samedi 11 février 2023

Distinguer le Sting Jet du Cold Jet: L'exemble de la tempête Alex (1-2 octobre 2020)

Ces dernières années, le terme "Sting Jet" a pris en importance dans la communauté météo, rendu populaire au travers d'un certain sensationnalisme. Il a été associé récemment à plusieurs tempêtes présentant un maximum venteux au sud et au sud-ouest de leur centre dépressionnaire, occultant d'autres mécanismes potentiellement tout aussi puissants, dont le Cold Jet, présent plus classiquement dans la plupart des tempêtes. Au final, l'occurrence d'un vrai Sting Jet reste un phénomène peu fréquent, répondant à des conditions atmosphériques bien particulières et présentant des symptômes très particuliers permettant de le distinguer des autres "Jets" (ou plus largement, flux) à l’œuvre au cœur des tempêtes. Dans cet article, nous prenons en exemple la tempête Alex d'octobre 2020, cette dernière ayant porté les deux phénomènes en son sein. Nous montrons, à l'aide du modèle Arome, des relevés de la station de Le Talut de Belle-Ile et d'un article scientifique (voir bibliographie) que la rafale de 186 km/h qui y est enregistrée se produit dans un environnement qui écarte fortement l'hypothèse du Sting Jet comme cause directe. Cette rafale est à attribuer au Cold Jet.

"Qui pourrait imaginer que nous sommes à quelques jours du printemps..." - L'extraordinaire épisode neigeux de mars 2013

" Qui pourrait imaginer que nous sommes à quelques jours du printemps... "

Cette phrase mi-sarcastique mi-fataliste, c'est David Pujadas qui la prononce à l'ouverture du 20h00 de France 2 du 12 mars 2013, journée qui vient d'entrer avec fracas dans l'histoire météorologique française, mais aussi belge. Le nord de l'Europe grelotte, plongé dans un véritable blizzard - et cette fois, le mot n'est pas usurpé - alors qu'au sud, le printemps chante déjà gaiement.

Le sentiment qui prévaut alors que le printemps climatologique est commencé (même dans une partie de la communauté météo), c'est une forme de fatigue, de lassitude générée par un hiver qui n'en finit pas. Ce fut aussi le cas pour l'auteur de ces lignes, Belge, pourtant pas indifférent à un bon plâtrage et à un froid autre que l'habituelle humidité désagréable de la moyenne climatologique saisonnière.

Parce que l'hiver 2012-2013, en tout cas en Belgique, il a commencé dès début décembre, et hormis quelques rares intermèdes doux (dont un plus long aux alentours de Noël - on ne change pas les "traditions"...), il se maintient dans une constante froide et neigeuse passé le Nouvel An. 

En effet, si décembre fut normal, janvier et février ont été tous les deux sous les normes thermiques de l'époque, notamment le second, considéré comme anormalement froid. Au niveau statistique, la neige ne fut pas en reste non plus. 13 jours de présence à Uccle (siège de l'IRM à Bruxelles) en janvier (normale: 4,2) et 11 en février (normale: 5,2).

Le campus du Sart Tilman, sur les hauteurs de Liège (Belgique) le 8 février, photo du Chroniqueur. Un paysage presque devenu banal en cet hiver 2012-2013...

Durant les premiers jours de mars pourtant, la situation change du tout au tout: de l'air chaud atteint la Belgique, et amène les premières belles journées de l'année 2013. Le 6 mars est le plus chaud depuis le début des observations à Bruxelles en 1833: on relève 19,5°C comme température maximale dans l'après-midi. Cette douceur se poursuit les jours suivants dans un contexte plus humide. Le printemps semble s'être installé définitivement. 

C'est cependant à croire que la météo ne connaît pas la pitié cet hiver... Alors que la population profite du beau temps, les modèles ont déjà bien en vue la seconde quinzaine de mars. Plus au nord, l'air sibérien commence une nouvelle fois à bousculer l'air doux. Un important conflit marqué par un front très organisé se dessine alors...

La nuit du 9 au 10 mars, ce front descendant du nord arrive en Belgique, poussé par l'air continental polaire. Les températures s'effondrent d'une dizaine de degrés en quelques heures, et la pluie qui avait commencé à tomber en soirée est rapidement remplacée par de la neige au-dessus de 150 mètres. Quelques centimètres se déposent au passage de la perturbation. Une avant-garde...

Le 11 mars, le front s'arrête sur le nord de la France, bloqué par l'air doux. Le contraste de températures est saisissant: alors que les deux tiers sud de l'Hexagone sont au printemps, le nord de celui-ci et la Belgique replongent en plein hiver. Sur 150 km, la différence de température est parfois de 10°C. Cette différence est encore plus importante en altitude. Ainsi, à 850 hPa (+/- 1550 mètres), il fait -11°C au-dessus de la côte sud des Iles britanniques et +1°C au-dessus du Mont-Saint-Michel. Au nord du front, la neige tombe en rafales de nord-est, rendant le ressenti particulièrement désagréable.

En parallèle, une dépression nommée Xaver arrive de l'Atlantique et vient se heurter à la limite stationnant sur le nord de la France. Elle renforce ainsi le contraste de températures mais aussi l'activité de la perturbation. Une offensive neigeuse de longue durée se déclenche en soirée du 11 mars et va concerner le nord de la France, la Belgique, le Luxembourg et une partie de l'Allemagne pendant près de vingt-quatre heures. C'est l'épisode neigeux le plus important de l'hiver en beaucoup de régions. En prévision de cet événement, l'IRM émet une alerte rouge pour la Wallonie et, côté hexagonal, c'est une partie de la Normandie qui est placée au même niveau.

Le creusement de la dépression Xaver à même la France renforce le gradient barométrique entre elle et un anticyclone entre Irlande et Islande, donnant un coup de vent, voire de véritables rafales tempétueuses sur les côtes de la Manche.

