action tout au long de ce mois (source: Meteociel).

Eté (août) 2002

Il est marqué par de régulières abondantes précipitations orageuses qui donnent un cumul de 341 mm à Uccle sur l'été climatologique (juin, juillet août). Il s'agit alors du cinquième été le plus pluvieux depuis 1833, détrôné depuis par 2014. Le mois d'août voit tomber 172 mm de précipitations à Uccle.

Août 2006

Ce mois exceptionnellement pluvieux, sombre et orageux succède à un mois de juillet 2006 caniculaire. Le pluviomètre de Uccle récolte 202 mm de précipitations sur tout le mois, ce qui est exceptionnellement élevé. L'ensoleillement, très exceptionnellement déficitaire, établit un nouveau record pour août avec seulement 97 heures de soleil toujours à Uccle. Aucune fois la température n'atteint 25°C. Les orages et les averses diluviennes sont légion tout au long du mois.

Du 11 au 14 août, averses et orages sont dopés par un air extrêmement froid en altitude pour la saison: on note -21°C à 5,5 km d'altitude. Le 13 août, un violent orage sur la côte foudroye une personne sur la plage de Blankenberge et provoque de multiples inondations et dégâts. Le 17, c'est un autre et spectaculaire orage de grêle qui laisse la plage de Zeebrugge sous un tapis de grêlons.

La dernière décade est encore pire. Le 21, dans une atmosphère chaotique marquée par de nombreuses averses orageuses, une tornade se produit près de Huy. Le 24, c'est le déluge par endroits, avec 67 mm de pluie en vingt-quatre heures à Nadrin (province de Luxembourg). Le 29 août, c'est une autre tornade d'assez forte intensité qui est observée dans la région de Tubize. Pourtant, il ne fait que 17°C au sol, mais avec la présence d'un air à 3°C à 1,5 km d'altitude, autant dire que l'atmosphère est bien instable dans les basses couches.

Pour avoir une idée de cette météo peu glorieuse, on pourra consulter l'article de Météo Belgique au sujet de l'été 2006: https://www.meteobelgique.be/article/articles-et-dossier/le-climat/81-climats-dhier-et-daujourdhui/1663-ete-2006.html

 Quelques éclaircies au-dessus de la région de Charleroi l'après-midi du 28 août, chose peu vue au cours de ce mois. Toutefois, les cumulonimbus et les mammatus menaçants rappellent que le grabuge n'est jamais bien loin... Copie d'une photo prise à l'époque (auteur: Le Chroniqueur météo).

Août 2010

C'est un mois qui ressemble à celui d'août 1996: pluvieux de tout son long (187 mm à Uccle, le triple de la normale) et couplé à un ensoleillement médiocre, mais avec un épisode remarquable, sinon exceptionnel, en son sein. Du 15 au 17 août, une dépression se coince entre Pays-Bas et Allemagne, bloquant son front occlus sur nos régions. Il tombe 104 mm de pluie à Uccle sur ces trois jours, 107 mm à Floriffoux en province de Namur et à la Plate Taille en province de Hainaut, mais aussi plus de 100 mm en Champagne-Ardennes en deux jours!

Juillet 2011

Juillet 2011 a laissé un mauvais souvenir aux vacanciers. Très changeante, la météo a cependant davantage tiré vers le mauvais. La moyenne thermique du mois, 16,0°C, est de 2,4°C inférieure à la normale 1980-2010. Ce n'est pas aussi mauvais que juillet 2000, mais on n'en est pas si loin. L'ensoleillement, en déficit d'une soixantaine d'heures, est signe d'un ciel souvent gris et régulièrement accompagné de pluie légère. Il est ainsi assez étonnant de constater que le total pluviométrique du mois est inférieur à la normale, par contre le nombre de jours de pluie est supérieur à la moyenne. En clair, il pleuvait souvent, mais faiblement en général.

L'illustration jointe montre les relevés à Uccle, jour après jour. On remarque que le 5 juillet est le seul jour au cours duquel la température dépasse 25°C. Normalement, le mercure est censé le faire 9 fois au cours d'un mois de juillet classique. On note aussi que jusqu'au 12 juillet, les températures étaient généralement proches de la normale ou légèrement inférieures. La chute commence le 13. Ce jour, sous un ciel uniformément gris et une pluie continue, la maximale ne dépasse pas 15,4°C à Uccle. Et par endroits dans le pays, il fait encore plus froid: seulement 13,7°C à Gosselies et 13,6°C à Bierset!

