jeudi 18 janvier 2024

17-18 janvier 2024: Faits et méfaits d'un épisode hivernal remarquable

C'est donc en janvier 2024 que le centre de la Belgique aura renoué avec la neige en quantités significatives. A la fin de l'épisode, les hauteurs relevées à 7h00 le 18 sur le réseau officiel en attestent:

  • Bierset (Liège): 14 cm
  • Beauvechain (Brabant wallon) et Florennes (Namur): 12 cm
  • Uccle (Bruxelles) et Zaventem (Brabant flamand): 11 cm
  • Gosselies (Hainaut): 10 cm 

 

La campagne de Fernelmont (province de Namur) à l'heure bleue le matin du 18 janvier (auteur: Le Chroniqueur météo).
 
Une large partie du nord de la Wallonie a ainsi reçu davantage de neige que le sud, alors que ce dernier est plus haut en altitude, inversant dès lors la "logique" hivernale qui veut qu'il neige davantage plus on monte. A l'inverse, le sud de la Belgique a connu des pluies verglaçantes parfois de longue durée. En Lorraine belge par exemple, au matin du 17 janvier, il pleuvait par -5°C. Cela n'aura d'ailleurs pas été la seule inversion météorologique, ces faits devant leur existence à une situation atmosphérique bien particulière.

La Belgique et le nord de la France se sont retrouvés sous un conflit de masses d'air, entre de l'air d'origine polaire au nord, et de l'air d'origine maritime subtropicale au sud. Ce conflit est matérialisé par un front, ou plutôt une série de fronts, comme le montre l'analyse de surface du Met Office anglais le 17 janvier à 13h00. Ils sont rattachés à une dépression nommée Irène arrivant de l'Atlantique.

Source: Met Office via Wetter3

A cette heure, l'air doux remontait toujours sur la France en direction du nord, et le front, qui fait la limite de cette masse, est donc dessiné comme un (double) front chaud. Or, dans ces fronts, l'air froid tend bien souvent à faire de la résistance dans les basses couches, notamment lorsque le flux est relativement faible (ce qui fut le cas ici), et finit par se faire surplomber par l'air plus doux. Se forme alors une inversion de températures. Il s'agit d'un phénomène habituel des fronts chauds. Le schéma ci-dessous résume bien cela.

Source: 
https://pba.asso.fr/old/index.php?option=com_content&view=article&id=6&Itemid=12

Le tout est de savoir à quelle température va se retrouver ce "nez chaud" qui surplombe l'air froid dans les basses couches, à température négative dans ce cas-ci. En effet, en matinée du 17 janvier, il gelait en de nombreux points du nord de la France et de la Belgique. La structuration thermique de l'atmosphère entre le sol et 2-3 km d'altitude devient alors d'une importance capitale pour prévoir le type de précipitations hivernales qui va tomber... Et les conséquences parfois franchement néfastes sur le réseau routier.

Si le "nez chaud", qui se promène souvent entre quelques centaines et 2000 mètres d'altitude, est à température négative, la neige qui tombe depuis l'altitude le traverse sans problème, retombe ensuite dans l'air encore un peu plus froid, et finit par former une belle couche de neige au sol. Si par contre, ce nez est à température positive, les flocons y fondent, forment de la pluie, qui retombe ensuite dans la pellicule où l'air gèle... Apparaît alors le redoutable verglas. Le schéma adapté ci-dessous montre, en très résumé, la situation atmosphérique entre le centre de la Belgique et le nord-est de la France en début de journée du 17.


Au fur et à mesure de la journée, ce nez chaud a pris de l'ampleur, s'abaissant au sol et y provoquant le dégel... Mais pas partout! Nous en parlions ainsi sur X en fin de matinée:


Aidé par le radoucissement lié à l'évolution diurne et un peu de turbulence, le nez chaud a fini par prendre "racine" au sol presque partout sur le sud du pays. Ainsi, en milieu d'après-midi, de la neige était observée en Hesbaye au nord de Namur, tandis qu'à Ciney, au sud-est de la capitale wallonne, il... pleuvait, cette fois sans verglas grâce aux températures devenues légèrement positives au sol. Voici ce que ça donnait en coupe atmosphérique.


Ici se trouve l'explication de la plus importante couche de neige observée à Bruxelles et dans le nord de la Wallonie par rapport à l'Ardenne (à l'exception des Hautes Fagnes). Au nord du front, la neige n'a cessé de tomber au fil des heures, tandis que celle-ci n'a pris le relais des pluies (verglaçantes) sur le sud de la Belgique que bien plus tard, lorsque l'air froid, poussant à nouveau du nord, a renvoyé le front en direction de la France et du Luxembourg.

Au final, et par exemple, le sud-est de Namur a quelque peu rattrapé son retard sur le nord-est. Au matin du 18, on mesurait ainsi 14 cm de neige à Fernelmont, à 15 km au NE de Namur, tandis qu'Erpent, en périphérie sud-est de la ville, en récoltait 11.

Autre inversion météorologique, celle des températures minimales le 18. Avec le dégagement du ciel en fin de nuit sur la Moyenne Belgique (la Haute Belgique étant encore ennuagée par la perturbation en cours de retrait), les températures ont plongé, notamment dans le Hainaut où elles sont passées sous -10°C. Exemple à Chièvres ci-dessous.

Source: IRM

Et en carte, à présent, avec les températures observées à 10h00.

Source: Infoclimat.