La neige est ainsi soufflée par le vent de nord-est, ce qui engendre la formation d'importantes congères, et ce même dans les terres. Dès le début de nuit, un immense territoire courant de la Normandie à la Belgique et s'étendant jusqu'à l'Île-de-France au sud se voit progressivement mis à l'arrêt par des congères se formant rapidement.

Source: France 2 - INA.

Côté belge, les températures enregistrées en matinée du 12 sont de plus fort basses, comprises entre -3 et -6°C. Il n'en faut pas plus pour bloquer les réseaux de transports. A l'heure de pointe matinale, on compte 1600 km d'embouteillages à travers toute la Belgique. A 10h00 le 12 mars, hors congères qui atteignent parfois le demi-mètre, on mesure 13 cm de neige à l'aéroport de Charleroi. L'auteur de ces lignes, habitant à l'époque dans Liège, découvre une ville aux rues d'habitude animées cette fois pratiquement désertes.

C'est en France que l'on retrouve les images les plus spectaculaires, avec par exemple 20 cm de neige dans les rues de Amiens, en-dehors des congères. Dans les départements de la Manche et du Calvados, épicentre de l'épisode et placés en vigilance rouge, des quantités énormes de neige (par endroits plus de 30 cm), soufflées par le vent violent formant des congères, entraînent une paralysie quasi-totale des transports. Certains villages se retrouvent ainsi isolés, parfois privés d'électricité puisque ce sont plusieurs dizaines de milliers de foyers qui sont sans courant suite à la destruction de lignes électriques sous le poids de la neige.

Source: France 2 - INA.

En Belgique, dans l'après-midi, la perturbation commence à s'affaiblir et ne concerne plus que la Wallonie. Là où la neige s'arrête de tomber, les épaisseurs (desquelles il faut retrancher la couche initialement présente) établissent parfois des records pour un mois de mars, comme les 13 cm mesurés à Uccle sur le site de l'IRM. On mesure également 8 cm de neige à Bierset, 13 cm en périphérie de Namur, 15 cm à l'aéroport de Charleroi. Localement, hors congères, la couche de neige frôle parfois les 20 cm d'épaisseur. Néanmoins, ces épaisseurs auraient pu être encore plus importantes si le vent n'avait pas soufflé la neige.

Limal sous la neige en début de soirée du 12 mars (source: Meteo Pedagogie).

Côté (futurs) Hauts-de-France, là aussi la perturbation se retire progressivement, laissant revenir le soleil sur la région de Lille.

Source: France 2 - INA.

Au soir, le ciel se dégage et les températures entament une chute vertigineuse. C'est la nuit la plus froide de l'hiver en de nombreux endroits, avec -17,1°C relevés à Ciney au matin du 13. Ailleurs, le thermomètre affiche également des valeurs bien basses: -12,9°C à Ernage (Namur), -12,6°C à l'aéroport de Bruxelles National, -11,8°C à Bierset (Liège), -10,2°C à Uccle (Bruxelles) et à l'aéroport de Charleroi. A Lille, la valeur de -10,5°C constitue un record pour un mois de mars. Il en va de même à Charleville-Mézières avec -14°C.

Le 24 mars, une dernière offensive neigeuse concerne la Belgique. Dans le sud du pays, une langue d'air doux s'intercale en altitude, et entraîne la formation de pluie qui tombe sur des sols gelés (-4°C à Libramont), formant du verglas. La situation est préoccupante, mais pas catastrophique.

Il faudra encore deux semaines avant que l'hiver ne lâche complètement prise. Le 7 avril au matin, on relève encore des minimales négatives de plusieurs degrés. Pour l'histoire climatologique, mars laisse aux statistiques de la station officielle d'Uccle un déficit thermique considéré comme très exceptionnel par l'IRM, 18 jours de gel contre une moyenne de 6 et 11 jours de présence de neige contre 3,2 pour un mars normal. 

Relevés de la station d'Uccle (Bruxelles) pour mars 2013 (source: Ogimet).

Ce genre de retour tardif de l'hiver après un coup de douceur, ça arrive de temps à autre. La Belgique et une bonne partie de la France notamment en ont encore eu la preuve récemment, en avril 2021 et dans une moindre mesure fin mars-début avril 2022. Toutefois, mars 2013 s'inscrit incontestablement comme l'une des plus grandes remontadas hivernales de notre histoire météorologique récente, intervenant un peu après un cœur d'hiver lui aussi bien froid et neigeux.

dimanche 5 septembre 2021

L'été le plus arrosé: quelques explications

Avec 411 mm tombés entre le 1er juin et le 31 août à Uccle, 2021 décroche - et de loin - la palme de l'été climatologique le plus arrosé depuis que l'on mesure la pluie à Bruxelles. A l'inverse, le nombre de jours de précipitations n'est pas exceptionnellement élevé (50 jours contre une normale de 42,6), indiquant la contribution de pluies moins fréquentes qu'abondantes les fois où elles se produisaient, apportées par de réguliers orages mais aussi par le déluge de la mi-juillet et ses inondations désastreuses.

Le nouveau classement des étés les plus arrosés s'établit donc comme suit:

  • 2021, avec 410,7 mm
  • 1992, avec 365 mm
  • 1850, avec 360,2 mm

On notera que 2014, lui aussi très pluvieux avec 348 mm, arrive en sixième position de ce classement.

Sur les autres paramètres, il n'est pas observé d'anomalie prononcée. Ainsi, la température moyenne s'établit à 17,8°C contre une norme de  17,9°C, et l'ensoleillement donne 513 heures contre 595 en normale, ce dernier paramètre étant toutefois à la limite de l'anormalité basse. Mais comme toujours, ces moyennes sur l'été cachent quelques disparités mensuelles. A noter que cet été suit un printemps peu heureux également, accentuant l'impression d'une année plutôt mauvaise.

