mercredi 29 octobre 2014

Kyrill, la dernière grande tempête

Lorsque cet article est remis à jour durant l'hiver 2020-2021, Kyrill, parfois francisé en Cyril, constitue toujours la dernière grande tempête synoptique à avoir frappé nos régions, accompagnée de rafales généralisées à plus de 100 km/h le 18 janvier 2007. En effet, si depuis lors certains épisodes tempétueux ont présenté des valeurs similaires, ils furent systématiquement le fait d'une intervention de la convection, comme au cours des tempêtes Emma (mars 2008), Andrea (janvier 2012), Eleanor (janvier 2018) et Ciara (janvier 2020). Seule Eberhard (mars 2019) a donné des rafales synoptiques d'une force équivalente à Kyrill, mais elles se sont essentiellement cantonnées à la Flandre.
 
Kyrill s'est aussi exercée sur une vaste superficie, concernant une grande partie de l'Europe du nord. Elle survient au cœur d'un hiver très doux et tempétueux au cours duquel nos régions auront été soumises pratiquement sans relâche à un puissant flux d'ouest maritime.

L'origine de la tempête peut être trouvée aussi loin que dans la région de la vallée du Mississipi, aux Etats-Unis. Une anomalie chaude de surface interagit à partir de ce moment - la nuit du 14 au 15 janvier - avec un rapide courant Jet d'ouest, formé lui-même au contact entre deux masses d'air fortement contrastées, l'une polaire au nord, l'autre subtropicale au sud. Le rythme de creusement de Kyrill est par ailleurs soutenu (sans toutefois être extrême), la dépression voyageant sous une divergence d'altitude liée à la présence d'une entrée droite d'un rapide de Jet. La nuit suivante, la dépression quitte le continent américain par la côte est, mais avec un creusement interrompu faute d'un phasage optimal avec l'altitude à ce moment.

Voyageant sur les territoires maritimes de l'est du Canada le 16, Kyrill reprend son intensification, mais à des niveaux loin des grands creusements explosifs habituels en cette saison. Ce n'est que le 17 que le rythme d'intensification s'accélère, la dépression étant alors au flanc de basses pressions d'altitude couvrant le Groenland et une bonne part du bassin océanique de l'Atlantique nord.

Analyse de surface du 17 janvier 2007 à 1h00 (source: Met Office).

Kyrill au matin du 17 janvier. L'encoche nette pointant en direction de l'Irlande est le signe que la dépression est en intensification, profitant du couplage entre anomalies de surface et d'altitude (source: Eumetsat).

La tempête se creuse jusqu'à descendre à 967 hPa le 18 janvier à 1h00. A l'aplomb de la tempête, l'anomalie de tropopause (enfoncement d'air stratosphérique dans la troposphère) forme une véritable marche de plusieurs kilomètres de haut, signe d'une dépression extrêmement bien organisée. La dépression vient d'achever sa traversée du rapide de Jet-stream, se trouvant alors au nord de celui-ci.
 
Selon les théories de la cyclogénèse, Kyrill aurait du atteindre à ce moment son paroxysme et commencer à se combler dans les heures suivantes, la dépression étant alors en-dehors des conditions permettant la poursuite de son intensification. Pour autant, c'est à partir de ce moment que la cyclogénèse de Kyrill, qui jusque là très classique, commence à prendre une tournure particulière, étudiée notamment par Ludwig et al. (2015). La structure de la tempête, qui par ailleurs se maintient, s'étire jusqu'à devenir particulièrement oblongue, les mécanismes à l'oeuvre dans l'environnement de la tempête se modifiant. La nuit du 17 au 18 janvier, la tempête ne possède plus vraiment un coeur bien défini, mais deux, étirés sur un axe grosso modo orienté ouest-est. Tandis que le coeur original, le plus occidental, va progressivement ralentir sa course et commencer à se combler, le nouveau, le plus oriental, s'en écarte et poursuit vers les Iles britanniques en se maintenant à une pression très basse.

18 janvier 1h00
 
Ludwig et al. (2015) ont identifié la prise en importance des processus diabatiques (liés à l'humidité) via le dégagement de chaleur latente pour expliquer l'émergence de ce second centre dépressionnaire le long du front occlus de Kyrill. Le phénomène est peu courant mais a déjà été mis en évidence dans d'autres études. En altitude, la sortie gauche du Jet-stream tend à prendre les devants sur le coeur originel de Kyrill, plaçant le nouveau noyau plus à l'est dans un cadre dynamique d'altitude favorable à sa prise de relais (divergence d'altitude). De même, quasiment à l'aplomb du nouveau noyau, la tropopause dynamique descend temporairement jusqu'à 650 hPa en réponse aux mécanismes d'intensification à l'oeuvre en basse et moyenne troposphère.

18 janvier 1h00

Tôt le matin du 18 janvier, le second et nouveau centre de Kyrill atteint l'Irlande. Si le nord de l'île reste relativement peu affecté compte tenu de sa position au centre de la dépression, le sud est quant à lui secoué par de très fortes rafales (140 km/h à Dublin) et une très forte houle qui vient s'écraser sur les côtes. L'image ci-dessous, prise à 7h00, montre le centre de la dépression juste à l'ouest-nord-ouest de l'Irlande.

18 janvier 7h00

Dans la matinée, Kyrill traverse le Royaume-Uni par le sud de l'Ecosse, et se retrouve en mer du Nord vers midi. Le sud de l'Angleterre et le nord de la France sont alors balayés par de puissantes rafales. Si, dans le secteur chaud, l'écoulement de l'air est laminaire et donc relativement constant (bien que déjà très fort), le front froid est au contraire très turbulent, dopé par une puissante dynamique d'altitude et subissant l'attaque de l'air froid et sec subsidant.
 