Comme classiquement dans ces conditions, ce froid cinglant n'était observé que dans les premiers mètres de l'atmosphère ou, pour le dire plus simplement, tout près du sol. La nuit, un ciel dégagé permet à ce sol, rayonnant surtout en infrarouge (on passera outre les explications physiques du phénomène), de se refroidir plus rapidement que l'air situé au-dessus. Or ici, avec la présence de la couche de neige, ce phénomène est exacerbé. Neige + ciel se dégageant juste en fin de nuit est ainsi l'équation qui explique pourquoi les températures ont brutalement plongé du Hainaut à la Campine... Et ont continué de descendre alors que le soleil se levait, jusqu'à ce que ce dernier soit suffisamment "haut" dans le ciel pour contrecarrer cette dégringolade thermique.

De plus, cet air froid, plus lourd, a tendance - et c'est de nouveau un phénomène très classique - à "couler" vers les points les plus bas en l'absence de vent, expliquant de belles différences de températures sur de faibles distances. Ainsi, par exemple, peu après 9h00, on observait -4°C au niveau de l'E42 près d'Andenne (est de Namur), à environ 200 mètres d'altitude, tandis qu'à Fernelmont, vers 180 mètres, le thermomètre était à -8°C (l'auteur de cet article aura même trouvé du -9°C en passant dans un petit vallon dans l'est de la commune). Il y a à peine 2 ou 3 km entre les deux...

Pour terminer, le ciel souvent lumineux du 18 janvier aura permis de profiter d'un spectacle devenu rare dans nos régions; celui d'une belle couche de neige sous un franc soleil, alors que les conditions de circulation revenaient (plus ou moins lentement selon les endroits) à la normale.

Le Sart Tilman (Liège) sur le temps de midi du 18 janvier, sous une bonne quinzaine de centimètres de neige (auteur: Le Chroniqueur météo).



samedi 4 novembre 2023

Records en Bretagne et tornade à Jersey: les dessous de la tempête Ciaran

Première grande tempête de l'année, Ciaran laissera des traces matérielles en Bretagne et Normandie, mais aussi des statistiques pour l'histoire météorologique du nord-ouest de la France. Dans cet article, nous explorons deux sujets:

  • Avec ses records, Ciaran peut-elle être considérée comme une tempête historique?
  • Comment la tornade de Jersey a-t-elle pu survenir?

 

mercredi 26 juillet 2023

Les vacances et le mauvais temps

Le propre de notre climat tempéré, c'est de connaître des variations de météo parfois très prononcées, et ce aussi en été. Si les coups de chaleur et les canicules font partie de notre histoire météorologique, les coups de fraîcheur, les épisodes pluvieux conséquents, voire les mois entiers complètement ratés en sont aussi. Le présent article passe en revue une série de périodes de temps vraiment mauvais en été.

Août 1996

C'est tout simplement le mois le plus pluvieux depuis que l'on fait des mesures à Uccle, avec 231 mm. Aucun mois, quelque soit son moment dans l'année, n'a fait mieux à ce jour! S'il pleut déjà en grande quantité tout son long, ce sont surtout les 28 et 29 août qui comportent un épisode historique, avec en quarante-huit heures:

183 mm à Hombourg (Liège)
130 mm à Ernage (Namur), La Hestre (Hainaut) et Landelies (Hainaut)
129 mm à Auvelais (Namur)
128 mm à Blanmont (Brabant wallon) et à Mornimont (Namur)
121 mm à Marbais (Brabant wallon)
113 mm à Uccle (Bruxelles)

Il s'en suit des crues de nombreux cours d'eau, à la base de dégâts. Seule la Lorraine belge échappe au déluge. Cet événement est lié à une dépression qui vient se coincer sur les Pays-Bas, avec son occlusion bloquée sur nos régions. Le vent est également notable compte tenu du gradient de pression resserré, avec 108 km/h à Middelkerke et 90 km/h à Gosselies. Durant ces deux jours, les maximales dans la plupart des stations ne dépassent pas 13 à 15°C. Un véritable coup de vent diluvien (non-)estival!

Juillet 2000

Il fait encore office, aujourd'hui, d'archétype de tout ce que la météo peut nous offrir de pourri en été. Et pourtant... ce mois commence bien: de 20 à 25°C jusqu'au 6, date à laquelle des orages éclatent. Mais dès le lendemain, c'est la débandade: de l'air polaire maritime s'infiltre sur le pays. Sous un temps sombre et bruineux, Uccle enregistre une maximale de 14,3°C. Inutile de dire que c'est incroyablement frais pour un début juillet. A la suite, ce sont dix jours d'affilée pendant lesquels le mercure ne dépasse jamais les 20°C!

Le 11 juillet est extraordinairement froid. Le soleil ne se montre pas de la journée, il pleut en continu, et le thermomètre à Uccle ne dépasse pas 13,4°C. Le lendemain, c'est à peine mieux: 16,8°C grâce à quelques éclaircies. En altitude, les températures à 500 hPa (vers 5,5 km d'altitude) sont proches des records de froid connus à cette date avec -24°C.

Du 18 au 31 juillet, les températures ne passèrent que huit fois la barre des 20°C, sans jamais atteindre 25.

Au final, avec une moyenne de 15,3°C à Uccle, c'est un déficit thermique qualifié d'exceptionnel qui est acté. La moyenne 1980-2010 de juillet est en effet de 18,4°C... L'ensoleillement est exceptionnellement mauvais, à des niveaux records, avec seulement 93h05 et la pluviométrie est très élevée avec 133 mm au total. Entre le 5 et le 18, il a pratiquement plu tous les jours.