Le 14 est encore plus froid: 14,3°C à Uccle, 13,7°C à Gosselies et 13,4°C à Bierset. A l'aérodrome de Spa, il ne fait pas plus de 10,7°C. A nouveau, le temps est couvert une bonne partie de la journée, avec de la bruine ou de la pluie faible. Le lendemain, les maximales sont de saison (22-25°C) sous de belles éclaircies. Le yoyo se poursuivra tout le reste du mois, avec un 30 juillet à nouveau particulièrement frais et humide.

Enfin, la pression moyenne, 1013 hPa et exceptionnellement basse, donne un indicateur sur l'état de l'atmosphère. Tout au long de ce mois, nous n'avons jamais été bien loin des dépressions et autres perturbations.

L'été 2011 est par ailleurs dans son ensemble fort pluvieux, avec 317 mm de précipitations cumulées à Uccle. Le seul mois d'août, moins frais que juillet mais pas franchement estival, en compte à lui seul 189 mm.

Source: Ogimet.

Août 2014

Lui non plus n'a pas laissé un souvenir impérissable. Avec un déficit de 1,8°C par rapport à la moyenne normale (période de référence: 1980-2010), il est considéré comme très anormalement frais. Ce sont surtout les maximales, bien trop basses, qui entraînent ce déficit. D'ailleurs, si l'on prend la moyenne des températures maximales de ce mois d'août, elle est considérée comme très exceptionnellement basse, la plus froide depuis trente ans. Vu que les températures les plus élevées d'une journée d'été sont généralement mesurées dans l'après-midi, on comprendra le goût particulièrement amer que laisse ce mois d'août 2014 à la population.

Outre cela, l'ensoleillement est à la cave: le ciel est souvent gris, menant à une insolation anormalement déficitaire. Les précipitations sont anormalement excédentaires, en quantité et en nombre de jours.

Le 1er août fut le seul jour d'été avec une maximale de 26,2°C à Uccle. La suite fut une succession de perturbations régulièrement orageuses: les 3, 8 et 10 août notamment furent marqués par des orages parfois très actifs. 

Ce qui frappe aussi, c'est le nombre de tornades observées dans notre pays pendant ce mois. Le 8, on en signale trois: à Jalhay (modérée), à Glimes-Jauchelette (modérée) et à Manhay (particulièrement forte, avec de nombreux dégâts à la clé). Le 10, deux tornades frappent la région de Charleroi, une à Gozée et l'autre, particulièrement esthétique, entre Fleurus et Sombreffe. Deux autres sont suspectées à Marbay (province du Luxembourg) et à Warêt-l'Evêque (province de Liège). D'autres tourbillons de moindre intensité se produiront le reste du mois.

Côté ciel, ce fut loin d'être glorieux. Les 13 et 14, on observe de fortes précipitations sur certaines régions, et avec un temps parfois très frais. Pendant 13 jours, du 14 au 26, la température ne dépasse jamais les 20°C à Uccle, ce qui est absolument exceptionnel. De même, du 14 au 31, de la pluie est observée tous les jours... Les 25 et 26 août, il tombera en 48 heures 80 mm de pluie à Chièvres, 73 mm à Bierset et 64 mm à Beauvechain.

L'été 2014, avec 348 mm de précipitations cumulées à Uccle, se classe à la cinquième place des étés climatologiques les plus pluvieux depuis 1833.

Coucher de soleil sur la Flandre française dans un ciel fort nuageux le 28 août, en guise de synthèse de ce mois absolument pas estival (auteur: Le Chroniqueur météo).

Juillet et août 2016 

A deux reprises, les vacances 2016 nous ont offert deux périodes fraîches, pour ne pas dire froides au vu des records de température maximale basse enregistrés notamment en août. Le 10 août est déjà fort frais: 15,1°C à Uccle, 16,6°C à Gosselies, 14,9°C à Humain... Mais c'est le lendemain, le 11, que les records tombent: 14,6°C à Uccle en maximale, c'est du jamais vu sur les cent dernières années. Ailleurs, on note 14,7°C à Gosselies et 15,4°C à Bierset, le tout sous un ciel complètement couvert et donnant de temps à autre de la pluie. Pour la petite histoire, deux semaines plus tard, ce seront des records de chaleur qui tomberont... Faisant au final finir août dans la normale d'un point de vue thermique.

Maximales du 11 août 2016: seul l'ouest du pays échappe à la fraîcheur record qui concerne le centre et l'est (source: Infoclimat).

