samedi 7 décembre 2019

Quels facteurs ont fait Lothar? Anatomie d'une tempête historique

Lothar. Dans le monde de la météorologie, ce nom d'origine allemande est passé à la postérité. C'est ainsi que l'Université de Berlin a nommé cette tempête qui, il y a vingt ans, a défiguré le nord de la France et le sud-ouest de l'Allemagne, causant 110 victimes et 6 milliards d'euros de dégâts. Avec Martin, la deuxième tempête des 27 et 28 décembre, cet épisode a eu un impact considérable sur la société, mais aussi sur les services de météorologie dont les modèles ont pour la plupart été incapables de cerner le développement de Lothar et les vents associés, notamment parce qu'une telle tempête explosive n'avait jamais été envisagée par la théorie. Vingt ans plus tard, cette tempête alimente toujours des discussions passionnées tentant d'expliquer les vents inouïs et les dégâts colossaux engendrés. Lothar comporte toujours son lot de mystères. Le présent article fait la synthèse des connaissances à ce sujet et tente quelques hypothèses. Il évoque aussi une troisième tempête qui était sur le point de concerner l'extrême nord de la France et la Belgique au soir du 26 décembre, mais dont le renforcement a été interrompu au-dessus de l'est de la Manche.

Outre les nombreuses lectures scientifiques parcourues (et dont on trouvera la bibliographie en fin d'article), nous souhaiterions associer à ce travail les contributions des membres du forum Infoclimat, récentes ou plus anciennes, qui ont pu aider à comprendre ou investiguer davantage certains phénomènes liés à la tempête.

 Lothar en transit sur la Champagne le 26 décembre 1999 à 9h00. Le tourbillon serré autour du centre dépressionnaire est un marqueur du diamètre étroit de la tempête. En haut de l'image, on note la tempête précédente, Kurt, qui a concerné les côtes de la Manche ainsi que la Belgique le jour de Noël, avec des orages à la clé (source: Eumetsat).

lundi 29 juillet 2019

2014: chroniques d'un mauvais mois d'août

Si ces dernières années, l'été nous habitue à de belles périodes, voire à de véritables vagues de chaleur, c'est oublier que même dans le contexte du réchauffement climatique à grande échelle, il est encore capable de sérieux coups de frais. Août 2014 a ainsi sa place au panthéon des mois d'été pourris. Il s'inscrit également dans le cinquième été le plus pluvieux observé en Belgique depuis le début des mesures en 1833, avec 348 mm de précipitations relevées à Uccle.

Relevés d'août 2014 pour la station de Ernage (Gembloux). Source: Ogimet.

Pourtant, ce mois d'août démarre bien. Mais le 1er est le seul jour d'été avec une maximale de 26,2°C à Uccle. La suite fut une succession de perturbations régulièrement orageuses: les 3, 8 et 10 août notamment furent marqués par des orages parfois très actifs. 

Le 8 août, ce sont même plusieurs tornades qui sont signalées en Belgique, à Manhay, Sart-lez-Spa et Jauchelette. Celle de Manhay est même plutôt violente pour nos régions. De niveau F2 sur l'échelle de Fujita, elle endommage gravement les toitures d'une trentaine d'habitations.

Le 10 août, l'ex-cyclone tropical Bertha traverse le sud de l'Angleterre et de la mer du Nord. Au devant de son front froid, une bouffée d'air moite (températures légèrement au-dessus de 20°C et très forte humidité) est rendue instable par la présence d'air froid en altitude. La dynamique et le Jet-stream sont particulièrement puissants pour l'été. La réaction est à la hauteur de ces paramètres, et un outbreak tornadique (épisode d'un nombre important de tornades) concerne le nord de la France et la Belgique. 

Trois tornades sont observées dans le Nord-Pas-de-Calais dont une très longue qui parcourt une quarantaine de kilomètres, deux certifiées et observées par des témoins en Belgique et deux autres supposées. Celle de Sombreffe est particulièrement spectaculaire visuellement, mais d'intensité F1. Lien vers le dossier spécial: Tornades du 10 août

La tornade de Ligny-Sombreffe, alors qu'elle traverse le village de Tongrinnes, le 10 août en fin d'après-midi (auteur: J. Pasin)

Les 13 et 14, on observe de fortes précipitations sur certaines régions, et avec un temps parfois très frais. Pendant treize jours, du 14 au 26, la température ne dépasse jamais les 20°C à Uccle, ce qui est absolument exceptionnel. Le 15 août, une trombe marine provoque quelques dégâts sur la digue de Zeebruges. Le 19 août, c'est à Calais qu'on observe une faible tornade en début de soirée.

