samedi 7 décembre 2019

Quels facteurs ont fait Lothar? Anatomie d'une tempête historique

Lothar. Dans le monde de la météorologie, ce nom d'origine allemande est passé à la postérité. C'est ainsi que l'Université de Berlin a nommé cette tempête qui, il y a vingt ans, a défiguré le nord de la France et le sud-ouest de l'Allemagne, causant 110 victimes et 6 milliards d'euros de dégâts. Avec Martin, la deuxième tempête des 27 et 28 décembre, cet épisode a eu un impact considérable sur la société, mais aussi sur les services de météorologie dont les modèles ont pour la plupart été incapables de cerner le développement de Lothar et les vents associés, notamment parce qu'une telle tempête explosive n'avait jamais été envisagée par la théorie. Vingt ans plus tard, cette tempête alimente toujours des discussions passionnées tentant d'expliquer les vents inouïs et les dégâts colossaux engendrés. Lothar comporte toujours son lot de mystères. Le présent article fait la synthèse des connaissances à ce sujet et tente quelques hypothèses. Il évoque aussi une troisième tempête qui était sur le point de concerner l'extrême nord de la France et la Belgique au soir du 26 décembre, mais dont le renforcement a été interrompu au-dessus de l'est de la Manche.

Outre les nombreuses lectures scientifiques parcourues (et dont on trouvera la bibliographie en fin d'article), nous souhaiterions associer à ce travail les contributions des membres du forum Infoclimat, récentes ou plus anciennes, qui ont pu aider à comprendre ou investiguer davantage certains phénomènes liés à la tempête.

 Lothar en transit sur la Champagne le 26 décembre 1999 à 9h00. Le tourbillon serré autour du centre dépressionnaire est un marqueur du diamètre étroit de la tempête. En haut de l'image, on note la tempête précédente, Kurt, qui a concerné les côtes de la Manche ainsi que la Belgique le jour de Noël, avec des orages à la clé (source: Eumetsat).

Lothar fait partie des nombreuses "bombes météorologiques" qui, chaque année, se produisent sur l'Atlantique nord et, dans une moindre mesure, sur l'Europe de l'ouest. Les bombes météo sont des dépressions au creusement explosif, avec une baisse dans leur centre d'au moins un hectopascal par heure. Concernant Lothar, la dépression se trouvait vers 1h00 le 26 décembre 1999 à l'ouest de la Bretagne à 985 hPa, elle était sur la région de Rouen vers 7h00 creusée à 961 hPa, soit un creusement de 24 hectopascals en six heures. Il s'agit d'un rythme extrême.

Un tel "trou dans l'atmosphère" fait brutalement converger les masses d'air autour de lui dans sa direction, en spirale anti-horlogique. Le gradient de pression était en effet énorme, renforcé par la présence d'un anticyclone sur la Mediterranée et le Magreb. Ainsi, si la pression était de 961 hPa sur la région de Rouen, elle était de 989 hPa à Bourges au même moment. Un tel différentiel de pression induit déjà en soi des vents violents. Ceux-ci s'ajoutent à la vitesse de déplacement de la dépression, qui souffle ainsi en avançant. Dans le cas de Lothar, elle se déplaçait à environ 100 km/h. Cela explique pourquoi le secteur droit de la dépression (dans le sens de son avancée) concentre classiquement les vents les plus forts. Lothar se déplaçant vers l'est, c'est au sud de la dépression que l'on observait les vents les plus violents. Sans entrer dans les détails, on ajoutera l'effet de la composante isallobarique du vent, engendrée par les brutales variations de pression liées au déplacement du système d'ouest en est.

Des rafales généralisées de 140 à 170 km/h ont ainsi été mesurées au sud du centre dépressionnaire, tout au long de la trajectoire française et ouest-allemande. Il s'agit là de valeurs extrêmes en pleine terre. La même situation au-dessus de la mer pourrait avoir généré des vents moyens de force ouragan (niveau 12 sur l'échelle de Beaufort) et des rafales possiblement aussi fortes que 200 km/h. 

 Extrapolation des mesures de vent lors de Lothar. La trajectoire du centre dépressionnaire est marquée par une flèche (source: Meteo France).

En effet, obtenir de tels vents en pleine terre à partir de la seule résultante du gradient de pression doublé de la vitesse de déplacement de la tempête est peu concevable, la friction liée au relief dissipant par ailleurs une partie de l'énergie cinétique. D'autres phénomènes physiques ont vraisemblablement contribué à renforcer les vents en surface. Mais pour expliquer ces phénomènes, il est indispensable de s'attarder sur la genèse des tempêtes en général, et son application au cas Lothar.

Principes de cyclogénèse

Au-delà du terme qui peut paraître rébarbatif, la cyclogénèse désigne l'ensemble des processus physiques de l'atmosphère qui mène à la formation de dépression, et donc des tempêtes. Le but de cette partie est de rester le plus pédagogique possible, mais le lecteur intéressé pourra poursuivre ses lectures sur Internet ou en cliquant sur les liens proposés dans cette partie.