Juillet et surtout août 2021

Après plusieurs années marquées par des étés chauds, 2021 ne présente aucune vague de chaleur officielle. Mieux encore, aucun jour de chaleur (> 30°C) n'est observé à Uccle, ce qui tranche singulièrement avec les étés précédents. Juillet est marqué par des inondations dramatiques en Wallonie et en Allemagne au milieu du mois de juillet, mais c'est surtout août qui passe pour particulièrement maussade. L'été 2021 est par ailleurs et de loin le plus pluvieux depuis que l'on fait des mesures de pluviométrie à Uccle.

Côté thermique, si juillet avait été relativement proche des normes, août 2021 fait montre d'un déficit anormal de 1,5°C, tandis que l'ensoleillement est lui aussi déficitaire d'une bonne cinquantaine d'heures. A ce jour (2023), août 2021 est le dernier mois "pourri" de la période des grandes vacances, bien qu'il fasse pâle figure par rapport à des mois d'été vraiment mauvais comme août 2014 ou juillet 2011.

Plus loin dans le temps...

Quand on remonte les années, on trouve à la charnière entre les années septante et quatre-vingt une série d'étés absolument désastreux.

Juin-juillet 1980

C'est le déluge au coeur d'un été répugnant. Du 20 juin au 21 juillet, il tombe 241 mm de pluie à Uccle, pratiquement le tiers de ce qui tombe en moyenne sur une année entière! Sur une période de trente jours, c'est d'ailleurs le record d'abondance de précipitations du 20ème siècle. Certains cours d'eau entrent en crue, mais c'est véritablement le 21 juillet que ces inondations prennent une ampleur démesurée. Les 19 et 20 juillet, la quarantaine de millimètres de pluie tombée sur des sols qui dégorgent déjà est la responsable de ces crues. 

La carte du 20 juillet 1980 jointe à ce billet montre des bas géopotentiels (en vert-bleu) entretenant des dépressions britanniques très actives, poussées par un flux d'ouest rapide. Quand ce flux s'interrompt, c'est pour isoler des gouttes froides sur nos régions, ces dépressions fermées et qui ne se déplacent que lentement. Dépression britannique ou goutte froide, le résultat est le même: une succession de perturbations génératrices de pluies abondantes! 

A noter que l'été 1980 est le quatrième d'une série de hautes saisons médiocres, voire franchement pourries. Il est d'ailleurs à ce jour le dernier vrai été complètement mauvais, aucune saison estivale n'ayant été mauvaise de bout en bout depuis lors (seulement un mois, un mois et demi au maximum).
 
Source: Meteociel

Eté 1992

C'est tout simplement l'été le plus pluvieux jamais enregistré en Belgique depuis le début des mesures en 1833, avec 365 mm de pluie cumulée sur les mois de juin, juillet et août.


Voir aussi: https://lechroniqueurmeteo.blogspot.com/2014/09/anthologie-de-la-desinformation.html

Chroniques d'un mauvais mois d'août (2014)

samedi 11 mars 2023

"Qui pourrait imaginer que nous sommes à quelques jours du printemps..." - L'extraordinaire épisode neigeux de mars 2013

" Qui pourrait imaginer que nous sommes à quelques jours du printemps... "

Cette phrase mi-sarcastique mi-fataliste, c'est David Pujadas qui la prononce à l'ouverture du 20h00 de France 2 du 12 mars 2013, journée qui vient d'entrer avec fracas dans l'histoire météorologique française, mais aussi belge. Le nord de l'Europe grelotte, plongé dans un véritable blizzard - et cette fois, le mot n'est pas usurpé - alors qu'au sud, le printemps chante déjà gaiement.

Le sentiment qui prévaut alors que le printemps climatologique est commencé (même dans une partie de la communauté météo), c'est une forme de fatigue, de lassitude générée par un hiver qui n'en finit pas. Ce fut aussi le cas pour l'auteur de ces lignes, Belge, pourtant pas indifférent à un bon plâtrage et à un froid autre que l'habituelle humidité désagréable de la moyenne climatologique saisonnière.

Parce que l'hiver 2012-2013, en tout cas en Belgique, il a commencé dès début décembre, et hormis quelques rares intermèdes doux (dont un plus long aux alentours de Noël - on ne change pas les "traditions"...), il se maintient dans une constante froide et neigeuse passé le Nouvel An. 