L'été 2021 n'aura pas connu de vague de chaleur officielle, une première depuis 2014. Mieux encore, aucune valeur supérieure à 30°C n'a été observée à Uccle. Il faut remonter à 1993 pour trouver la dernière absence de jour de forte chaleur au cours de l'été climatologique. Il n'a également connu que 14 jours d'été (maximale > 25°C), la normale étant de 24.

Juin

Ce qui marque en juin, c'est la présence de chaleur et d'humidité. D'ailleurs, ce cocktail de moiteur a alimenté de réguliers orages violents, notamment les supercellules de la nuit du 17 au 18, ainsi que l'éruption de tornades du 19. Avec 14 jours d'orages, on peut parler d'un mois assez actif, bien que cela reste dans les normes. 

On notera par contre et comme évoqué l'anomalie excédentaire de précipitations, portée par un record de quantité pour une troisième décade de juin, ainsi que celle de la température moyenne, portée notamment par une moyenne de températures minimales la plus élevée depuis 1892. Fait marquant, aucun jour de forte chaleur (>30°C) n'a été constaté à Uccle, par contre la température a dépassé les 25°C à neuf reprises, signe d'une chaleur modérée mais durable.

A noter que c'est au cours de ce mois de juin qu'a été observé en de nombreuses stations le paroxysme thermique de cet été, avec par exemple 29,5°C à Uccle le 18 juin.

Paramètres du mois de juin 2021 à Uccle (source: IRM).

En-dehors de la grande agitation orageuse du début de la première décade et des fins de la seconde et de la troisième, le temps a été clément et particulièrement chaud aux alentours de la mi-juin. Les températures moyennes pour la seconde décade constituent par ailleurs de nouveaux records.

Côté ensoleillement, la cote du mois cache une répartition très inégale. Ainsi, si les deux premières décades ont été assez bien ensoleillées, la troisième a été très sombre, avec seulement neuf heures d'ensoleillement; il s'agit là d'un record bas décadaire.

Couvin et l'Eau Noire sous un chaud soleil l'après-midi du 13 juin (auteur: Le Chroniqueur météo).

Juillet

L'anomalie pluviométrique entamée en juin s'est poursuivie et même accrue en juillet. Avec 167 mm cumulés à Uccle, il s'agit du mois de juillet le plus pluvieux depuis 1980. Pourtant, le nombre de jours de précipitations n'est pas anormal, montrant à nouveau que les précipitations ne furent pas forcément fréquentes cet été, mais souvent abondantes quand elles tombaient. La paroxysme de ce constat fut l'exceptionnel épisode pluvieux de la mi-mois, établissant par ailleurs un nouveau record pour une seconde décade de juillet, avec 83 mm. Dans l'est du pays, les 179 mm de pluie récoltés à Hockai (Stavelot) sur vingt-quatre heures le 14 constituent une cote historique.

Paramètres du mois de juillet 2021 à Uccle (source: IRM).

A l'inverse de juin par contre, juillet fut un peu plus frais que la normale, sans que cela soit significatif. Le mauvais ressenti thermique, s'il existe, provient sans doute de la moyenne des maximales qui fut relativement fraîche, en témoigne également le faible nombre de jours à plus de 25°C, seulement trois, observés pendant un hiatus de beau temps entre le 17 et le 23 juillet, dans un océan de météo peu heureuse. Le maximum thermique du mois à Uccle, 26,5°C, est par ailleurs remarquablement bas, le plus faible depuis juillet 2000. L'impression d'un mois plutôt mauvais aura sans doute aussi été renforcée par une déficit d'ensoleillement d'une trentaine d'heures, sans que cela ne soit pour autant remarquable.

Août

Août est sans doute le plus mauvais des trois mois. Les périodes de beau temps se sont réduites à quelques jours en seconde décade et en troisième, entrecoupées par des températures exceptionnellement basses les 17 et 18 août où les maximales ont à peine atteint 15°C à Uccle.

Ainsi, et contrairement aux deux autres mois, un déficit thermique anormal s'est manifesté au cours de cet août 2021, de même qu'un solide excédent pluviométrique. C'est ainsi le troisième mois d'affilée qui voit tomber plus de 100 mm de pluie cumulés à Uccle. L'ensoleillement est aussi déficitaire, considéré comme anormalement faible. 

Paramètres du mois d'août 2021 à Uccle (source: IRM).

Les causes atmosphériques de ce record de pluie

Les cartes d'anomalies de géopotentiel à 500 hPa permettent d'entrevoir certains déterminants de cet été très arrosé. Les couleurs chaudes font apparaître les anomalies positives, soit des anticyclones d'altitude récurrents, tandis que les couleurs froides représentent les anomalies négatives, soit des dépressions récurrentes.

Anomalies de géopotentiel à 500 hPa pour le mois de juin (source: NOAA).

En juin, les anticyclones ont dominé le nord-est de l'Europe, et notamment la Scandinavie où une impressionnante vague de chaleur a commencé durant ce mois et s'est prolongée début juillet. Il s'agit d'un régime de blocage, avec des masses anticycloniques massives qui ont bloqué les dépressions atlantiques, celles-ci plongeant régulièrement en gouttes froides vers la péninsule ibérique. Ainsi, ce sont des courants assez méridionaux qui ont fréquemment concerné nos régions, et l'excédent thermique observé pendant ce mois n'y est pas étranger. Cette chaleur humide (le mois de mai ayant déjà été assez pluvieux) a permis le développement de nombreuses averses et orages.

Anomalies de géopotentiel à 500 hPa pour le mois de juillet (source: NOAA).

En juillet, les anomalies anticycloniques se sont quelque peu éloignées de nos régions, mais leur occupation nordique observée au mois de juin s'est poursuivie. Ainsi, le régime de blocage a continué à se manifester de manière récurrente pendant ce mois, mais la disposition différente nous a été cette fois bien moins favorable. Il fut notamment responsable de la stagnation de la goutte froide nous ayant valu les précipitations diluviennes en milieu de mois. Ce positionnement des centres d'action a également empêché les fortes chaleurs observées sur le sud de l'Europe de remonter jusqu'à la Belgique, le pays étant fréquemment concerné par des flux maritimes assez mous. Transitoirement, quelques séquences de NAO- (régime des dépressions britanniques) se sont manifestées, notamment en fin de mois, avec des conséquences identiques, à savoir une météo peu heureuse.