Côté anglais, on relève 124 km/h à Londres, 130 km/h à Conningsby, 135 km/h à Crosby et 160 km/h à The Needles, sur la côte sud. En France, le vent atteint 126 km/h à Lille, 137 km/h à Lillers, 144 km/h à Boulogne et 151 km/h au Cap Gris Nez avec un vent moyen supérieur à 100 km/h.

18 janvier fin de matinée

18 janvier peu après midi : le centre de Kyrill gagne la Mer du Nord.

Dans l'après-midi, le front froid traverse la Belgique et les Pays-Bas. Les plus fortes rafales atteignent 119 km/h à Ostende, 107 km/h à Uccle, 122 km/h à Charleroi, 130 km/h à Spa, 112 km/h à Bierset, 122 km/h à Rotterdam, 130 km/h à Amsterdam. L'animation ci-dessous montre la prévision de la progression des vents à 850 hPa, soit environ 1500 mètres. Des vents moyens jusqu'à 150 km/h sont modélisés à cette altitude. Dans l'après-midi, ces flux se retrouvent à l'aplomb du Benelux.


En début de soirée, le centre de Kyrill traverse le Danemark. Il a maintenu de manière remarquable une pression centrale très basse, autour de 960-965 hPa, sur les dernières dix-huit heures. C'est en altitude que l'on trouve les mécanismes qui lui permettent de se maintenir à un tel niveau. Outre la sortie gauche du Jet-stream qui glisse maintenant sur l'ouest du continent européen, le coeur dépressionnaire se retrouve également à proximité de l'entrée droite d'un autre maximum de Jet présent sur les Etats baltes et la Russie. La coalescence de ces deux structures entretient une violente divergence en altitude, maintenant un appel d'air en basse et moyenne troposphère et permettant à la pression de rester basse au centre de Kyrill.

C'est alors l'Allemagne qui écope des vents les plus violents avec des rafales atteignant 118 km/h à Aachen, 142 km/h à Dusseldorf et 125 km/h à Berlin. Le front froid, très puissant, abrite des tornades (certaines F3) qui provoquent des dégâts spectaculaires. Sous l'effet de la dynamique et de l'intrusion sèche en altitude, ce front est devenu très turbulent et convectif en fin d'après-midi, avec de nombreux orages signalés. Les rafales les plus violentes (convectives et, pour certaines d'entre elles, descendantes), se produisent sur la portion de front située sous la sortie gauche du rapide de Jet-stream alors au-dessus de l'Angleterre et de la Belgique.

Reconstitution par modélisation des rafales associées au front froid de Kyrill à 18h00, 19h00 et 20h00. Les courbes noires représentent les isotaches du Jet-stream. Les triangles renversés localisent les tornades observées (source: Ludwig et al., 2015).
 
A l'arrière, ce même front froid a terminé de traverser la Belgique, mais le courant Jet soufflant a près de 350 km/h, désormais à l'aplomb du Benelux, continue d'entretenir de violentes bourrasques sur le Royaume. L'image ci-dessous illustre la situation pour 19h00. Le rond blanc indique la position des vents les plus forts.


Sur l'image ci-dessous, le courant Jet se signale sous la forme de traînées nuageuses en forme de parabole courant depuis l'Atlantique vers la Belgique via l'Irlande.

18 janvier 21h00

En cours de soirée, la République Tchèque et la Pologne essuient à leur tour de très fortes rafales, avec 130 km/h à Prague et 136 km/h à Wroclaw. Passé minuit le 19 janvier, Kyrill gagne la Russie et commence à faiblir : progressivement, le gradient de pression se relâche, entraînant une diminution de la vitesse des vents.

19 janvier 1h00

Kyrill est donc l'une de ces grandes tempêtes qui marquent l'histoire de la météorologie européenne. En Belgique, elle est la plus forte tempête depuis Jeanett le 27 octobre 2002, dont la puissance fut relativement similaire. Kyrill reste néanmoins en deçà des plus violentes dépressions telles celles survenues en janvier et février 1990.
 
Une différence notable entre la situation en Belgique et l'Allemagne aura été l'aspect convectif du front froid. En Belgique, celui-ci, déphasé avec la sortie gauche du Jet, n'a pas été réellement convectif, bien que des sautes de vent parfois importantes aient été observées à son passage (notamment à l'aéroport de Charleroi avec 122 km/h). En Allemagne par contre, en-dehors des côtes, les plus fortes rafales sont le fait d'orages prenant place sur le front boosté par la présence de la sortie gauche de Jet et l'intrusion sèche en altitude.
 
Bibliographie

Ludwig, P., Pinto, G., Hoepp, S., Fink, A., Gray, S. (2015). Secondary cyclogenesis along an occluded front leading to damaging wind gusts: windstorm Kyrill, January 2017. Monthly weather review - American Meteorological Society, 143, 1417-1437.


dimanche 26 octobre 2014

2009 - 2010 : un hiver, trois vagues de froid

L'hiver 2009 - 2010 est un hiver qui entre dans les annales pour avoir offert à la Belgique trois vagues de froid. Pourtant, il a fallu le temps qu'il démarre: novembre, très doux et venteux, n'a laissé à aucun moment entrevoir l'arrivée du froid. Il faut attendre la mi-décembre pour que le général Hiver fasse son entrée sur le pays. Le 14 décembre, un anticyclone a grossi sur la Scandinavie et envoie de l'air sibérien en direction de l'Europe Occidentale.