La cyclogénèse peut, notamment dans les premières phases de vie d'une dépression, prendre différentes formes, mais nous considérerons le schéma généralement admis selon lequel une tempête se forme lorsqu'une dépression de surface (parfois appelée anomalie chaude) se retrouve suivie par une dépression d'altitude (nommée anomalie froide). Il existe plusieurs types d'interactions, mais nous retiendrons que les deux composantes se renforcent mutuellement. Enfin, le Jet-stream, par des processus physiques complexes, se joint aux éléments déjà cités pour intensifier le creusement de la dépression. Dans les grandes lignes, au plus la différence de températures entre le sud et le nord du Jet est importante, au plus ce dernier est rapide. On note par ailleurs que c'est régulièrement à l'extrémité est d'un rapide de Jet que les dépressions connaissent le creusement le plus explosif. La partie gauche de cette extrémité contribue à générer de puissantes ascendances qui creusent davantage la dépression passant en-dessous.

Schéma idéalisant le moteur des tempêtes, avec une dépression de surface en interaction avec une dépression en altitude, sous la gouverne du Jet-stream (source: Météo France).

Pour en venir à la machinerie dépressionnaire proprement dite, on a coutûme de dire - et c'est ce que l'on apprend aussi aux élèves à l'école - qu'une dépression est le lieu vers lequel l'air converge en spirale, avant de s'élever à son niveau. Ce n'est qu'en partie vrai. Il y a bien des flux en ascension dans la partie avant de la dépression, en corrélation avec l'élévation de ce qu'on appelle la "warm conveyor belt", un courant d'air chaud et humide. Cependant, il existe aussi un courant descendant sec partant de la haute troposphère et se rapprochant plus ou moins fortement du sol. Au sein des dépressions explosives, cette "chute" d'air peut prendre des proportions importantes et générer de très violentes rafales en surface. Basiquement, ces mouvements verticaux apparaissent dès la naissance de la dépression, lorsque l'équilibre du vent thermique (pour faire simple, le vent qui existe à cause des contrastes de températures) est rompu suite à la mise en place de mouvements horizontaux entre l'air chaud et l'air froid, l'air chaud tendant à se déplacer vers le nord devant la dépression tandis que l'air froid tend à se déplacer vers le sud à son arrière. Ils sont cependant peu profonds avant l'interaction entre les deux anomalies.

Il apparaît que la vapeur d'eau, contenue dans le courant ascendant chaud qui s'élève, libère de la chaleur latente en se condensant en nuages et en précipitations, augmentant le déséquilibre qui doit être corrigé par une accélération du flux ascendant, ce qui creuse davantage la dépression de surface. Ainsi, une anomalie de surface ayant un contenu en chaleur et en humidité très élevé apportera d'autant plus d'énergie au système, qui s'intensifiera tout aussi fortement en réponse, d'autant plus si cette chaleur humide, par l'intervention de la warm conveyor belt, continue d'être amenée à la dépression en creusement (Binder et al., 2016).

Faisant écho au propos exposé plus haut, anomalie chaude de basse couche et anomalie froide de haute troposphère ont toutes deux ces mouvements verticaux, qui restent relativement contenus tant que les deux anomalies voyagent séparément. A l'inverse, lorsque qu'elles entrent en interaction, ces flux gagnent en puissance en se couplant. Cette interaction est maximale quand l'anomalie chaude de surface précède de peu celle froide d'altitude. Les deux anomalies se renforcent mutuellement et, aidée par le Jet-stream et par d'autres phénomènes (comme l'intervention de la chaleur latente évoquée plus haut), la tempête explose.

A l'inverse (et cela arrive régulièrement), si l'anomalie d'altitude prend les devants sur l'anomalie de surface, leurs flux respectifs s'opposent, et les mouvements verticaux perdent en vigueur. La dépression arrête alors de s'intensifier en entame son processus de comblement.

D'un point de vue frontal, les dépressions de l'Atlantique nord semblent évoluer selon deux modèles. Le premier est le modèle dit "norvégien", classique, lorsqu'une dépression se creuse avec une occlusion s'enroulant autour du centre dépressionnaire. Le secteur chaud a une forme proche d'un triangle acutangle, deux des côtés étant le front chaud et le front froid. Dans une cyclogénèse norvégienne, les plus grands contrastes sont observés au niveau du front froid, celui-ci étant souvent très actif.

 Cyclogénèse selon le modèle norvégien (source: Météo France).

Toutefois, il y a une trentaine d'années, les mesures et les observations des dépressions atlantiques ont montré que certaines d'entre elles suivaient un schéma de développement différent. Si le début de leur existence est similaire au modèle norvégien, on observe par la suite un détachement du front froid du front chaud, le premier se déplaçant perpendiculairement au second. Le front chaud s'enroule alors autour de la dépression, isolant une séclusion chaude, soit un coeur dépressionnaire plus chaud que l'environnement. Ce n'est donc pas à proprement parler un front occlus (contrairement à ce qui est dessiné dans le schéma ci-dessous). Dans ce modèle, dit de Shapiro-Keyser, c'est au niveau du front chaud que l'on observe les gradients de température les plus importants, et donc la plus forte activité (surtout pluvieuse), tandis que le front froid est au contraire peu actif.