La carte du 11 juillet 2000 est assez symptômatique des coups de fraîcheur de ce mois de juillet pourri: des dépressions dans nos parages, un anticyclone sur l'Atlantique, et entre les deux, un toboggan d'air maritime polaire venu du nord ou du nord-ouest selon le placement des centres d'action tout au long de ce mois (source: Meteociel).

Eté (août) 2002

Il est marqué par de régulières abondantes précipitations orageuses qui donnent un cumul de 341 mm à Uccle sur l'été climatologique (juin, juillet août). Il s'agit alors du cinquième été le plus pluvieux depuis 1833, détrôné depuis par 2014. Le mois d'août voit tomber 172 mm de précipitations à Uccle.

Août 2006

Ce mois exceptionnellement pluvieux, sombre et orageux succède à un mois de juillet 2006 caniculaire. Le pluviomètre de Uccle récolte 202 mm de précipitations sur tout le mois, ce qui est exceptionnellement élevé. L'ensoleillement, très exceptionnellement déficitaire, établit un nouveau record pour août avec seulement 97 heures de soleil toujours à Uccle. Aucune fois la température n'atteint 25°C. Les orages et les averses diluviennes sont légion tout au long du mois.

Du 11 au 14 août, averses et orages sont dopés par un air extrêmement froid en altitude pour la saison: on note -21°C à 5,5 km d'altitude. Le 13 août, un violent orage sur la côte foudroye une personne sur la plage de Blankenberge et provoque de multiples inondations et dégâts. Le 17, c'est un autre et spectaculaire orage de grêle qui laisse la plage de Zeebrugge sous un tapis de grêlons.

La dernière décade est encore pire. Le 21, dans une atmosphère chaotique marquée par de nombreuses averses orageuses, une tornade se produit près de Huy. Le 24, c'est le déluge par endroits, avec 67 mm de pluie en vingt-quatre heures à Nadrin (province de Luxembourg). Le 29 août, c'est une autre tornade d'assez forte intensité qui est observée dans la région de Tubize. Pourtant, il ne fait que 17°C au sol, mais avec la présence d'un air à 3°C à 1,5 km d'altitude, autant dire que l'atmosphère est bien instable dans les basses couches.

Pour avoir une idée de cette météo peu glorieuse, on pourra consulter l'article de Météo Belgique au sujet de l'été 2006: https://www.meteobelgique.be/article/articles-et-dossier/le-climat/81-climats-dhier-et-daujourdhui/1663-ete-2006.html

 Quelques éclaircies au-dessus de la région de Charleroi l'après-midi du 28 août, chose peu vue au cours de ce mois. Toutefois, les cumulonimbus et les mammatus menaçants rappellent que le grabuge n'est jamais bien loin... Copie d'une photo prise à l'époque (auteur: Le Chroniqueur météo).

Août 2010

C'est un mois qui ressemble à celui d'août 1996: pluvieux de tout son long (187 mm à Uccle, le triple de la normale) et couplé à un ensoleillement médiocre, mais avec un épisode remarquable, sinon exceptionnel, en son sein. Du 15 au 17 août, une dépression se coince entre Pays-Bas et Allemagne, bloquant son front occlus sur nos régions. Il tombe 104 mm de pluie à Uccle sur ces trois jours, 107 mm à Floriffoux en province de Namur et à la Plate Taille en province de Hainaut, mais aussi plus de 100 mm en Champagne-Ardennes en deux jours!

Juillet 2011

Juillet 2011 a laissé un mauvais souvenir aux vacanciers. Très changeante, la météo a cependant davantage tiré vers le mauvais. La moyenne thermique du mois, 16,0°C, est de 2,4°C inférieure à la normale 1980-2010. Ce n'est pas aussi mauvais que juillet 2000, mais on n'en est pas si loin. L'ensoleillement, en déficit d'une soixantaine d'heures, est signe d'un ciel souvent gris et régulièrement accompagné de pluie légère. Il est ainsi assez étonnant de constater que le total pluviométrique du mois est inférieur à la normale, par contre le nombre de jours de pluie est supérieur à la moyenne. En clair, il pleuvait souvent, mais faiblement en général.

L'illustration jointe montre les relevés à Uccle, jour après jour. On remarque que le 5 juillet est le seul jour au cours duquel la température dépasse 25°C. Normalement, le mercure est censé le faire 9 fois au cours d'un mois de juillet classique. On note aussi que jusqu'au 12 juillet, les températures étaient généralement proches de la normale ou légèrement inférieures. La chute commence le 13. Ce jour, sous un ciel uniformément gris et une pluie continue, la maximale ne dépasse pas 15,4°C à Uccle. Et par endroits dans le pays, il fait encore plus froid: seulement 13,7°C à Gosselies et 13,6°C à Bierset!

Le 14 est encore plus froid: 14,3°C à Uccle, 13,7°C à Gosselies et 13,4°C à Bierset. A l'aérodrome de Spa, il ne fait pas plus de 10,7°C. A nouveau, le temps est couvert une bonne partie de la journée, avec de la bruine ou de la pluie faible. Le lendemain, les maximales sont de saison (22-25°C) sous de belles éclaircies. Le yoyo se poursuivra tout le reste du mois, avec un 30 juillet à nouveau particulièrement frais et humide.

Enfin, la pression moyenne, 1013 hPa et exceptionnellement basse, donne un indicateur sur l'état de l'atmosphère. Tout au long de ce mois, nous n'avons jamais été bien loin des dépressions et autres perturbations.

L'été 2011 est par ailleurs dans son ensemble fort pluvieux, avec 317 mm de précipitations cumulées à Uccle. Le seul mois d'août, moins frais que juillet mais pas franchement estival, en compte à lui seul 189 mm.