Régime NAO- sur l'Europe à la fin du mois de juillet (source: Meteociel).

En août, le placement moyen des anomalies a profondément changé, avec un repli des anticyclones sur l'Atlantique nord, tandis qu'une petite anomalie dépressionnaire gagnait le continent. Il s'agit là d'un régime "Atlantic ridge" particulièrement développé, et dont l'occurrence estivale est connue pour apporter du mauvais temps. Des flux de nord-ouest à nord ont ainsi été régulièrement à l’œuvre durant ce mois d'août.

Anomalies de géopotentiel à 500 hPa pour le mois d'août (source: NOAA).

mardi 20 juillet 2021

Le désastre de juillet 2021, un épisode pluvieux historique

La mi-juillet 2021 a été marquée par un épisode pluvieux historique, débouchant sur des inondations parfois dramatiques dans la moitié est de la Belgique et l'ouest de l'Allemagne, ainsi qu'au Grand-Duché de Luxembourg et dans le nord-est de la France dans une moindre mesure. En Belgique, région sur laquelle se concentre cet article, des cumuls de plus de 100 mm sur une superficie aussi étendue sont un phénomène rare dans nos régions, dont les conséquences ont ici été aggravées par les sols gorgés suite aux pluies régulièrement observées au cours des semaines précédentes. Cet événement se classe vraisemblablement parmi les plus grandes catastrophes météorologiques de l'histoire du pays.

Cet épisode pluvieux s'inscrit par ailleurs dans un mois de juillet le plus arrosé depuis 1980, avec un total à Uccle de 167 mm, faisant suite à un mois de juin déjà bien pluvieux (121 mm).

Crue du Samson en province de Namur le 15 juillet (crédit photo: S. Verachtert).

Quelques chiffres

Du 13 juillet 8h00 au 14 juillet 8h00:

  • 42 mm à Buzenol (Virton, province de Luxembourg);
  • 41 mm à Gosselies (Charleroi, province de Hainaut) et à Humain (Marche-en-Famenne, province de Luxembourg);
  • 38 mm à Bierset (Grâce-Hollogne, province de Liège).
Parmi les stations amateures:
  • Dolembreux (Sprimont, province de Liège) enregistre 85 mm, dont 53 tombés entre 20h00 et 2h00;
  • Chaineux (Herve, province de Liège), compte 66 mm;
  • La Baraque Fraiture (Vielsalm, province de Luxembourg): 38 mm
  • Cobru (Bastogne, province de Luxembourg): 49 mm
Du 14 juillet 8h00 au 15 juillet 8h00:
  • 79 mm à Buzenol
  • 22 mm à Gosselies
  • 54 mm à Humain
  • 38 mm à Bierset
  • 83 mm à Dolembreux
  • 52 mm à Chaineux
  • 85 mm à la Baraque Fraiture
  • 77 mm à Cobru
Du 15 juillet 8h00 au 16 juillet 8h00:
  • 56 mm à Uccle (Bruxelles)
  • 46 mm à Gosselies
  • 21 mm à Bierset
  • 34 mm à Dolembreux
  • 12 mm à Chaineux
  • 14 mm à la Baraque Fraiture
Totaux sur 48 heures (13/07 8h - 15/07 8h):
  • 121 mm à Buzenol
  • 76 mm à Bierset
  • 95 mm à Humain
Totaux sur 72 heures (13/07 8h - 16/07 8h):
  • 97 mm à Bierset
  • 102 mm à Ernage (Gembloux, province de Namur)
  • 109 mm à Gosselies
  • 202 mm à Dolembreux
  • 130 mm à Chaineux
  • 137 mm à la Baraque Fraiture
  • 129 mm à Cobru

L'IRM a également de son côté communiqué quelques chiffres. Son pluviomètre du Mont Rigi, dans les Hautes Fagnes, a relevé 192 mm entre le 13 juillet 8h00 et le 15 juillet 8h00. C'est une mesure historiquement haute pour une station officielle. Est également historique la valeur de 179 mm à Hockai (Stavelot) observée entre le 14 juillet 8h00 et le 15 juillet 8h00. 
 
L'institut cite aussi deux mesures des pluviomètres du SPW encore plus incroyables et qui sont sujettes à caution, avec 217 mm à Spa et 272 mm à Jalhay. Il s'agit là de quantités jusqu'ici inconnues dans nos régions pour ce laps de temps.
 
Anomalie pluviométrique calculée sur la période entre le 18 avril et le 16 juillet. Les précipitations des semaines précédentes avaient amené plusieurs régions au niveau humide, mais l'épisode pluvieux aura poussé cette anomalie humide à un niveau extrême, l'un des plus hauts jamais vus à cette période de l'année (source: IRM).
 
Quels ont été les épisodes similaires?

Pour situer l'ampleur du phénomène, explorons l'histoire météorologique récente. On ne s'intéresse qu'aux pluies à dominante stratiforme (où les orages restent minoritaires) et aux épisodes sur un ou quelques jours (idée de continuité). Sont ici considérés les six mois de la "haute saison", grosso modo de la mi-avril à la mi-octobre.