Cyclogénèse selon le modèle de Shapiro-Keyser (source: Schultz et Vaugan, 2011).


La cyclogénèse de Lothar au regard du "modèle"

Lorsque, en fin de soirée du 25 décembre, la dépression entame son creusement explosif, elle obéit assez bien au schéma d'intensification sous une sortie gauche de Jet. Pendant toute la journée de Noël, Lothar était davantage entraîné par un Jet-stream extrêmement rapide au-dessus de l'Atlantique, qu'intensifié. Même si la dépression se retrouvait en-dessous de l'axe de ce rapide de Jet, elle ne se creusait alors que très lentement. Ce puissant Jet marque l'existence d'une puissante zone dite barocline où existe un fort contraste de températures entre l'air subtropical au sud et l'air polaire au nord. En lien avec ce contraste, on note un rapide flux d'ouest à 500 hPa (vers 5 km d'altitude) entre un puissant anticyclone des Açores en rouge et une vaste masse dépressionnaire d'altitude (correspondant à la dépression d'Islande) très active en bleu-mauve. Ce type de régime de temps, dit NAO+, correspond à une succession de perturbations pluvieuses d'ouest en est sur nos régions. C'est aussi le régime - et de loin - le plus favorable à des tempêtes sur l'Europe occidentale. En s'arrêtant là, la survenue de Lothar dans ce genre de contexte atmosphérique n'a donc rien d'extraordinaire.

Géopotentiel à 500 hPa le 25 décembre à 13h00. Lothar est loin à l'ouest de la France, marqué par la petite dépression à 1000 hPa au nord des Açores. On note la tempête Kurt à 945 hPa entre Ecosse et Norvège (source: ERA-ECMWF).

Vers 13h00 le 25 décembre, Lothar est une dépression d'apparence inoffensive, alors proche des 1000 hPa juste au nord des Açores, et voyage rapidement vers l'Europe. Mais en fin de soirée, elle finit par se retrouver non seulement juste au nord de l'axe de Jet, mais aussi à la fin de ce rapide, ou autrement dit, en sortie gauche. La carte ci-dessous le montre assez bien. On note par ailleurs, grâce aux petites flèches, que la divergence du flux est bien marquée dans les parages de cette sortie gauche en-dessous de laquelle se retrouve un Lothar qui commence à se doper. Les forçages (soit les ascendances) qui s'y trouvent exercent à partir de ce moment un véritable tirage, à l'instar d'une cheminée bien conçue, qui attise la tempête naissante en-dessous. L'appel d'air ainsi engendré se couple avec les flux de l'anomalie chaude de surface (la dépression donc), entraînant la baisse de pression brutale en surface.

Le Jet-stream le 26 décembre 1999 à 1h00, avec la position de la dépression de surface Lothar (L) (source: ERA-ECMWF).

Le même type de carte six heures plus tard, alors que Lothar est en passe d'achever son creusement explosif à même le nord de la France.

Le Jet-stream le 26 décembre 1999 à 7h00, avec la position de la dépression de surface Lothar (L) (source: ERA-ECMWF).

On note toujours cette localisation de Lothar en sortie gauche de Jet. La divergence semble encore plus prononcée à cette heure, organisant toujours de puissants forçages qui continuent de creuser la dépression. La carte suivante montre, outre le Jet-stream, l'importance de la divergence (+) et de la convergence (-) à 300 hPa, soit en haute troposphère. On note un + sur la frontière franco-belge, marquant un maximum de divergence. Le coeur de Lothar se trouve alors à moins de 200 km de ce maximum.

Réanalyse de GFS de la divergence et du Jet-stream le 26 décembre 1999 à 7h00 (source: Wetter3).
 
Il est toutefois intéressant de constater, en six heures, la brutale décélération du Jet en sortie gauche. Alors qu'il tournait autour de 200 km/h sur les Cornouailles à 1h00, il a baissé aux alentours de 120 km/h sur le Pas-de-Calais à 7h00. Ce ralentissement net s'explique en partie par la très grande dynamique engendrée par la violente interaction entre l'anomalie froide d'altitude et l'anomalie chaude de surface.

Faisant abstraction de cela, Lothar est précédé par une entrée droite d'un autre rapide de Jet, certes moins puissant et en cours d'affaiblissement. Toutefois, entrée droite comme sortie gauche ont cette particularité de forcer les ascendances. La superposition des deux est notamment connue en prévision orageuse pour aggraver fortement la convection par cumul des forçages, et donc du "tirage" si on reprend notre analogie de la cheminée. L'hypothèse d'un couplage sortie gauche - entrée droite semble intéressante pour expliquer la violence des mouvements ascendants observés au droit de Lothar. A noter que l'enfoncement de la tropopause, en lien avec la montée en puissance de l'anomalie d'altitude, intensifie la cassure du Jet à niveau. Ulbrich et al. (2001) considèrent que cette superposition entre sortie gauche et entrée droite et les ascendances ainsi exacerbées ont fortement contribué au creusement de Lothar, au même titre que pour Klaus (Liberato et al., 2011).