Source: Ogimet.

Août 2014

Lui non plus n'a pas laissé un souvenir impérissable. Avec un déficit de 1,8°C par rapport à la moyenne normale (période de référence: 1980-2010), il est considéré comme très anormalement frais. Ce sont surtout les maximales, bien trop basses, qui entraînent ce déficit. D'ailleurs, si l'on prend la moyenne des températures maximales de ce mois d'août, elle est considérée comme très exceptionnellement basse, la plus froide depuis trente ans. Vu que les températures les plus élevées d'une journée d'été sont généralement mesurées dans l'après-midi, on comprendra le goût particulièrement amer que laisse ce mois d'août 2014 à la population.

Outre cela, l'ensoleillement est à la cave: le ciel est souvent gris, menant à une insolation anormalement déficitaire. Les précipitations sont anormalement excédentaires, en quantité et en nombre de jours.

Le 1er août fut le seul jour d'été avec une maximale de 26,2°C à Uccle. La suite fut une succession de perturbations régulièrement orageuses: les 3, 8 et 10 août notamment furent marqués par des orages parfois très actifs. 

Ce qui frappe aussi, c'est le nombre de tornades observées dans notre pays pendant ce mois. Le 8, on en signale trois: à Jalhay (modérée), à Glimes-Jauchelette (modérée) et à Manhay (particulièrement forte, avec de nombreux dégâts à la clé). Le 10, deux tornades frappent la région de Charleroi, une à Gozée et l'autre, particulièrement esthétique, entre Fleurus et Sombreffe. Deux autres sont suspectées à Marbay (province du Luxembourg) et à Warêt-l'Evêque (province de Liège). D'autres tourbillons de moindre intensité se produiront le reste du mois.

Côté ciel, ce fut loin d'être glorieux. Les 13 et 14, on observe de fortes précipitations sur certaines régions, et avec un temps parfois très frais. Pendant 13 jours, du 14 au 26, la température ne dépasse jamais les 20°C à Uccle, ce qui est absolument exceptionnel. De même, du 14 au 31, de la pluie est observée tous les jours... Les 25 et 26 août, il tombera en 48 heures 80 mm de pluie à Chièvres, 73 mm à Bierset et 64 mm à Beauvechain.

L'été 2014, avec 348 mm de précipitations cumulées à Uccle, se classe à la cinquième place des étés climatologiques les plus pluvieux depuis 1833.

Coucher de soleil sur la Flandre française dans un ciel fort nuageux le 28 août, en guise de synthèse de ce mois absolument pas estival (auteur: Le Chroniqueur météo).

Juillet et août 2016 

A deux reprises, les vacances 2016 nous ont offert deux périodes fraîches, pour ne pas dire froides au vu des records de température maximale basse enregistrés notamment en août. Le 10 août est déjà fort frais: 15,1°C à Uccle, 16,6°C à Gosselies, 14,9°C à Humain... Mais c'est le lendemain, le 11, que les records tombent: 14,6°C à Uccle en maximale, c'est du jamais vu sur les cent dernières années. Ailleurs, on note 14,7°C à Gosselies et 15,4°C à Bierset, le tout sous un ciel complètement couvert et donnant de temps à autre de la pluie. Pour la petite histoire, deux semaines plus tard, ce seront des records de chaleur qui tomberont... Faisant au final finir août dans la normale d'un point de vue thermique.

Maximales du 11 août 2016: seul l'ouest du pays échappe à la fraîcheur record qui concerne le centre et l'est (source: Infoclimat).

Juillet et surtout août 2021

Après plusieurs années marquées par des étés chauds, 2021 ne présente aucune vague de chaleur officielle. Mieux encore, aucun jour de chaleur (> 30°C) n'est observé à Uccle, ce qui tranche singulièrement avec les étés précédents. Juillet est marqué par des inondations dramatiques en Wallonie et en Allemagne au milieu du mois de juillet, mais c'est surtout août qui passe pour particulièrement maussade. L'été 2021 est par ailleurs et de loin le plus pluvieux depuis que l'on fait des mesures de pluviométrie à Uccle.

Côté thermique, si juillet avait été relativement proche des normes, août 2021 fait montre d'un déficit anormal de 1,5°C, tandis que l'ensoleillement est lui aussi déficitaire d'une bonne cinquantaine d'heures. A ce jour (2023), août 2021 est le dernier mois "pourri" de la période des grandes vacances, bien qu'il fasse pâle figure par rapport à des mois d'été vraiment mauvais comme août 2014 ou juillet 2011.

Plus loin dans le temps...

Quand on remonte les années, on trouve à la charnière entre les années septante et quatre-vingt une série d'étés absolument désastreux.

Juin-juillet 1980

C'est le déluge au coeur d'un été répugnant. Du 20 juin au 21 juillet, il tombe 241 mm de pluie à Uccle, pratiquement le tiers de ce qui tombe en moyenne sur une année entière! Sur une période de trente jours, c'est d'ailleurs le record d'abondance de précipitations du 20ème siècle. Certains cours d'eau entrent en crue, mais c'est véritablement le 21 juillet que ces inondations prennent une ampleur démesurée. Les 19 et 20 juillet, la quarantaine de millimètres de pluie tombée sur des sols qui dégorgent déjà est la responsable de ces crues. 

La carte du 20 juillet 1980 jointe à ce billet montre des bas géopotentiels (en vert-bleu) entretenant des dépressions britanniques très actives, poussées par un flux d'ouest rapide. Quand ce flux s'interrompt, c'est pour isoler des gouttes froides sur nos régions, ces dépressions fermées et qui ne se déplacent que lentement. Dépression britannique ou goutte froide, le résultat est le même: une succession de perturbations génératrices de pluies abondantes! 