En effet, si décembre fut normal, janvier et février ont été tous les deux sous les normes thermiques de l'époque, notamment le second, considéré comme anormalement froid. Au niveau statistique, la neige ne fut pas en reste non plus. 13 jours de présence à Uccle (siège de l'IRM à Bruxelles) en janvier (normale: 4,2) et 11 en février (normale: 5,2).

Le campus du Sart Tilman, sur les hauteurs de Liège (Belgique) le 8 février, photo du Chroniqueur. Un paysage presque devenu banal en cet hiver 2012-2013...

Durant les premiers jours de mars pourtant, la situation change du tout au tout: de l'air chaud atteint la Belgique, et amène les premières belles journées de l'année 2013. Le 6 mars est le plus chaud depuis le début des observations à Bruxelles en 1833: on relève 19,5°C comme température maximale dans l'après-midi. Cette douceur se poursuit les jours suivants dans un contexte plus humide. Le printemps semble s'être installé définitivement. 

C'est cependant à croire que la météo ne connaît pas la pitié cet hiver... Alors que la population profite du beau temps, les modèles ont déjà bien en vue la seconde quinzaine de mars. Plus au nord, l'air sibérien commence une nouvelle fois à bousculer l'air doux. Un important conflit marqué par un front très organisé se dessine alors...

La nuit du 9 au 10 mars, ce front descendant du nord arrive en Belgique, poussé par l'air continental polaire. Les températures s'effondrent d'une dizaine de degrés en quelques heures, et la pluie qui avait commencé à tomber en soirée est rapidement remplacée par de la neige au-dessus de 150 mètres. Quelques centimètres se déposent au passage de la perturbation. Une avant-garde...

Le 11 mars, le front s'arrête sur le nord de la France, bloqué par l'air doux. Le contraste de températures est saisissant: alors que les deux tiers sud de l'Hexagone sont au printemps, le nord de celui-ci et la Belgique replongent en plein hiver. Sur 150 km, la différence de température est parfois de 10°C. Cette différence est encore plus importante en altitude. Ainsi, à 850 hPa (+/- 1550 mètres), il fait -11°C au-dessus de la côte sud des Iles britanniques et +1°C au-dessus du Mont-Saint-Michel. Au nord du front, la neige tombe en rafales de nord-est, rendant le ressenti particulièrement désagréable.

En parallèle, une dépression nommée Xaver arrive de l'Atlantique et vient se heurter à la limite stationnant sur le nord de la France. Elle renforce ainsi le contraste de températures mais aussi l'activité de la perturbation. Une offensive neigeuse de longue durée se déclenche en soirée du 11 mars et va concerner le nord de la France, la Belgique, le Luxembourg et une partie de l'Allemagne pendant près de vingt-quatre heures. C'est l'épisode neigeux le plus important de l'hiver en beaucoup de régions. En prévision de cet événement, l'IRM émet une alerte rouge pour la Wallonie et, côté hexagonal, c'est une partie de la Normandie qui est placée au même niveau.

Le creusement de la dépression Xaver à même la France renforce le gradient barométrique entre elle et un anticyclone entre Irlande et Islande, donnant un coup de vent, voire de véritables rafales tempétueuses sur les côtes de la Manche.

La neige est ainsi soufflée par le vent de nord-est, ce qui engendre la formation d'importantes congères, et ce même dans les terres. Dès le début de nuit, un immense territoire courant de la Normandie à la Belgique et s'étendant jusqu'à l'Île-de-France au sud se voit progressivement mis à l'arrêt par des congères se formant rapidement.

Source: France 2 - INA.

Côté belge, les températures enregistrées en matinée du 12 sont de plus fort basses, comprises entre -3 et -6°C. Il n'en faut pas plus pour bloquer les réseaux de transports. A l'heure de pointe matinale, on compte 1600 km d'embouteillages à travers toute la Belgique. A 10h00 le 12 mars, hors congères qui atteignent parfois le demi-mètre, on mesure 13 cm de neige à l'aéroport de Charleroi. L'auteur de ces lignes, habitant à l'époque dans Liège, découvre une ville aux rues d'habitude animées cette fois pratiquement désertes.

C'est en France que l'on retrouve les images les plus spectaculaires, avec par exemple 20 cm de neige dans les rues de Amiens, en-dehors des congères. Dans les départements de la Manche et du Calvados, épicentre de l'épisode et placés en vigilance rouge, des quantités énormes de neige (par endroits plus de 30 cm), soufflées par le vent violent formant des congères, entraînent une paralysie quasi-totale des transports. Certains villages se retrouvent ainsi isolés, parfois privés d'électricité puisque ce sont plusieurs dizaines de milliers de foyers qui sont sans courant suite à la destruction de lignes électriques sous le poids de la neige.