Plusieurs études (notamment Wernli et al., 2002 ou Rivière et al., 2010) ont cependant montré que Lothar ne répond pas entièrement au modèle de couplage anomalie froide d'altitude - anomalie chaude de surface, tel que présenté dans le schéma de Météo France exposé plus haut. Les analyses montrent qu'il n'existait pas de précurseur d'altitude (donc d'anomalie froide) ou, tout du moins, celle-ci était réduite et latente. Par contre, et au contraire, on notait une anomalie chaude déjà bien développée. L'image ci-dessous illustre, pour faire simple, la hauteur des anomalies. On note l'effet d'un petit tourbillon en plein océan, qui n'est rien d'autre que l'anomalie chaude de surface qu'est Lothar à ce stade. On remarque à l'inverse qu'aucune anomalie froide d'altitude ne la surplombe à cette heure. Plus loin à l'arrière, et pour comparaison, une telle anomalie d'altitude est visible sous la forme d'un enfoncement, mais est trop loin pour interagir avec l'anomalie de surface de Lothar. Le grand tourbillon rouge correspond aux anomalies d'altitude de la dépression-mère Kurt dans le sillage de laquelle se développe Lothar.


"Hauteur" des anomalies de tourbillon (isosurface 2 PVU) à 19h00 le 25 décembre 1999 (adapté de Wernli et al., 2002).

Par contre, douze heures plus tard, le tourbillon de surface s'est couplé avec une anomalie d'altitude (ou anomalie de tropopause, ou encore anomalie froide...) visible sous la forme d'un cornet rouge, générant à ce moment de violents courants verticaux, mais aussi une accélération des vents horizontaux autour de ces deux anomalies quasi-alignées. Cette image illustre clairement l'interaction entre l'anomalie chaude de surface et l'anomalie froide d'altitude. La première est bien plus développée que douze heures plus tôt, et la seconde est apparue à partir de presque rien... La réponse à cette dynamique extrême est très violente au sol à cette heure, entre Normandie et Ile-de-France.

En effet, et pour en venir à des concepts plus mathématiques, cette configuration est celle des tours de vorticité potentielle qui sont connues pour favoriser de puissants champs de vent cycloniques à travers toute l'épaisseur de l'atmosphère (Wernli et al, 2002). 

A noter aussi que l'anomalie basse est précédée d'une anomalie haute en forme de bosse rouge. Celle-ci "résulte" des puissantes ascendances libérant de la chaleur latente au nord et à l'est de Lothar (Wernli et al., 2002), celles-ci n'étant pas étrangères aux fortes précipitations situées dans la tête (front occlus) de la tempête. Il tombe ainsi une vingtaine de millimètres de pluie en Belgique en six heures, avec plusieurs observations de pluie forte (notamment aux station de Gosselies et Spa-Sauvenière), parfois temporairement remplacées par de la neige modérée au maximum de l'advection froide au nord-ouest du centre dépressionnaire.

 "Hauteur" des anomalies de tourbillon (isosurface 2 PVU) à 7h00 le 26 décembre 1999 (adapté de Wernli et al., 2002).

Le développement de Lothar peut ainsi être qualifié de cyclogénèse "bottom-up": c'est l'anomalie de surface qui, bien développée et présente en premier, interagit avec le Jet-stream. L'anomalie d'altitude ne fait que se développer dynamiquement en réponse, les deux interagissant alors à partir de la fin de soirée du 25 décembre en se renforçant mutuellement.

Il faut toutefois signaler que l'anomalie de surface originelle de Lothar est d'une belle consistance par rapport à ce qui s'observe dans le cadre de cyclogénèses plus "classiques". Wernli et al. ont attribué cela au dégagement de chaleur latente lié à la condensation de la vapeur d'eau en nuages et précipitations, ce contenu en vapeur d'eau étant lui-même important, en lien avec la présence d'eaux marines anormalement chaudes pour la saison à l'ouest du continent européen. On l'a vu plus haut, le rôle de l'humidité est régulièrement prépondérant dans les cyclogénèses. Dans le cadre de Lothar, elle semble ainsi avoir contribué en premier lieu à la constitution d'une solide anomalie de surface, et dans un second lieu, lors du creusement explosif, elle aurait accentué les mouvements qui tentent alors de corriger le déséquilibre engendré par le relâchement intensifié de cette même chaleur latente. La naissance de l'anomalie d'altitude peut être alors vue comme une réponse à ce déséquilibre. Lothar appartient ainsi à la catégorie des anomalies originelles dites d'ondes de Rossby diabatiques.