  • Le 7 octobre 1982, on relève en vingt-quatre heures 156 mm de pluie à Botrange, 119 mm à Beauvechain, 108 mm à Bierset et 101 mm à Spa.
  • Les 28 et 29 août 1996, il pleut pratiquement sans discontinuer, et les cumuls sont conséquents: 183 mm à Hombourg (Liège), 130 mm à Ernage (Namur) et Landelies (Hainaut), 121 mm à Marbais (Brabant wallon), 113 mm à Uccle (Bruxelles). De telles quantités sur 48 heures sont historiques pour la Belgique. Le vent est aussi notable pour la saison: les rafales atteignent 108 km/h à Middelkerke, 90 km/h à Gosselies et 86 km/h à Bierset.
  • Les 13 et 14 septembre 1998, une perturbation se coince sur la Flandre et la province de Liège, donnant 120 mm de précipitations à Liège-Monsin et 147 mm à Wijnegem (Anvers) sur vingt-quatre heures. 
  • Du 15 au 17 août 2010, il tombe parfois plus de 100 mm de pluie (104 mm à Uccle en deux jours).
  • Les 25 et 26 septembre 2020, la dépression Odette, en plus de donner une tempête sur les côtes, déverse jusqu'à 100 mm de pluie en deux jours de la Flandre orientale à la Botte du Hainaut. Le schéma est assez similaire à 1996 et 2010, avec une occlusion coincée sur le pays, associée à une goutte froide au nord et/ou à l'est de nos régions. Ici, la sécheresse des semaines précédentes aura réduit grandement le risque de crues.

En résumé, des précipitations de plus de 100 mm sur deux jours sont un phénomène rare dans nos régions. Avec de multiples cumuls à plus de 100 mm les 13 et 14, le présent épisode rentre pleinement dans cette catégorie de faits historiques, et les 192 mm relevés en 48 heures au Mont Rigi font pratiquement état d'un événement au moins multidécennal.

Que s'est-il passé?

Aux origines de l'événement, nous trouvons un phénomène météorologique banal: l'évacuation d'une tempête tropicale du doux nom de Elsa provenant du Golfe du Mexique vers l'Atlantique Nord. En juillet, il est parfaitement normal d'enregistrer des cyclones tropicaux dans cette région du monde, ceux-ci entrant en interaction avec le Jet-stream sur la façade Est du continent nord-américain. Ils ont alors tendance à amplifier ses ondes et/ou à l'accélérer. Le 8 juillet, dans la page Facebook de Météo Pédagogie, nous écrivions qu'une goutte froide issue de l'amplification des ondes du courant Jet apporterait "instabilité et zones de précipitations parfois copieuses à partir du samedi 10 juillet". Évidemment, sans penser que ceci pouvait dégénérer en épisode pluvieux historique ...

Passons maintenant en revue la situation atmosphérique de jour en jour. Le 12 juillet à midi UTC (soit 14h00 heure locale), la veille du début de l'épisode, la dépression qui va nous intéresser est déjà présente sur le nord de la France, avec son système frontal associé. 

Analyse de surface du 12 juillet à 14h00 heure locale (source: DWD).

Cette dépression de surface est soutenue en altitude par une vaste goutte froide en fond de talweg et arrivant de l'Atlantique le 12 juillet puis transitant sur la France le 13. Une goutte froide transporte, comme son nom l'indique, une poche d'air froid en altitude, en lien avec un géopotentiel bas. Ces géopotentiels bas, soit un niveau de pression donné à plus faible altitude que la moyenne, marquent une dépression d'altitude.

Cette goutte froide redresse alors le flux au sud, forçant la chaleur humide présente près de l'Italie et du sud de la France à remonter vers l'Allemagne dans un premier temps, en réalimentant les masses d'air déjà bien humides s'y trouvant. L'animation ci-dessous montre sa trajectoire au cours de ces jours funestes; dans son mouvement en boucle et temporairement immobile, elle bloque la dépression de surface en-dessous et la perturbation pluvieuse associée. C'est son évacuation vers l'Italie le 16 juillet qui met fin à ce piégeage des masses humides sur nos régions.

Ce mouvement erratique est en partie entraîné par l'émergence d'une crête anticyclonique d'altitude qui se développe sur le proche Atlantique, les Îles britanniques puis la mer du Nord, instaurant les anomalies hautes de géopotentiel en orange-rouge. Cette crête fait barrage à la goutte froide qui remontait du sud de l'Europe, l'immobilisant et la renvoyant vers la péninsule italienne.

Géopotentiel et anomalies associées à 500 hPa entre le 13 et le 17 juillet (source: Wxcharts via Meteo Paris).

Le mardi 13, les premières pluies concernent l'est et le sud de la Belgique, en lien notamment avec la bordure de la bouffée d'air moite sur l'Allemagne. La dépression de surface s'est déplacée à travers nos régions pour se retrouver sur l'ouest de cette dernière, au sein d'un complexe dépressionnaire qui occupe une bonne partie de l'Europe centrale. Les pluies sur le nord de la France et le sud de la Belgique sont grossièrement associées à l'occlusion.

Analyse de surface du 13 juillet à 14h00 heure locale (source: DWD).
 
En fin d'après-midi, les premières complications liées à des accumulations d'eau apparaissent dans le Brabant wallon ainsi que dans la région de Charleroi. En soirée, ce sont de fortes précipitations, avec parfois une composante convective, qui défilent sur la province de Liège, entraînant la mise en crue des premiers cours d'eau ainsi que des coulées de boue. Les pluies continuent de concerner une bonne partie de la Wallonie pendant la nuit, avant une trêve temporaire. Ce comportement est en partie lié à l'existence d'un axe de convergence en basse couche de la Rhénanie à la Champagne, avec au nord de ce dernier un flux de nord à nord-est y amenant de l'humidité. Au sud, le vent y est plus faible et variable. 

La carte ci-dessous montre le vent à 925 hPa (aux alentours de 800 mètres d'altitude) et cette convergence initiée par un flux assez rapide de nord-est tournant vers le massif ardennais (flèches dans les plages jaunes), ce flux y acheminant ainsi de l'humidité. Il n'est d'ailleurs pas impossible que la marge nord du massif ardennais ait contribué à accroître ce forçage à l'ascension des masses d'air y arrivant depuis le nord-ouest de l'Allemagne. Enfin, on y ajoutera le rôle de l'instabilité permettant le développement de cumulus et cumulonimbus enclavés dans les zones de précipitations (MUCAPE de 200 à 400 J/kg d'air), ceux-ci les intensifiant localement.