A noter que l'été 1980 est le quatrième d'une série de hautes saisons médiocres, voire franchement pourries. Il est d'ailleurs à ce jour le dernier vrai été complètement mauvais, aucune saison estivale n'ayant été mauvaise de bout en bout depuis lors (seulement un mois, un mois et demi au maximum).
 
Source: Meteociel

Eté 1992

C'est tout simplement l'été le plus pluvieux jamais enregistré en Belgique depuis le début des mesures en 1833, avec 365 mm de pluie cumulée sur les mois de juin, juillet et août.


Voir aussi: https://lechroniqueurmeteo.blogspot.com/2014/09/anthologie-de-la-desinformation.html

Chroniques d'un mauvais mois d'août (2014)

samedi 11 mars 2023

"Qui pourrait imaginer que nous sommes à quelques jours du printemps..." - L'extraordinaire épisode neigeux de mars 2013

" Qui pourrait imaginer que nous sommes à quelques jours du printemps... "

Cette phrase mi-sarcastique mi-fataliste, c'est David Pujadas qui la prononce à l'ouverture du 20h00 de France 2 du 12 mars 2013, journée qui vient d'entrer avec fracas dans l'histoire météorologique française, mais aussi belge. Le nord de l'Europe grelotte, plongé dans un véritable blizzard - et cette fois, le mot n'est pas usurpé - alors qu'au sud, le printemps chante déjà gaiement.

Le sentiment qui prévaut alors que le printemps climatologique est commencé (même dans une partie de la communauté météo), c'est une forme de fatigue, de lassitude générée par un hiver qui n'en finit pas. Ce fut aussi le cas pour l'auteur de ces lignes, Belge, pourtant pas indifférent à un bon plâtrage et à un froid autre que l'habituelle humidité désagréable de la moyenne climatologique saisonnière.

Parce que l'hiver 2012-2013, en tout cas en Belgique, il a commencé dès début décembre, et hormis quelques rares intermèdes doux (dont un plus long aux alentours de Noël - on ne change pas les "traditions"...), il se maintient dans une constante froide et neigeuse passé le Nouvel An. 

En effet, si décembre fut normal, janvier et février ont été tous les deux sous les normes thermiques de l'époque, notamment le second, considéré comme anormalement froid. Au niveau statistique, la neige ne fut pas en reste non plus. 13 jours de présence à Uccle (siège de l'IRM à Bruxelles) en janvier (normale: 4,2) et 11 en février (normale: 5,2).

Le campus du Sart Tilman, sur les hauteurs de Liège (Belgique) le 8 février, photo du Chroniqueur. Un paysage presque devenu banal en cet hiver 2012-2013...

Durant les premiers jours de mars pourtant, la situation change du tout au tout: de l'air chaud atteint la Belgique, et amène les premières belles journées de l'année 2013. Le 6 mars est le plus chaud depuis le début des observations à Bruxelles en 1833: on relève 19,5°C comme température maximale dans l'après-midi. Cette douceur se poursuit les jours suivants dans un contexte plus humide. Le printemps semble s'être installé définitivement. 

C'est cependant à croire que la météo ne connaît pas la pitié cet hiver... Alors que la population profite du beau temps, les modèles ont déjà bien en vue la seconde quinzaine de mars. Plus au nord, l'air sibérien commence une nouvelle fois à bousculer l'air doux. Un important conflit marqué par un front très organisé se dessine alors...

La nuit du 9 au 10 mars, ce front descendant du nord arrive en Belgique, poussé par l'air continental polaire. Les températures s'effondrent d'une dizaine de degrés en quelques heures, et la pluie qui avait commencé à tomber en soirée est rapidement remplacée par de la neige au-dessus de 150 mètres. Quelques centimètres se déposent au passage de la perturbation. Une avant-garde...

Le 11 mars, le front s'arrête sur le nord de la France, bloqué par l'air doux. Le contraste de températures est saisissant: alors que les deux tiers sud de l'Hexagone sont au printemps, le nord de celui-ci et la Belgique replongent en plein hiver. Sur 150 km, la différence de température est parfois de 10°C. Cette différence est encore plus importante en altitude. Ainsi, à 850 hPa (+/- 1550 mètres), il fait -11°C au-dessus de la côte sud des Iles britanniques et +1°C au-dessus du Mont-Saint-Michel. Au nord du front, la neige tombe en rafales de nord-est, rendant le ressenti particulièrement désagréable.

En parallèle, une dépression nommée Xaver arrive de l'Atlantique et vient se heurter à la limite stationnant sur le nord de la France. Elle renforce ainsi le contraste de températures mais aussi l'activité de la perturbation. Une offensive neigeuse de longue durée se déclenche en soirée du 11 mars et va concerner le nord de la France, la Belgique, le Luxembourg et une partie de l'Allemagne pendant près de vingt-quatre heures. C'est l'épisode neigeux le plus important de l'hiver en beaucoup de régions. En prévision de cet événement, l'IRM émet une alerte rouge pour la Wallonie et, côté hexagonal, c'est une partie de la Normandie qui est placée au même niveau.

Le creusement de la dépression Xaver à même la France renforce le gradient barométrique entre elle et un anticyclone entre Irlande et Islande, donnant un coup de vent, voire de véritables rafales tempétueuses sur les côtes de la Manche.

La neige est ainsi soufflée par le vent de nord-est, ce qui engendre la formation d'importantes congères, et ce même dans les terres. Dès le début de nuit, un immense territoire courant de la Normandie à la Belgique et s'étendant jusqu'à l'Île-de-France au sud se voit progressivement mis à l'arrêt par des congères se formant rapidement.