Il est cependant à noter, pour être rigoureusement exact, que Rivière et al. (2010) parviennent à modéliser un Lothar encore plus violent (avec une pression extrêmement basse de 940 hPa) en supprimant à la fois le phénomène aggravant de l'humidité et le phénomène dispersant qu'est la friction terrestre. En effet, une fois entré sur les terres, la dépression Lothar est confrontée à la rugosité du relief (même si faible), ce qui entraîne une dispersion de l'énergie. Dans la modélisation dite "sans friction et adiabatique", le terrain est considéré comme plat, ce qui n'entraîne pas de dispersion de Lothar. Sous cet angle, le rôle de l'humidité et de la chaleur latente doit donc être vu comme un phénomène qui (sur)compense la perte d'énergie liée à l'entrée de la dépression dans les terres.

Enfin, pour en venir aux fronts, leur disposition et leurs forces respectives semblent rapprocher davantage Lothar d'une dépression norvégienne que d'une dépression de Shapiro-Keyser (Welzenbach, 2010). La tempête a conservé un front froid très actif qui semble avoir généré les plus violentes rafales (Pearce et al., 2001), au même titre que les tempêtes Vivian de 1990 et Kyrill de 2007 par exemple (Hewson et Neu, 2015). 

La question des vents extrêmes "sous-synoptiques"

Lothar a eu pour particularité, on l'a vu, d'être une tempête de petit diamètre. Il y a lieu de penser que, possiblement, le réseau anémométrique du nord de la France n'ait pas enregistré les plus violentes rafales associées à la tempête. Contrairement à ce que l'on imagine, le champ des vents autour d'une dépression est loin d'être uniforme, notamment à terre. Les extrapolations menées à partir des stations officielles donnent ainsi une idée du champ des vents, mais passent sans doute à côté des "pics" de vents locaux. Pour faire un parallèle certes hasardeux, ce constat arrive très régulièrement avec les orages qui, localement, peuvent provoquer de gros dégâts dus au vent alors qu'aucune station officielle n'a mesuré de valeur significative dans les alentours, celles-ci ne se trouvant pas sur la trajectoire des rafales. Il est possible d'imaginer que, Lothar étant un système où l'énergie est concentrée sur une superficie réduite, il ait existé des variations possiblement importantes du champ des vents, parfois sur des distances d'à peine quelques kilomètres.

Officiellement, les rafales les plus violentes de Lothar ont été mesurées à Saint-Brieuc (Bretagne) et Orly (Ile-de-France) avec 173 km/h ce qui, pour rappel, est déjà énorme, notamment pour la seconde localisation, en pleine terre. Toutefois, on voit parfois apparaître une rafale de 180 km/h à Saint-Sylvain, en intérieur de Normandie, et par ailleurs pas très loin de Saint-Pierre-sur-Dives, ville qui a fait la une des journaux télévisés en raison du grave degré de destruction porté au bâti.

D'autre part, divers témoignages (notamment du forum d'Infoclimat) font état d'un ou plusieurs couloir(s) relativement peu large(s) de dévastation à travers la Normandie, laissant penser à des rafales bien plus fortes que les mesures officielles. Parmi des mesures plus officieuses, on parle d'un 210 km/h à Grandville, toutefois en situation très exposée et face à la mer, mais aussi d'un 212 km/h dans les environs du Mont-Saint-Michel. Pearce et al. (2001) avancent même une rafale de 216 km/h à Pontorson, en ajoutant toutefois que cette pointe n'était pas officialisée par Météo France.

Première contribution aux vents extrêmes de Lothar: la subsidence

Il est intéressant de noter que certaines analyses fines du champ de pression autour de Lothar présentent une certaine asymétrie, avec un gradient très prononcé à l'ouest du centre et plus "doux" à l'est.

 Analyse de surface du 26 décembre 1999 à 7h00. Les tirets gras correspondent au nouveau tracé des fronts suite à une réanalyse postérieure (source: Pearce et al., 2001).

Ces gradients de pression asymétriques peuvent être clairement lus dans le graphique ci-dessous, qui reprend les données continuelles de vent, de pression et de température à Rouen, qui passe quasiment à travers le centre de Lothar. On note que la montée violente du vent correspond exactement à la remontée de pression et la chute des températures (et du point de rosée, non-noté ici (Pearce et al., 2001)).

Source: Pearce et al., 2001

Le brutal gradient de pression juste à l'ouest de Lothar peut ainsi être vu comme une surpression dans le champ de pression en forme de cône inversé, engendrée par l'effondrement d'une masse d'air, une subsidence donc. Nous avons vu plus haut que les dépressions étaient associées à des courants ascendants juste à l'avant de leur centre, et de courants descendants juste à l'arrière. Dans le cas de Lothar, cette subsidence est puissante, et son écrasement au sol entraîne une accélération du flux. Son effet se combine à celui du resserrement isobarique et de l'irruption d'une advection froide, d'où les violentes rafales observées (Pearce et al., 2001).