Le 20 août, on n'observe pas plus de 16,8°C à Uccle. Malgré cette fraîcheur, des orages éclatent, et à 17h00, il ne fait plus que 11,8°C à cette même station!

Le 22 août, trois tornades frappent le nord de la France et l'ouest de la Belgique: la première à Wambrechies, au nord-ouest de Lille, la seconde à Zwijnaarde, près de Gand, et la troisième entre Leuze et Ath. Dossier résumé: ICI

Du 14 au 31, de la pluie est observée tous les jours à Uccle, ce qui est exceptionnel pour cette période de l'année. Les 25 et 26 août, il tombera en 48 heures 80 mm de pluie à Chièvres, 73 mm à Bierset et 64 mm à Beauvechain. Les températures sont de plus fraîches, notamment dans le nord de la France. Le 25, il ne fait pas plus de 15,7°C à Lille, sous une pluie continue. Côté belge, on ne mesure pas plus de 15,1°C à Florennes et 14,2°C à Saint-Hubert.

S'il n'avait pas trop mal commencé, août présente ainsi une dernière quinzaine trop fraîche et humide, plombant les statistiques d'un mois qui se termine finalement avec un déficit thermique très anormal. A Uccle, la température moyenne du mois a été de 16,2°C contre une normale de 18,0°C. La moyenne des températures maximales est encore plus déficitaire (considérée comme très exceptionnelle), la plus froide des trente dernières années. Vu que les températures les plus élevées d'une journée d'été sont généralement mesurées dans l'après-midi, on comprendra le goût particulièrement amer que laisse ce mois d'août 2014 à la population.

Outre cela, l'ensoleillement est à la cave: le ciel est souvent gris, menant à une insolation anormalement déficitaire. Les précipitations sont anormalement excédentaires, en quantité et en nombre de jours.

Le soleil se montre rarement durant ce mois, et quand il le fait, c'est dans un ciel souvent nuageux. L'astre se couche ici un soir de fin août à Capinghem (département du Nord) (auteur: H. Maldague - Le Chroniqueur météo).

L'explication de ce mauvais temps est à aller chercher dans la présence régulière de dépressions à proximité de nos régions. Celles-ci se placent principalement sur les Iles britanniques ou entre ces dernières et l'Islande, ouvrant la voie à un flux d'ouest continu transportant les perturbations de l'Atlantique vers nos régions. L'anticyclone des Açores reste ainsi très bas en latitude.
 
La situation du 10 août est assez symptômatique du temps maussade de cette période. Ici, la dépression issue du cyclone Bertha traverse l'Angleterre, supportée par une masse de dépressions d'altitude en vert-bleu (source: Meteociel).

Au cours de la seconde décade, les dépressions se placent davantage vers la Scandinavie, tandis que l'anticyclone des Açores tente d'étirer quelques crêtes vers l'Atlantique nord. En conséquence, le flux s'oriente davantage à l'ouest-nord-ouest, voire au nord-ouest, et ce sont des masses d'air toujours perturbées mais plus fraîches qui nous atteignent.

Le 18 août, c'est un toboggan d'air maritime polaire qui descend vers la Belgique, entre une dépression très active sur la Scandinavie et un anticyclone atlantique (source: Météociel).
   
En troisième dédace, le flux se rétablit davantage à l'ouest. Le Jet-stream reste très près du nord de la France et de la Belgique, amenant des dépressions à même ces régions. Les derniers jours verront les anticyclones pousser un peu plus.

En termes de grands régimes de temps, les deux images ci-dessus montrent successivement une situation de NAO- et d'Atlantic Ridge. La NAO- est le régime des dépressions proches des Iles britanniques et de la mer du Nord, l'Atlantic Ridge (crête anticyclonique atlantique) est celle des montées de l'anticyclone des Açores vers le nord, sur l'océan. Ces deux schémas apportent soit un flux d'ouest, soit un flux de nord-ouest. Ainsi, ils sont connus pour apporter fraîcheur et humidité estivales en France et en Belgique. C'est la persistance de ces deux régimes qui explique en effet le temps médiocre de ce mois d'août 2014.