Flux à 925 hPa à minuit le 14 juillet selon Arome (source: Meteo France via Meteociel).
 
Radar de précipitations à 23h30 le 13 juillet. Les taches orange-rouge marquent de plus fortes intensités associées à de la convection et aux cumulus et cumulonimbus imbriqués dans la perturbation (source: Kachelmann Wetter).

Le lendemain matin, de nouvelles précipitations arrivant d'Allemagne envahissent la province de Liège qui est placée en alerte rouge par l'IRM, alors que des cumuls largement supérieurs à 50 mm sont déjà observés. Elles se répandent ensuite sur les provinces de Namur et de Luxembourg, assurant plusieurs heures de pluie continue à une bonne partie de la Wallonie. A la différence du 13 juillet et de la nuit du 13 au 14, les pluies sont ici plus régulières, portées par une perturbation plus classique.

Alerte lancée par l'IRM en début de matinée du 14 juillet.

Dans l'Entre-Sambre-et-Meuse, les premières inondations sont observées, notamment le long de l'Eau Blanche qui entre en crue, suivie par d'autres cours d'eau de la région à partir de la nuit du 13 au 14.

Dans l'après-midi du 14, la crue de la Vesdre atteint des niveaux qui n'avaient plus été vus depuis les années nonante, et ses abords commencent à être évacués en prévision de la montée des eaux. La phase de crise est déclenchée en province de Liège, suivie un peu plus tard par Namur puis par Luxembourg. En début de soirée, l'eau continue de monter, inondant de nombreuses localités le long de la Vesdre jusqu'à l'entrée de Liège. De manière générale, de nombreux cours d'eau au sud du sillon Sambre-et-Meuse sont en crue.

Sur le front de la situation atmosphérique, la dépression de surface sur l'ouest de l'Allemagne n'a pratiquement pas bougé en 24 heures, remontant juste quelque peu sur la Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

Analyse de surface du 14 juillet à 17h00 heure locale (source: DWD).

Cette dépression pilote une extension de l'air moite qui est présent sur l'Allemagne, alimentant les précipitations qui concernent non seulement l'ouest de ce pays, mais aussi l'est de la Belgique, le sud-est des Pays-Bas et le Grand-Duché de Luxembourg. La carte ci-dessous montre les valeurs d'eau précipitable, soit les pluies qui tomberaient si toute l'humidité de l'air était condensée. Il s'agit donc d'un indice de la charge en vapeur de l'atmosphère. Des valeurs de plus de 40 mm sont remarquablement élevées, et illustrent le caractère moite de la masse d'air qui est amenée sur la Belgique par la dépression rhénane.

Eau précipitable à 15h00 le 14 juillet (source: Meteo France via Meteociel).

Par rapport à la valeur normalisée, de tels paramètres présentent une déviation de 2 à 3 Sigmas au-dessus de cette normale (ou déviation standard), soit des valeurs appartenant aux pourcents les plus extrêmes parmi les observations historiques. Une telle donnée confirme le caractère exceptionnel de la quantité d'eau disponible dans l'atmosphère pour alimenter les précipitations.

Anomalie du contenu en eau précipitable de l'atmosphère à 8h00 le 14 juillet (source: Tropical Tidbits).

En altitude, la goutte froide sur le sud de la France a gagné les Alpes et, dans son mouvement, bloque la dépression de surface sur l'Allemagne. Sur son pourtour, des noyaux de divergence en altitude forcent la masse d'air humide à monter, d'où la condensation et les pluies importantes.

En soirée, après une relative accalmie de quelques heures, de nouvelles pluies descendent des Pays-Bas, avec un axe recueillant le gros des précipitations qui se déplace progressivement vers le centre du pays, en quittant la région liégeoise et l'est de la province en début de nuit du 14 au 15. Un nouveau noyau de divergence d'altitude se retrouve d'ailleurs à l'aplomb du pays en seconde partie de nuit. L'air en altitude accélère ainsi son mouvement au-dessus du centre et de l'est de la Belgique, créant un déséquilibre qui doit être corrigé par l'arrivée de masses d'air par en-dessous, donnant une ascendance synoptique (ou forçage).

Le niveau de moiteur de l'air est toujours très important. Sur la carte ci-dessous, l'anomalie d'eau précipitable atteint une déviation standard de 3 Sigmas par rapport à la moyenne, dénotant une masse d'air extrêmement chargée en humidité, concentrée en une panache sur le flanc ouest de la dépression rhénane et alimentant les précipitations transitant longitudinalement sur la Belgique. Ce panache est de plus entretenu par l'humidité issue de la mer du Nord, mais aussi des masses marines autour de la Scandinavie, concernée depuis plusieurs semaines par une vague de chaleur. On note également sur cette carte le flux convergeant à large échelle (vent de nord sur la mer du Nord, de nord-est sur le nord-ouest de l'Allemagne), participant aux ascendances synoptiques.

Flux à 700 hPa et anomalies d'eau précipitable à 2h00 le 15 juillet (source: AliciaMBentley.com)

Un peu d'instabilité (MUCAPE de 200 à 400 J/kg d'air) aide également à la formation de cumulonimbus enclavés (notamment par dégagement de chaleur latente), renforçant les précipitations. L'imagerie radar montre en effet et à nouveau la présence de taches orangées, signe d'une plus forte intensité des précipitations qui sont renforcées localement sous ces nuages convectifs. La force de la convection n'est cependant pas suffisante pour mener au déclenchement d'une activité électrique.

Radar de précipitations à 5h00 le 15 juillet (source: Meteo France via Meteociel).