Deuxième contribution aux vents extrêmes de Lothar: la convection au droit du front froid

Différents relevés font état d'orages lors du passage des vents les plus violents. De même, certains relevés mentionnent clairement le passage d'une ligne de grains, notamment à Orly. Pearce et al. (2001) placent ces manifestations au droit du front froid. C'est d'ailleurs à son passage ou juste à l'arrière de celui-ci que la rafale record de 173 km/h est mesurée, suivi d'une autre à 169 km/h dans l'heure qui suit. Sous ces aspects, Lothar est imaginé comme étant une dépression dotée d'un front froid virulent et où une composante convective peut expliquer certaines des rafales extrêmes observées (mais pas toutes).

Une étude suisse ayant analysé le front froid de Lothar à l'aide de radars Doppler a mis au jour l'existence d'une ligne convective en échelons, génératrice des plus violentes rafales. Celles-ci sont précisément localisées immédiatement à l'arrière de la convergence de surface (soit le front) et certaines vélocités obtenues sont semblables à des rafales descendantes (Schmid et al., n.d.). Il est possible de penser que des structures convectives similaires aient été actives depuis plusieurs heures, voire déjà en Normandie (de l'orage a été signalé dans la région de Rennes au passage du front froid).

Le site EUMeTrain signale par ailleurs qu'une ligne d'orages a été active au sein de Lothar entre 7h00 (sud-ouest de Paris) et le milieu de journée (nord de la Suisse et sud-ouest de l'Allemagne). Une structure nuageuse est par ailleurs identifiable au droit du front froid dès la Baie du Mont-Saint-Michel à 5h00:
 
Lothar à 5h00 en canal IR (source: ZAMG).

Lothar à 5h37 en canal IR (source: NOAA).

Mais c'est vraiment au niveau de l'Ile-de-France que la convection prend vigueur, comme le montrent les images satellites ci-dessous. Ce cordon de convection se trouve calé sur le front froid de surface.

Lothar à 7h00 en canal IR (source: ZAMG).

A 10h00, la ligne de grains est toujours visible sur le nord-est de la France:

Lothar à 10h00 en canal IR (source: ZAMG).

Le front froid et la ligne de grains associée semble ainsi constituer la tête de pont des plus violentes rafales. Il n'est par ailleurs pas impossible que cette dernière soit intensifiée par l'intense poussée liée à la violente subsidence à l'oeuvre dans le cadran ouest et sud-ouest de la dépression. De telles interactions et la convection associée avaient aussi été mis en évidence au coeur de la tempête de 1987 (Browning, 2004).

Il est d'ailleurs intéressant de noter que de nombreux témoignages, aussi bien sur le forum d'Infoclimat que dans l'émission "La tempête du siècle" parlent régulièrement d'un début brutal de l'épisode tempétueux.

Troisième contribution aux vents extrêmes de Lothar: la foliation de tropopause

La tropopause constitue la limite entre troposphère et stratosphère. Lors de l'intensification d'une dépression, cette tropopause tend à s'enfoncer vers de plus basses altitudes, formant un "coin" d'air stratosphérique engoncé dans la troposphère. La foliation de tropopause correspond ainsi, en vue générale, à l'intensification de l'anomalie froide d'altitude. C'est pourquoi on parle aussi d'anomalie de tropopause.

Schéma d'une foliation de tropopause. Le J marque le coeur du Jet-stream (source: nwcsaf.org).

Par sa nature, ce coin d'air stratosphérique génère de la turbulence autour de lui, et tend à déstabiliser la masse d'air coincée en-dessous. Les foliations de tropopause participent à la subsidence que l'on trouve juste derrière le coeur des dépressions très creuses et sont souvent associées à de violentes rafales au sol (Skerlak et al., 2014). Dans le cas de Lothar, cette foliation de tropopause était extrêmement marquée.

Par ailleurs, ce coin d'air stratosphérique est extrêmement sec, et tend ainsi à évaporer les nuages qu'il rencontre. Cet effet est alors visible sur les images satellites. Ainsi, si l'on regarde la structure nuageuse de Lothar sur l'image ci-dessous, on note la présence d'une encoche sombre qui découpe la canopée nuageuse jusque dans le sud de la Normandie. Cette "vallée" sans nuages est liée à l'enfoncement d'air stratosphérique, donc à l'effet de la foliation de tropopause. En anglais, elle porte le nom de dry slot (ou encoche sèche en français).



Source: ZAMG

Pour en revenir à la convection alors présente sur le front froid situé sous cette encoche, la présence du coin d'air stratophérique dynamiserait dans ce cas cette convection, avec des phénomènes complexes d'évaporation des sommets nuageux et d'accentuation des courants descendants, générant à leur tour de violentes rafales convectives au droit du front. Toutefois, à ce stade, le manque d'informations et de données ne permet pas de trancher pleinement en faveur de cette hypothèse. 

Lothar à 7h00 en canal WV. La ligne noire est celle d'un transect, non repris ici (source: Meteosat et Wernli et al.).

L'image ci-dessus montre Lothar alors qu'il atteignait pratiquement le maximum de son creusement. La tache noire marque toujours un contenu en humidité très faible, en lien avec le virulent enfoncement d'air stratosphérique (et la foliation de tropopause associée) vers des altitudes plus basses et est située à peu de choses près à l'aplomb de la zone des vents les plus violents. A noter que juste sur le bord est d'attaque de cette zone noire, on note à nouveau les marques de la convection sous intrusion sèche.