Schématisation de régimes de NAO- et d'Atlantic Ridge (source: Cerfacs).

Canicule historique de juillet 2019


Pour rappel, une première canicule avait concerné la Belgique et surtout la France fin juin, avec un nouveau record absolu de chaleur dans le sud de l'Hexagone.

A partir de la mi-juillet et après deux semaines de temps proche des normales saisonnières, les modèles ont petit à petit montré la possibilité d'une nouvelle vague de chaleur pour l'Europe occidentale, avec la remontée d'air très chaud en provenance du Magreb vers nos régions. Sur la carte ci-dessous tirée de la sortie du modèle européen ECMWF en date du samedi 20 juillet, on voit une invasion d'air à plus de 20°C à 850 hPa (1600 mètres d'altitude), avec même de l'air à 24°C sur la France. A l'instar de la fin juin, de telles valeurs à cette altitude "permettent" d'avoir des maximales bien au-dessus des 35°C au sol, voire autour de 40°C localement.

Cette remontée d'air très chaud s'explique par la plongée d'un talweg dépressionnaire sur le proche Atlantique et la mise en place d'un dôme anticyclonique massif sur l'Europe centrale. Les deux provoquent un appel d'air du sud, les masses chaudes du nord de l'Afrique étant alors draînées en direction de nos régions.

Températures à 850 hPa entrevues par ECMWF pour le 25 juillet, cinq jours auparavant (source: Météociel).

Lundi 22 juillet

Premier jour de la vague de chaleur avec des températures comprises entre 25 et 30°C dans la plupart des stations météorologiques de Belgique.

Mardi 23 juillet

Les températures sont déjà très élevées ce jour. On relève 35,5°C à Chièvres et 35,1°C à Gosselies (Hainaut), 33,0°C à Uccle (Bruxelles), 34,9°C à Beauvechain (Brabant wallon), 34,1°C à Ernage et 34,2°C à Florennes (Namur), 34,3°C à Bierset (Liège) et 33,7°C à Buzenol (prov. Luxembourg). Côté français, on mesure 35,4°C à Lille et 34,6°C à Charleville-Mézières. Dans l'ouest de l'Hexagone, les températures dépassent les 40°C.

A noter que ces fortes chaleurs accentuent une certaine sécheresse des sols superficiels.

Source: IRM

Par ailleurs, les températures envisagées (37 à 40°C) jeudi pour la Belgique amène l'IRM à émettre la première alerte rouge pour la chaleur de son histoire:

 Source: IRM
 

Mercredi 24 juillet

Il n'aura pas fallu attendre jeudi pour que la chaleur établisse un nouveau record national absolu de températures. C'est Angleur, en région liégeoise, qui détient le score avec 40,2°C. Le précédent record sous abri fermé datait de 2015 et 2018 avec 38,8°C.

Ailleurs dans le pays, on note 39,9°C à Kleine-Brogel (Limbourg), 35,9°C à Uccle (Bruxelles), 36,3°C à Chièvres et 37,5°C à Gosselies (Hainaut), 37,3°C à Ernage et 38,3°C à Dourbes (Namur), 38,1°C à Bierset (Liège) et 37,5°C à Buzenol (prov. Luxembourg).

Dans le nord de la France, les températures sont également élevées: 35,1°C à Lille, 36,3°C à Saint-Quentin et 38,2°C à Charleville-Mézières.

Par ailleurs, Météo France lance en fin d'après-midi une vigilance rouge canicule pour une partie du nord de la France en prévision des températures maximales et minimales très élevées pour ces régions attendues jeudi et vendredi:

Source: Météo France

En toute fin d'après-midi, l'air surchauffé et sans doute aidé d'une petite convergence entraîne l'apparition d'un fort orage sur la région de Durbuy, celui-ci se déplaçant vers Aywaille et Werbomont. Dans la région de Bomal et Barvaux, de fortes rafales sont responsables de nombreux arbres arrachés.

Cumulonimbus porteur de l'orage sur la région de Durbuy vers 18h15, vu depuis Wartet (auteur: H. Maldague - Le Chroniqueur météo).