En seconde partie de nuit et en matinée du 15, les précipitations sont ainsi particulièrement intenses sur l'est du Brabant wallon et la province de Namur. Il y tombe jusqu'à une quarantaine de millimètres de pluie en quelques heures, entraînant la mise en crue de plusieurs cours d'eau dans le centre et l'est du Brabant wallon et dans le Namurois. Le Samson connaît ainsi un débordement particulièrement important. Dans la région de Jemelle, les inondations prennent aussi une tournure conséquente.

Inondations spectaculaires à Pepinster au matin du 15 juillet (photo reprise sur la RTBF).

Dans la vallée de la Vesdre, les inondations prennent une ampleur dramatique, notamment à Verviers et Pepinster où l'on constate plus de trois mètres d'eau dans certaines rues, entraînant l'effondrement de plusieurs maisons. C'est également le cas dans l'ouest de l'Allemagne où les inondations sont très importantes, de même qu'au Grand-Duché de Luxembourg.

Dans la journée du 15, l'axe pluvieux se déplace sur le centre du pays, en concernant notamment la région bruxelloise et la région de Charleroi. Il se place en effet à l'ouest de l'occlusion qui délimite l'air très humide à son ouest de l'air moins humide à l'est. La dépression quant à elle n'a pas bougé, bloquée par la goutte froide en altitude qui est venue se positionner au-dessus de l'Allemagne.

Analyse de surface du 15 juillet à 11h00 heure locale (source: DWD).

Dans l'après-midi, une grande partie des cours d'eau de Wallonie sont en alerte ou en pré-alerte de crue, notamment la Meuse pour laquelle sont évoqués des niveaux qui n'avaient plus été atteints depuis les dernières grandes inondations des années nonante. Le Fédéral reprend la gestion de crise décrétée plus tôt par les provinces concernées et déclenche le niveau national du Plan catastrophe. 

Source: Service Public de Wallonie.

Le décalage des précipitations sur le centre du pays a pour effet d'y concentrer de nouveaux problèmes. A partir de la soirée du 15, l'Eau d'Heure entre en crue au sud de Charleroi, tandis que certaines villes comme Wavre se retrouvent inondées. A Namur et à Liège, la Meuse déborde ponctuellement de ses berges, mais la progressive stabilisation du débit écarte le risque d'inondations généralisées dans ces deux villes.

Du côté atmosphérique, la goutte froide allemande commence à perdre en vigueur, tarissant progressivement le panache de moiteur qui alimentait les précipitations. Dans la journée du 16, on n'observe ainsi plus que quelques averses passagères. Il faut cependant attendre les 17 et 18 juillet pour que les derniers cours d'eau en crue orientent enfin leur niveau à la baisse.

Synthèse des éléments atmosphériques en présence

En résumé, ces inondations exceptionnelles sont liées à un pattern atmosphérique particulier, à savoir une dépression "rhénane", bloquée sur l'ouest de l'Allemagne, qui rabat un panache de moiteur sur nos régions, ce dernier étant plus ou moins entretenu par l'humidité de la mer du Nord. On note que cette configuration n'est toutefois pas neuve, et a également été observée (et de manière parfois plus prononcée) lors des derniers grands épisodes pluvieux estivaux, notamment en août 1996 et en août 2010. Le potentiel de ce panache de moiteur est "converti" par la présence de divergences en altitude et de convergences en basse couche (dont celle du soir du 13 juillet vraisemblablement "aidée" par la marge nord de l'Ardenne), qui forcent ainsi l'air à s'élever et à condenser son contenu en humidité.

On peut, pour le cas présent, noter deux facteurs aggravants. Le premier s'est déjà vu lors d'autres épisodes, il s'agit du dégagement de chaleur latente entretenant des cumulonimbus enclavés, ceux-ci résultant de la présence d'une faible mais suffisante instabilité. Ces cumulonimbus, sans aller jusqu'à l'orage, multiplient cependant et localement le débit de conversion de l'humidité en précipitations. Leur défilement sur les mêmes régions accroît donc considérablement les cumuls de pluie.

Le second est particulier, il s'agit de la chaleur présente en Scandinavie depuis plusieurs semaines, répercutée aussi au niveau des étendues marines. Ainsi, la mer du Nord a pu s'associer à la mer Baltique pour entretenir le panache de moiteur.

S'il a sans doute une part de responsabilité, l'impact du réchauffement climatique est difficile à cerner précisément, et l'importance de la part en question peu aisément quantifiable. Avec ou sans réchauffement, ces inondations se seraient produites, avec une ampleur plus ou moins similaire. Notons toutefois deux choses:
  • Un principe de la physique: une masse d'air plus chaude a une contenance maximale en humidité plus grande; il est donc possible de dire que notre atmosphère plus chaude voit son réservoir d'humidité potentiel s'accroître aussi.
  • Depuis longtemps déjà, il est connu que le réchauffement climatique est plus fort au pôle qu'à l'équateur, entraînant une diminution du différentiel thermique moyen entre ces deux espaces. Le Jet-stream étant un vent thermique et fonctionnant grâce à ce différentiel, ce dernier s'en trouve affaibli et tend à produire des méandres, certains d'entre eux pouvant par moments se bloquer au-dessus d'une partie d'un continent, et notamment former, par détachement, les fameuses gouttes froides.
On synthétisera donc ces propos en mettant l'accent sur la concordance dramatique de déterminants météorologiques au-dessus de la Belgique et de l'ouest de l'Allemagne, à laquelle s'ajoute une part explicative liée au réchauffement climatique et ses impacts.

Une dernière pensée nous vient à l'esprit au moment de terminer cet article. Cette tentative d'explications ne pourra pas atténuer la détresse des personnes sinistrées et/ou ayant perdu un proche au cours de ces journées dramatiques. Si toutefois nous pouvions apporter à notre niveau un peu de réconfort, ce serait de dire que de telles crues, et notamment celle de la Vesdre, sont sans doute des événements - malheureux - ne se produisant statistiquement qu'une fois au cours d'une vie.

dimanche 20 juin 2021

18/06/2021: Une nuit d'orages spectaculaires

Pour faire une saison réussie, les orages nocturnes sont à mes yeux indispensables. La nuit du 17 au 18 juin fut donc l'occasion de retrouver les ambiances si particulières, tantôt fascinantes, tantôt menaçantes, des stroboscopes célestes. 