Quatrième contribution aux vents extrêmes de Lothar: l'influence du relief?

Le comportement des vents de Lothar en Normandie reste à ce jour en partie incompris, malgré la prise en compte des éléments qui viennent d'être exposés. Pour rappel, divers témoignages parlent d'un couloir partant de la Baie du Mont-Saint-Michel et allant vers l'est où les vents semblent avoir été bien plus violents qu'en bordure de celui-ci.

Le relief de cette région a-t-il pu contribuer à l'accélération du vent? On note en effet, à l'est de la Baie du Mont-Saint-Michel, différentes structures géologiques donnant un relief orienté grosso modo ouest - est, avec une série de vallées et de crêtes. En imaginant la subsidence et l'engouffrement du flux dans la Baie du Mont, le vent a pu être accéléré par effet Venturi tout au long de ces structures. De plus, cette zone se retrouverait sous la foliation de tropopause et la région de subsidence maximale de Lothar. Ces structures de relief se poursuivent par ailleurs plus à l'est, jusque la région de Alençon (où une rafale officielle de 166 km/h a été mesurée). Toutefois, cette hypothèse de l'influence du relief ne peut être vérifiée par nos moyens.


Relief centré sur la Normandie, avec le rectangle rouge délimitant grosso modo la zone au sein de laquelle les vents auraient été les plus violents.

La question du Sting Jet

Le Sting Jet est un tube de vent très violent qui est parfois observé lors des dépressions à creusement rapide, et qui descend en oblique de la moyenne troposphère en direction des basses couches. Celui-ci se produit au sud-ouest ou au sud du centre dépressionnaire, à la pointe du retour de la tête nuageuse. Ce phénomène est régulièrement invoqué pour expliquer les vents les plus terribles observés au sein des tempêtes, et peut atteindre voire dépasser des vitesses telles que 200 km/h. Toutefois, il ne survient pas dans toutes les tempêtes, loin de là. Par ailleurs, Schultz et Sienkiewicz (2013) font l'hypothèse que les Sting Jets ne se produisent que dans les dépressions de Shapiro-Keyser, leur structure et les mécanismes y étant à l'oeuvre étant favorables à leur survenue, au contraire des dépressions norvégiennes. Or, Lothar semble avoir été beaucoup plus proche d'une cyclogénèse norvégienne que d'une cyclogénèse selon le modèle Shapiro-Keyser. Sous cet angle, il n'y aurait pas eu de Sting Jet, tout du moins bien développé, au sein de Lothar.

Toutefois, les images satellites entre la Normandie et l'Ile-de-France comportent des indices troublants, avec notamment l'effilochage de la pointe nuageuse de l'occlusion que l'on observe en cas de Sting Jet. Cet effilochage est pratiquement à l'aplomb de la zone des vents les plus violents. De plus, Hewson et Neu (2015), s'ils affirment que Lothar est avant tout une tempête qui doit sa plus grande violence au front froid, n'excluent pas pour autant qu'un sting jet ait pu survenir. La question de la survenue ou non d'un Sting Jet dans Lothar reste donc entière.

Complément 1: malgré leur puissance similaire, Lothar et Martin ont fonctionné (assez) différemment

On l'a vu, Lothar est issu d'une onde de Rossby diabatique, un type d'anomalie chaude de surface dont le tourbillon, vigoureux, est alimenté par le dégagement de chaleur latente et joue un rôle primordial dans le creusement de la dépression lorsque celui-ci passe sous l'axe de Jet (Binder et al., 2016).

Si les deux tempêtes ont comme point commun d'avoir tiré en partie leur énergie du contenu en vapeur de la masse d'air qui les alimentait par le sud, on note la présence d'une anomalie d'altitude bien discernable au début de l'intensification de Martin, ce qui n'est pas le cas pour Lothar (Fourrié et al., 2002 ; Rivière et al., 2010). Sans ce précurseur d'altitude, Martin serait resté à l'état de dépression peu creusée et n'aurait pas engendré la seconde tempête des 27 et 28 décembre sur la France (Rivière, 2012). Cette seconde tempête est donc plus proche du type de dépression C qui, en tant que modèle, associe les deux types d'anomalies préexistantes pour expliquer l'intensification, en plus du rôle de la chaleur latente (Binder et al., 2016).

Complément 2: entre Lothar et Martin, une autre tempête a avorté

L'histoire retient que, entre le 26 et le 28 décembre, deux dépressions de tempête ont traversé la France. Pour autant, les relevés du nord de la France et de la Belgique montrent un second maximum de vent, accompagné d'un nouveau duo baisse-remontée de pression, au soir du dimanche 26 décembre, à peu près dix à douze heures à la suite du passage de Lothar. Bien que bien moins violent, ce coup de vent donne toutefois quelques rafales significatives. A Florennes, en Belgique, la pression baisse de 7 hPa entre 18 et 21 heures, suivi d'une remontée de 5 hPa en deux heures, associée à une rafale de 94 km/h et d'un vent moyen de 50 km/h. A Cambrai, un phénomène similaire est noté, avec une rafale de 87 km/h. A Beauvais, on note une pointe de 90 km/h. A Saint-Quentin, le vent atteint 100 km/h à 21h00.