Source: France 2 - INA.

Côté belge, les températures enregistrées en matinée du 12 sont de plus fort basses, comprises entre -3 et -6°C. Il n'en faut pas plus pour bloquer les réseaux de transports. A l'heure de pointe matinale, on compte 1600 km d'embouteillages à travers toute la Belgique. A 10h00 le 12 mars, hors congères qui atteignent parfois le demi-mètre, on mesure 13 cm de neige à l'aéroport de Charleroi. L'auteur de ces lignes, habitant à l'époque dans Liège, découvre une ville aux rues d'habitude animées cette fois pratiquement désertes.

C'est en France que l'on retrouve les images les plus spectaculaires, avec par exemple 20 cm de neige dans les rues de Amiens, en-dehors des congères. Dans les départements de la Manche et du Calvados, épicentre de l'épisode et placés en vigilance rouge, des quantités énormes de neige (par endroits plus de 30 cm), soufflées par le vent violent formant des congères, entraînent une paralysie quasi-totale des transports. Certains villages se retrouvent ainsi isolés, parfois privés d'électricité puisque ce sont plusieurs dizaines de milliers de foyers qui sont sans courant suite à la destruction de lignes électriques sous le poids de la neige.

Source: France 2 - INA.

En Belgique, dans l'après-midi, la perturbation commence à s'affaiblir et ne concerne plus que la Wallonie. Là où la neige s'arrête de tomber, les épaisseurs (desquelles il faut retrancher la couche initialement présente) établissent parfois des records pour un mois de mars, comme les 13 cm mesurés à Uccle sur le site de l'IRM. On mesure également 8 cm de neige à Bierset, 13 cm en périphérie de Namur, 15 cm à l'aéroport de Charleroi. Localement, hors congères, la couche de neige frôle parfois les 20 cm d'épaisseur. Néanmoins, ces épaisseurs auraient pu être encore plus importantes si le vent n'avait pas soufflé la neige.

Limal sous la neige en début de soirée du 12 mars (source: Meteo Pedagogie).

Côté (futurs) Hauts-de-France, là aussi la perturbation se retire progressivement, laissant revenir le soleil sur la région de Lille.

Source: France 2 - INA.

Au soir, le ciel se dégage et les températures entament une chute vertigineuse. C'est la nuit la plus froide de l'hiver en de nombreux endroits, avec -17,1°C relevés à Ciney au matin du 13. Ailleurs, le thermomètre affiche également des valeurs bien basses: -12,9°C à Ernage (Namur), -12,6°C à l'aéroport de Bruxelles National, -11,8°C à Bierset (Liège), -10,2°C à Uccle (Bruxelles) et à l'aéroport de Charleroi. A Lille, la valeur de -10,5°C constitue un record pour un mois de mars. Il en va de même à Charleville-Mézières avec -14°C.

Le 24 mars, une dernière offensive neigeuse concerne la Belgique. Dans le sud du pays, une langue d'air doux s'intercale en altitude, et entraîne la formation de pluie qui tombe sur des sols gelés (-4°C à Libramont), formant du verglas. La situation est préoccupante, mais pas catastrophique.

Il faudra encore deux semaines avant que l'hiver ne lâche complètement prise. Le 7 avril au matin, on relève encore des minimales négatives de plusieurs degrés. Pour l'histoire climatologique, mars laisse aux statistiques de la station officielle d'Uccle un déficit thermique considéré comme très exceptionnel par l'IRM, 18 jours de gel contre une moyenne de 6 et 11 jours de présence de neige contre 3,2 pour un mars normal. 

Relevés de la station d'Uccle (Bruxelles) pour mars 2013 (source: Ogimet).

Ce genre de retour tardif de l'hiver après un coup de douceur, ça arrive de temps à autre. La Belgique et une bonne partie de la France notamment en ont encore eu la preuve récemment, en avril 2021 et dans une moindre mesure fin mars-début avril 2022. Toutefois, mars 2013 s'inscrit incontestablement comme l'une des plus grandes remontadas hivernales de notre histoire météorologique récente, intervenant un peu après un cœur d'hiver lui aussi bien froid et neigeux.

samedi 11 février 2023

Distinguer le Sting Jet du Cold Jet: L'exemble de la tempête Alex (1-2 octobre 2020)

Ces dernières années, le terme "Sting Jet" a pris en importance dans la communauté météo, rendu populaire au travers d'un certain sensationnalisme. Il a été associé récemment à plusieurs tempêtes présentant un maximum venteux au sud et au sud-ouest de leur centre dépressionnaire, occultant d'autres mécanismes potentiellement tout aussi puissants, dont le Cold Jet, présent plus classiquement dans la plupart des tempêtes. Au final, l'occurrence d'un vrai Sting Jet reste un phénomène peu fréquent, répondant à des conditions atmosphériques bien particulières et présentant des symptômes très particuliers permettant de le distinguer des autres "Jets" (ou plus largement, flux) à l’œuvre au cœur des tempêtes. Dans cet article, nous prenons en exemple la tempête Alex d'octobre 2020, cette dernière ayant porté les deux phénomènes en son sein. Nous montrons, à l'aide du modèle Arome, des relevés de la station de Le Talut de Belle-Ile et d'un article scientifique (voir bibliographie) que la rafale de 186 km/h qui y est enregistrée se produit dans un environnement qui écarte fortement l'hypothèse du Sting Jet comme cause directe. Cette rafale est à attribuer au Cold Jet.

mardi 25 octobre 2022

23/10/2022 - Il était une fois dans l'Ouest

Noville-les-Bois, 17h00. Une soif d'orages non assouvie me fait prendre la route de l'ouest, malgré un septembre s'étant évertué à rattraper la sauce d'un été mortifère. Malgré cela, ce cru 2022 avait encore jusqu'à présent un arrière-goût de piquette. 