En quittant mon domicile vers 23h00, j'ignorais alors que je m'embarquais dans une chasse jusqu'aux premières lueurs du jour. De prime abord, un orage très actif qui progressait sur l'est de l'Aisne constituait le premier élément d'attention. Alors que je me place près de Sombreffe, les lueurs orangées sont bien visibles au lointain horizon sud-sud-ouest. L'heure tournant, l'orage franchit la frontière, ravit les chasseurs présents en Entre-Sambre-et-Meuse et exhibe une solide organisation supercellulaire. Autre signe d'un orage peu commun, le tonnerre est parfaitement audible, très sourd, alors que le foyer est encore à la frontière. Ca fait tout de même un paquet de kilomètres...

Toutefois, la bestiole semble de plus en plus viser le nord du Namurois, où j'ai quelques bons spots. Son déplacement étant relativement lent, je peux aisément aller me replacer juste au nord de Gembloux pour assister à l'arrivée du monstre, sa signature électrique laissant entrevoir une grosse vigueur au sein de ce cumulonimbus débridé.

Avec un peu d'effort, on devine la tour d'alimentation de l'orage, et je croirais discerner la structure magnifique l'ayant accompagné dans son transit en Entre-Sambre-et-Meuse... L'image suivante montre la chute d'un extraordinaire coup de foudre positif parti de l'enclume de l'orage. Evidemment, l'appareil photo n'était pas du tout paramétré pour capter ce genre de chose...

En abordant la Basse Sambre, ce foyer si prometteur semble commencer à perdre de sa superbe. En échange, l'activité électrique très intense et intranuageuse faiblit progressivement en laissant la place à un festival d'internuageux. Les photos suivantes sont prises entre 0h55 et 1h10 (cliquer dessus pour un affichage avec une meilleure résolution):







Passé 1h15, ce foyer arrive à mon niveau, mais est vraiment à l'agonie. Rares sont les éclairs, mais ces derniers valent la peine qu'on leur consacre de l'attention:

Dans les minutes qui suivent, les restes de la cellule laissent tomber une petite pluie sur mon point d'observation, avant de reprendre vigueur en se dirigeant vers Jodoigne, avec une activité électrique somme toute modérée. A l'inverse, de nouveaux clignotements bien plus insistants se faisaient à nouveau entrevoir à l'horizon sud-sud-ouest.

Vers 2h15, cette nouvelle cellule transite sur la région de Philippeville et de Florennes en arborant une structure dantesque, digne des supercellules américaines. En effet, nous avons à nouveau affaire à un orage peu ordinaire.

Depuis Ernage, rien de tout cela n'est visible. Par contre, l'activité électrique devient très intense, avec un éclair toutes les une à deux secondes.

Par moments, des internuageux rampent sous l'enclume ou jaillissent à l'avant du noyau dur. Un tel comportement de l'activité électrique est signe d'un orage très organisé.

Quand ce ne sont pas des coups de foudre, rares mais souvent positifs, qui se manifestent:


Une petite vidéo pour donner un meilleur aperçu de la cadence électrique:

La débauche d'énergie de ce mastodonte est impressionnante, impression renforcée lorsque, peu avant 3h00, l'approche finale de cet orage s'accompagne d'un tonnerre continu et puissant. De quoi se sentir tout petit dans l'attente de la claque:

Finalement, le noyau dur m'évite d'un ou deux kilomètres, alors que je m'attendais au pire vu l'activité. Une pluie forte mais non diluvienne s'abat sur mon point d'observation, tandis que le ciel s'illumine pratiquement en continu. Une fois le coup de tabac passé, je quitte Ernage pour suivre cette furie sur ses talons, à distance toutefois raisonnable... Et en prenant garde aux nombreuses accumulations d'eau sur la route de Thorembais. 

A Thorembais justement, je tombe sur François par le plus grand des hasards. Entre-temps, j'avais repéré dans mon rétro une troisième salve envoyée par l'Entre-Sambre-et-Meuse qui, à l'instar du second orage qui s'en va cogner l'est du Brabant wallon, se renforce en atteignant la Basse Sambre. Nous nous repositionnons rapidement sur un point de vue au nord-est de Thorembais pour accueillir ce troisième orage. A la différence des deux premiers, il me laisse deviner des structures nuageuses imposantes à la lumière de son activité électrique qui monte en puissance. Celle-ci est par ailleurs, à l'inverse du second orage, totalement intranuageuse.


Bien qu'hybride, ce troisième orage laisse suspecter la présence d'un mésocyclone au sein de ces masses menaçantes, et donc une origine à nouveau (possiblement) supercellulaire. Une rotation semble se deviner en passant le paquet de photos que je prends avant l'arrivée du grabuge, mais difficile d'être absolument catégorique...

Après un repli dans la voiture alors que l'arcus nous fonçait dessus (il commencera à dracher juste après), nous laissons passer ce troisième coup de tabac, avec personnellement une impression de puissance qui égale pratiquement celle du second orage. Cette fois, la pluie est diluvienne et le vent s'y met aussi. Côté activité électrique, ce n'est pas en reste, loin de là, très similaire à l'orage précédent.

Le noyau dur passe assez rapidement et s'éloigne vers Jodoigne, tandis que les toutes premières lueurs de l'aube commencent à se faire voir. Il est en effet passé 4h00 du matin, et il y a une journée de boulot à assurer dans quelques heures! Après un rapide débrief avec François qui a l'air aussi fatigué que moi, je reprends la route vers Namur. L'aube s'affirme, les premiers oiseaux gazouillent, et dans mon rétro, le show céleste s'éloigne en Flandre avec sa kyrielle d'éclairs. Encore une nuit que je n'oublierai pas de si tôt...