Source: France 2 - INA.

En Belgique, dans l'après-midi, la perturbation commence à s'affaiblir et ne concerne plus que la Wallonie. Là où la neige s'arrête de tomber, les épaisseurs (desquelles il faut retrancher la couche initialement présente) établissent parfois des records pour un mois de mars, comme les 13 cm mesurés à Uccle sur le site de l'IRM. On mesure également 8 cm de neige à Bierset, 13 cm en périphérie de Namur, 15 cm à l'aéroport de Charleroi. Localement, hors congères, la couche de neige frôle parfois les 20 cm d'épaisseur. Néanmoins, ces épaisseurs auraient pu être encore plus importantes si le vent n'avait pas soufflé la neige.

Limal sous la neige en début de soirée du 12 mars (source: Meteo Pedagogie).

Côté (futurs) Hauts-de-France, là aussi la perturbation se retire progressivement, laissant revenir le soleil sur la région de Lille.

Source: France 2 - INA.

Au soir, le ciel se dégage et les températures entament une chute vertigineuse. C'est la nuit la plus froide de l'hiver en de nombreux endroits, avec -17,1°C relevés à Ciney au matin du 13. Ailleurs, le thermomètre affiche également des valeurs bien basses: -12,9°C à Ernage (Namur), -12,6°C à l'aéroport de Bruxelles National, -11,8°C à Bierset (Liège), -10,2°C à Uccle (Bruxelles) et à l'aéroport de Charleroi. A Lille, la valeur de -10,5°C constitue un record pour un mois de mars. Il en va de même à Charleville-Mézières avec -14°C.

Le 24 mars, une dernière offensive neigeuse concerne la Belgique. Dans le sud du pays, une langue d'air doux s'intercale en altitude, et entraîne la formation de pluie qui tombe sur des sols gelés (-4°C à Libramont), formant du verglas. La situation est préoccupante, mais pas catastrophique.

Il faudra encore deux semaines avant que l'hiver ne lâche complètement prise. Le 7 avril au matin, on relève encore des minimales négatives de plusieurs degrés. Pour l'histoire climatologique, mars laisse aux statistiques de la station officielle d'Uccle un déficit thermique considéré comme très exceptionnel par l'IRM, 18 jours de gel contre une moyenne de 6 et 11 jours de présence de neige contre 3,2 pour un mars normal. 

Relevés de la station d'Uccle (Bruxelles) pour mars 2013 (source: Ogimet).

Ce genre de retour tardif de l'hiver après un coup de douceur, ça arrive de temps à autre. La Belgique et une bonne partie de la France notamment en ont encore eu la preuve récemment, en avril 2021 et dans une moindre mesure fin mars-début avril 2022. Toutefois, mars 2013 s'inscrit incontestablement comme l'une des plus grandes remontadas hivernales de notre histoire météorologique récente, intervenant un peu après un cœur d'hiver lui aussi bien froid et neigeux.

samedi 11 février 2023

Distinguer le Sting Jet du Cold Jet: L'exemble de la tempête Alex (1-2 octobre 2020)

Ces dernières années, le terme "Sting Jet" a pris en importance dans la communauté météo, rendu populaire au travers d'un certain sensationnalisme. Il a été associé récemment à plusieurs tempêtes présentant un maximum venteux au sud et au sud-ouest de leur centre dépressionnaire, occultant d'autres mécanismes potentiellement tout aussi puissants, dont le Cold Jet, présent plus classiquement dans la plupart des tempêtes. Au final, l'occurrence d'un vrai Sting Jet reste un phénomène peu fréquent, répondant à des conditions atmosphériques bien particulières et présentant des symptômes très particuliers permettant de le distinguer des autres "Jets" (ou plus largement, flux) à l’œuvre au cœur des tempêtes. Dans cet article, nous prenons en exemple la tempête Alex d'octobre 2020, cette dernière ayant porté les deux phénomènes en son sein. Nous montrons, à l'aide du modèle Arome, des relevés de la station de Le Talut de Belle-Ile et d'un article scientifique (voir bibliographie) que la rafale de 186 km/h qui y est enregistrée se produit dans un environnement qui écarte fortement l'hypothèse du Sting Jet comme cause directe. Cette rafale est à attribuer au Cold Jet.