Au prix d'une chaleur hors norme, plusieurs pulsions d'air instable balayent nos régions depuis quelques jours, mais sans jamais se mettre en phase avec la dynamique nécessaire. En cet après-midi du 23 octobre 2022, ce couplage survient bel et bien, et je pars avec l'espoir alors un peu fou que l'énorme supercellule qui se gave de chaleur latente entre Rouen et Beauvais subsiste jusqu'à la Wallonie picarde...

Si la chaleur est estivale (le thermomètre de la voiture indique 21°C une fois dans le Hainaut), les couleurs des arbres rappellent que c'est l'automne. La lumière est magnifique, jouant tout en contrastes avec les nuées qui parsèment la moyenne troposphère, jusqu'à ce qu'une fois passé Mons, le dégagement du ciel mette en évidence l'immense enclume de la supercellule alors en train de frapper Amiens. Ce même orage monstrueux, qui n'a absolument rien à envier à ses collègues de la haute saison, fracasse ensuite l'est du Pas-de-Calais en y développant une violente tornade au nord-ouest de Bapaume, alors qu'un dernier check des radars me fait choisir la région de Péruwelz comme terrain de jeu. C'est entre Braffe et Willaupuis que je trouve un espace bien dégagé, avec vue sur une énorme colonne ascendante surplombée de mammatus.

Loin au sud, ce sont d'autres cellules - toutefois moins actives - qui éclatent au nord-est de Paris, les enclumes se retrouvant enflammées par le soleil déclinant.


Si de manière absolue, l'activité électrique de la supercellule n'est pas extraordinaire, elle est tout de même de très bonne facture pour une fin octobre. Elle a été cependant plus forte auparavant. Le crépuscule s'avançant permet désormais d'en prendre la pleine mesure. C'est un véritable festival d'internuageux qui se déroule à l'avant des nuées.








 


 
 
Pendant quelques minutes, plusieurs coups de foudre positifs frappent à quelques kilomètres à l'ouest:

Point notable, le flanc nord de ce formidable orage ne circule qu'à quelques kilomètres de mon point de vue qui reste quant à lui bien au sec. Depuis mon arrivée, un vent rafaleux souffle en direction des cumulonimbus avec insistance. Cet inflow les nourrit en chaleur humide, et retarde jusqu'au dernier moment l'arrivée des précipitations. Les images radar semblent montrer que le passage de l'orage va être assez banal... Mais il faut se méfier même des cellules qui ne paient guère de mine.

Accompagnant les pluies, un vent furieux s'empare de mon point de vue, me rappelant puis dépassant la vigueur de celui que j'avais observé le 17 août 2018 du côté de Mettet. Comme j'aurai l'occasion d'en prendre connaissance plus tard, le village de Willaupuis, à quelques centaines de mètres, est sévèrement touché par cette rafale descendante doublée d'une tornade, abattant de nombreux arbres et endommageant des toitures. L'activité électrique, après avoir temporairement marqué le pas, redevient modérée à soutenue.


Ce premier paquet orageux s'éloigne vers le nord du Hainaut, bientôt suivi par une seconde cellule ayant elle aussi présenté des caractéristiques supercellulaires, notamment en France. Cette dernière tangente le secteur par l'est, en filant à son tour en direction du centre de la Belgique. 


Sur Willaupuis et sa région, c'est le retour au calme, tout du moins côté météo. Aux flashes des éclairs succèdent ceux des gyrophares, les services de secours parcourant déjà la région toutes sirènes hurlantes. Loin au nord, derrière la silhouette du village meurtri, d'autres orages achèvent de traverser l'extrême ouest de la Flandre et gagnent la Hollande.



Quittant mon point de vue, je tente d'abord d'approcher les dégâts perpétrés le long de la N50, mais les pompiers en barrent l'accès. Le bruit des tronçonneuses renseigne sur la nature des dommages (arbres et branches), mais il semblerait aussi que des panneaux photovoltaïques entravent la chaussée. Rebroussant chemin, c'est à ce moment que je découvre l'ampleur des dégâts subis par Willaupuis, dans l'alignement du tronçon de la N50 barrée.





Au final, je m'en tire avec l'orage le plus violent au niveau du vent auquel j'ai assisté, surpassant quelque peu celui du 17 août 2018. Nouveau marqueur d'une année 2022 qui plane complètement hors sol, ce 23 octobre constitue aussi l'orage d'octobre le plus intense que j'ai connu. Je quitte alors la région de Péruwelz avec l'idée que cet automne remarquable ne nous a peut-être pas encore livré toutes ses représentations...

dimanche 23 octobre 2022

De l'automne au printemps: les orages "hors saison"

En Belgique et d'un point de vue climatologique, c'est grosso modo de début mai à fin août-début septembre que l'on observe le plus fréquemment des orages, avec avril et septembre comme périodes de transition.

Il arrive toutefois que certaines années ne suivent pas ce schéma. Ainsi, en 2022 par exemple, l'été fut dans l'ensemble peu orageux, alors qu'au contraire l'automne, et singulièrement septembre, a été marqué par une activité anormalement forte, septembre 2022 étant par ailleurs le neuvième mois de l'année le plus orageux des trente dernières années. 

