jeudi 18 janvier 2024

17-18 janvier 2024: Faits et méfaits d'un épisode hivernal remarquable

C'est donc en janvier 2024 que le centre de la Belgique aura renoué avec la neige en quantités significatives. A la fin de l'épisode, les hauteurs relevées à 7h00 le 18 sur le réseau officiel en attestent:

  • Bierset (Liège): 14 cm
  • Beauvechain (Brabant wallon) et Florennes (Namur): 12 cm
  • Uccle (Bruxelles) et Zaventem (Brabant flamand): 11 cm
  • Gosselies (Hainaut): 10 cm 

 

La campagne de Fernelmont (province de Namur) à l'heure bleue le matin du 18 janvier (auteur: Le Chroniqueur météo).
 
Une large partie du nord de la Wallonie a ainsi reçu davantage de neige que le sud, alors que ce dernier est plus haut en altitude, inversant dès lors la "logique" hivernale qui veut qu'il neige davantage plus on monte. A l'inverse, le sud de la Belgique a connu des pluies verglaçantes parfois de longue durée. En Lorraine belge par exemple, au matin du 17 janvier, il pleuvait par -5°C. Cela n'aura d'ailleurs pas été la seule inversion météorologique, ces faits devant leur existence à une situation atmosphérique bien particulière.

La Belgique et le nord de la France se sont retrouvés sous un conflit de masses d'air, entre de l'air d'origine polaire au nord, et de l'air d'origine maritime subtropicale au sud. Ce conflit est matérialisé par un front, ou plutôt une série de fronts, comme le montre l'analyse de surface du Met Office anglais le 17 janvier à 13h00. Ils sont rattachés à une dépression nommée Irène arrivant de l'Atlantique.

Source: Met Office via Wetter3

A cette heure, l'air doux remontait toujours sur la France en direction du nord, et le front, qui fait la limite de cette masse, est donc dessiné comme un (double) front chaud. Or, dans ces fronts, l'air froid tend bien souvent à faire de la résistance dans les basses couches, notamment lorsque le flux est relativement faible (ce qui fut le cas ici), et finit par se faire surplomber par l'air plus doux. Se forme alors une inversion de températures. Il s'agit d'un phénomène habituel des fronts chauds. Le schéma ci-dessous résume bien cela.

Source: 
https://pba.asso.fr/old/index.php?option=com_content&view=article&id=6&Itemid=12

Le tout est de savoir à quelle température va se retrouver ce "nez chaud" qui surplombe l'air froid dans les basses couches, à température négative dans ce cas-ci. En effet, en matinée du 17 janvier, il gelait en de nombreux points du nord de la France et de la Belgique. La structuration thermique de l'atmosphère entre le sol et 2-3 km d'altitude devient alors d'une importance capitale pour prévoir le type de précipitations hivernales qui va tomber... Et les conséquences parfois franchement néfastes sur le réseau routier.

Si le "nez chaud", qui se promène souvent entre quelques centaines et 2000 mètres d'altitude, est à température négative, la neige qui tombe depuis l'altitude le traverse sans problème, retombe ensuite dans l'air encore un peu plus froid, et finit par former une belle couche de neige au sol. Si par contre, ce nez est à température positive, les flocons y fondent, forment de la pluie, qui retombe ensuite dans la pellicule où l'air gèle... Apparaît alors le redoutable verglas. Le schéma adapté ci-dessous montre, en très résumé, la situation atmosphérique entre le centre de la Belgique et le nord-est de la France en début de journée du 17.


Au fur et à mesure de la journée, ce nez chaud a pris de l'ampleur, s'abaissant au sol et y provoquant le dégel... Mais pas partout! Nous en parlions ainsi sur X en fin de matinée:


Aidé par le radoucissement lié à l'évolution diurne et un peu de turbulence, le nez chaud a fini par prendre "racine" au sol presque partout sur le sud du pays. Ainsi, en milieu d'après-midi, de la neige était observée en Hesbaye au nord de Namur, tandis qu'à Ciney, au sud-est de la capitale wallonne, il... pleuvait, cette fois sans verglas grâce aux températures devenues légèrement positives au sol. Voici ce que ça donnait en coupe atmosphérique.


Ici se trouve l'explication de la plus importante couche de neige observée à Bruxelles et dans le nord de la Wallonie par rapport à l'Ardenne (à l'exception des Hautes Fagnes). Au nord du front, la neige n'a cessé de tomber au fil des heures, tandis que celle-ci n'a pris le relais des pluies (verglaçantes) sur le sud de la Belgique que bien plus tard, lorsque l'air froid, poussant à nouveau du nord, a renvoyé le front en direction de la France et du Luxembourg.

Au final, et par exemple, le sud-est de Namur a quelque peu rattrapé son retard sur le nord-est. Au matin du 18, on mesurait ainsi 14 cm de neige à Fernelmont, à 15 km au NE de Namur, tandis qu'Erpent, en périphérie sud-est de la ville, en récoltait 11.

Autre inversion météorologique, celle des températures minimales le 18. Avec le dégagement du ciel en fin de nuit sur la Moyenne Belgique (la Haute Belgique étant encore ennuagée par la perturbation en cours de retrait), les températures ont plongé, notamment dans le Hainaut où elles sont passées sous -10°C. Exemple à Chièvres ci-dessous.

Source: IRM

Et en carte, à présent, avec les températures observées à 10h00.

Source: Infoclimat.

Comme classiquement dans ces conditions, ce froid cinglant n'était observé que dans les premiers mètres de l'atmosphère ou, pour le dire plus simplement, tout près du sol. La nuit, un ciel dégagé permet à ce sol, rayonnant surtout en infrarouge (on passera outre les explications physiques du phénomène), de se refroidir plus rapidement que l'air situé au-dessus. Or ici, avec la présence de la couche de neige, ce phénomène est exacerbé. Neige + ciel se dégageant juste en fin de nuit est ainsi l'équation qui explique pourquoi les températures ont brutalement plongé du Hainaut à la Campine... Et ont continué de descendre alors que le soleil se levait, jusqu'à ce que ce dernier soit suffisamment "haut" dans le ciel pour contrecarrer cette dégringolade thermique.

De plus, cet air froid, plus lourd, a tendance - et c'est de nouveau un phénomène très classique - à "couler" vers les points les plus bas en l'absence de vent, expliquant de belles différences de températures sur de faibles distances. Ainsi, par exemple, peu après 9h00, on observait -4°C au niveau de l'E42 près d'Andenne (est de Namur), à environ 200 mètres d'altitude, tandis qu'à Fernelmont, vers 180 mètres, le thermomètre était à -8°C (l'auteur de cet article aura même trouvé du -9°C en passant dans un petit vallon dans l'est de la commune). Il y a à peine 2 ou 3 km entre les deux...

Pour terminer, le ciel souvent lumineux du 18 janvier aura permis de profiter d'un spectacle devenu rare dans nos régions; celui d'une belle couche de neige sous un franc soleil, alors que les conditions de circulation revenaient (plus ou moins lentement selon les endroits) à la normale.

Le Sart Tilman (Liège) sur le temps de midi du 18 janvier, sous une bonne quinzaine de centimètres de neige (auteur: Le Chroniqueur météo).