Jeudi 25 juillet

La possibilité d'averses orageuses a longtemps fait planer le doute sur le fait que jeudi puisse être la journée la plus chaude ou non. Dans les faits, des orages ont bien eu lieu, mais ils se sont déclenchés surtout en fin d'après-midi. Avant cela, le thermomètre a eu le temps d'atteindre des valeurs torrides, avec des pointes au-delà de 40°C qui n'avaient jamais été observées en Belgique depuis que l'on fait des mesures. Le nouveau record national est ainsi détenu par Begijnendijk (Brabant flamand) avec 41,8°C. En Wallonie, la plus forte température a été enregistrée à Houyet avec 41,6°C. En France, la station de Lille-Lesquin a atteint 41,5°C, 41,3°C à Dunkerque, 39,2°C à Charleville-Mézières et 40,7°C à Saint-Quentin. A Paris, la station de Montsouris a atteint 42,6°C. Toutes ces mesures sont inédites depuis qu'elles ont commencé à être effectuées au 19ème siècle. 

Les relevés des stations officielles de Belgique le 25 juillet 2019 (source: Ogimet).

Il n'y a pas qu'au sol que des records sont battus. Le sondage de Beauvechain (Brabant wallon) mesure des valeurs jamais vues à 850 hPa: "À une bonne centaine de mètres au-dessus de nos têtes, l’air reste incroyablement chaud. Le sondage de minuit de Beauvechain révèle une couche d’air à 35°C entre 250 et 450 mètres d’altitude (donc une grosse centaine de mètres, en moyenne, au-dessus du sol du Brabant Wallon). Au niveau 850 hPa (1547 mètres), les 25°C pulvérisent également tous les records de température à cette altitude. Par contre, le record n’est pas battu au niveau 700 hPa (10°C à 3203 mètres), ce qui témoigne d’une grande instabilité de l’air" (R. Vilmos, Météo Belgique).

Vendredi 26 juillet

Ce jour, il fait moins chaud, mais les températures restent relativement élevées par rapport à la moyenne de nos régions. On mesure 31,1°C à Chièvres, 31,5°C à Uccle, 32,1°C à Gosselies, 33,1°C à Buzenol, 33,6°C à Dourbes et 35,6°C à Bierset. Il fait ainsi plus chaud sur l'est de la Belgique, en lien avec le travail d'une ligne de convergence qui attire à elle de l'air maritime un poil moins chaud. Par ailleurs, des orages parfois très actifs éclatent en provinces de Liège et du Limbourg dans l'après-midi.

Samedi 27 juillet

Ce jour met fin à la vague de chaleur. La convergence de la veille est toujours présente et organise des zones de pluie qui concernent la Belgique toute la journée. Il tombe localement plus de 40 mm de précipitations, des quantités bienvenues après plusieurs semaines très sèches.

Au final, cette vague de chaleur est de loin la plus intense que le pays ait connu. En effet, malgré une durée relativement courte, les valeurs de température inédites affichées en ont fait un épisode d'une très grande brutalité. Voir l'article de Meteo Belgique sur les vagues de chaleur pour davantage d'explications.

mardi 4 juin 2019

3/06/2019 - Monde électrique

Rien de très violent dans cette offensive orageuse du 2 au 3 juin 2019, mais elle a bon ton de survenir au beau milieu de la nuit. Deuxième bon point, les cellules, avec leurs bases nuageuses élevées, larguent d'énormes coups de foudre sur les campagnes condrusiennes.

L'air étant encore remarquablement doux, c'est en t-shirt à la sortie de Maillen que j'assiste à l'approche d'un orage venu de Chimay.

Les photos peuvent être agrandies pour une meilleure qualité.
 

Malgré la rapidité de déplacement des cellules, l'approche est longue. Ces puissants coups de foudre trompent l'observateur dans son appréciation des distances: l'orage est encore loin...



Ca se rapproche! Un autre foyer se développe sur le sud du Namurois (pratiquement à ma droite), mais c'est toujours l'orage arrivant de l'Entre-Sambre-et-Meuse qui retient mon attention.



Retour près de mon domicile à l'est de Namur. Plusieurs foyers d'intensité modérée à soutenue sont actifs et prennent la route de Liège. Malgré plusieurs kilomètres de distance, les éclairs sont par moments aveuglants. Du côté de Namur, le retour au calme s'amorce.