C'est le propre des statistiques et des probabilités; si on identifie une période active à un moment dans l'année (une "saison" donc), cela n'exclut pas pour autant d'avoir aussi des occurrences du phénomène en-dehors de celle-ci. Pour les orages, sortir de la saison en septembre ne signifie pas qu'il n'y en aura plus. Ils sont certes moins fréquents, mais peuvent être intenses. Ce sont surtout les phénomènes qu'ils exercent et les mécanismes qui mènent à leur survenue qui les différencient quelque peu des "vrais" orages estivaux.
 
Cumulonimbus dans un ciel de traîne le 6 novembre 2017, vus depuis le Namurois vers le nord-ouest. L'un d'eux donnera une tornade parcourant une vingtaine de kilomètres dans le Hainaut (auteur: Le Chroniqueur météo).
 
A partir d'octobre et jusque début avril, les causes dynamiques prennent le pas sur l'instabilité pour expliquer la formation des orages. La CAPE, l'énergie disponible pour la convection, tend en effet à être moins développée en arrière saison. Ainsi, si avoir 2000 J/kg d'énergie est relativement "normal" (même si ça dénote une très forte instabilité) en été, avoir plus de 1000 J/kg entre octobre et mars à l'intérieur des terres est très rare. Souvent, même lorsque de l'air très froid est présent en altitude, l'instabilité disponible ne dépasse guère les quelques centaines de J/kg.
 
Au contraire, avec l'activité dépressionnaire atlantique à son paroxysme en hiver, la dynamique est importante. Le Jet-stream, en moyenne plus puissant en hiver qu'en été, ondule régulièrement à proximité de nos régions. En certaines parties de ces méandres, le Jet exerce un forçage, soit une ascendance forcée de l'air à l'échelle synoptique. C'est le cas en sortie gauche et en entrée droite d'une branche rapide du Jet, zones où sont présentes de fortes divergences d'air en altitude, entraînant un tirage vers le haut sous ces dernières.
 
A l'inverse des orages de la saison, les orages hors saison se produisent surtout dans les traînes des perturbations, soit derrière un front froid, ou sur ce dernier. Dans cette traîne ou au niveau d'un front froid convectif, la tropopause (limite entre troposphère et stratosphère) est souvent plus basse qu'en été, faisant en sorte que les cumulonimbus se formant sont moins hauts que leurs collègues de pleine saison. Cette moindre hauteur engendre un potentiel électrique moins fourni, et donc une activité électrique souvent peu intense. L'une des caractéristiques des orages hors saison est en effet de ne présenter qu'assez peu d'éclairs, sauf rares exceptions.
 
Dégâts consécutifs aux orages très venteux en soirée du 10 février 2020 à Montignies-lez-Lens (Hainaut) (auteur: N. Laus - Belgorage).
 
Une autre caractéristique est aussi l'intervention régulière de très fortes rafales. Ce phénomène existe aussi en saison, mais en hors saison, il intervient relativement plus fréquemment. Ceci s'explique d'une part par la forte dynamique, entraînant un déplacement rapide des orages, mais aussi l'intrusion régulière d'air très froid et sec en altitude, qui entraîne l'apparition de puissants courants descendants, et des rafales descendantes comme conséquence.
 
Ces dernières années, on peut citer quelques épisodes notables sur la période allant d'octobre à mars:
  • Deux épisodes violemment venteux les 3 et 25 janvier 2014. Le premier fut très électrique pour un orage hivernal, traversant le Hainaut et le centre de la Belgique, le second fut plus discret électriquement parlant mais à l'origine de dégâts conséquents en Flandre occidentale.
  • Des orages grêligènes et localement accompagnés de très fortes rafales le 28 mars 2016.
  • Une ligne de grains très active, parfois fortement électrique pour la saison, le 27 février 2017.
  • Des orages accompagnés d'une tornade dans le Hainaut le 6 novembre 2017.
  • Des orages "estivaux" les 6 et 11 octobre 2018, assez électriques.
  • Un MCS le 14 octobre 2019. Ce dernier engendra de gros dégâts liés au vent sur le Westhoek.
  • Les orages très venteux le 28 janvier 2020 mais aussi dans le sillage de la tempête Ciara, le 10 février 2020. 
  • Des orages violents, accompagné de tornades, sur le nord de la France et l'ouest de la Belgique en fin de journée du 23 octobre 2022.

Coups de foudre sous l'orage du 25 janvier 2014 dans le port de Zeebrugge (auteur: S. Verhoeven - Belgorage).
 
La saison se modifie-t-elle?
 
Comme rien n'est immuable, et notamment en météo, il serait tentant de croire que le réchauffement climatique induit des changements dans notre saison des orages, et que des période actives hors saison comme en janvier et février 2020 sont appelées à se reproduire. L'IRM a récemment publié les nouvelles normes pour la période 1991-2020, permettant de tirer quelques observations.
 
Évolution du nombre de jours d'orages à travers les périodes de calcul des normales (source: IRM).
 
Une croissance relative significative est observée en octobre, passant d'environ quatre à six jours d'orages pour ce mois. Ceci pourrait indiquer un progressif allongement de la saison vers l'automne, là où les chiffres pour septembre évoluent assez peu. Le mois suivant, novembre, semble avoir connu une stabilisation après une augmentation peu significative.
 
Il est par contre intéressant de noter que les trois mois de l'hiver climatologique ont connu une augmentation certes faible dans l'absolu, mais bel et bien significative en valeurs relatives. La hausse de janvier notamment est continue. A l'inverse, l'évolution pour le début du printemps (mars et avril) est stable ou peu significative.