Et comme pour Lothar et Martin, tout est parti d'une onde de surface sur l'Atlantique. Alors que Lothar se prépare à traverser la France, il est suivi non pas par une mais par deux ondes, la dernière étant Martin. Sur la carte ci-dessous, Lothar et Martin sont notés respectivement L1 et L3, une troisième onde dépressionnaire, L2, leur étant intermédiaire.

 Analyse de surface des "cartes de Berlin" le 26 décembre à 1h00 (source: Welzenbach, 2010).

Lorsque la dépression naissante L2 s'engage sur le sud des Iles britanniques vers midi le 26, les signes menaçants d'un début de cyclogénèse explosive apparaissent, comme pour Lothar alors qu'il transitait juste au nord de la Bretagne dix heures plus tôt. Les images vapeur d'eau montrent un début d'enfoncement d'air stratosphérique, en lien avec une foliation de tropopause. A noter que, au contraire de Lothar, une anomalie froide d'altitude préexistait et commence alors à interagir avec l'anomalie de surface. La dépression se trouve alors en ce moment sous une sortie gauche de Jet-stream.

 Image en canal vapeur d'eau à 13h00 le 26 décembre. La tempête "intermédiaire" ou L2, alors centrée sur les Cornouailles, montre les signes d'une intensification, avec un enfoncement d'air stratosphérique en noirâtre. A noter la spirale de Lothar en cours d'essoufflement sur l'Allemagne (source: ZAMG).

 Image en canal infrarouge à la même heure (source: ZAMG).

Toutefois, alors que cet embryon de tempête semble prendre la direction de la Belgique (selon une trajectoire légèrement plus au nord que Lothar), un déphasage s'opère entre le tourbillon de surface et l'anomalie d'altitude qui se rompt en deux: une partie glisse sur le nord de la France vers la région parisienne tandis qu'une autre, plus faible, se trouve déjà sur l'Allemagne. La dépression a beau être à ce moment dans les parages de cette seconde anomalie, elle se retrouve mal placée par rapport à cette dernière, plutôt à son arrière (pour rappel, les cyclogénèses explosives requièrent que le tourbillon de surface soit placé un peu en avant de l'anomalie d'altitude). Ainsi, sur la carte ci-dessous, les zones dangereuses se trouvent alors loin de la dépression de surface (rond blanc), en Bavière et entre Beauce et Bourgogne. De cette manière, les mouvements verticaux entre l'anomalie de surface et l'anomalie d'altitude qui se divise perdent leur force, et la cyclogénèse arrête sa progression, empêchant un renforcement des vents au-delà de 90-100 km/h à terre.

Disposition des anomalies d'altitude favorables à la cyclogénèse (en vert-bleu) le 27 décembre à 1h00. La position du tourbillon de surface est marquée par un rond blanc (tiré de Welzenbach, 2010).

A 16h00, au vu de la structure nuageuse présente sur les images satellites, le doute concernant un éventuel arrêt de la cyclogénèse est permis. La forme ici affichée par la dépression intermédiaire, dont le coeur est alors sur les côtes sud anglaises, est encore relativement proche de celle des tempêtes. De plus, une convection assez intense opère près de ce coeur, en lien avec l'enfoncement d'air stratosphérique qui déstabilise la couche d'atmosphère en-dessous de lui, et touche la région de Cherbourg. Dans l'heure qui suit, de l'orage est signalé à la Pointe de la Hague, avec un vent moyen de 91 km/h et une rafale de 118 km/h, ce qui est tout de même de bonne facture. Une heure plus tard, c'est le très exposé Cap de la Hève, près de Le Havre, qui enregistre un vent moyen de 104 km/h et une rafale de 141 km/h. Une petite heure encore après, une pointe de 108 km/h est mesurée à Dieppe.

A noter, en entrée de Manche, une nouvelle structure nuageuse, mais dont l'origine est différente: il s'agit d'un comma (développement d'air froid), toutefois non-dénué de force puisqu'il donnera des rafales jusqu'à 115 km/h sur les caps exposés. Les commas ne sont pas sujets à d'intenses creusements.

Image en canal infrarouge à 16h00 le 26 décembre 1999 (source: ZAMG).

Dès 19h00, il apparait assez clairement sur les images satellites que la dépression ne se développera pas davantage. L'intrusion d'air sec est déjà moins marquée à cette heure (la zone noire au sud du centre, alors dans les parages de l'extrême nord de la France, est devenue plus grise) et la structure nuageuse ne semble pas vouloir prendre les traits menaçants d'une tempête, avec une pointe de scorpion à l'ouest du centre dépressionnaire. On devine aussi le comma, alors en Manche, qui entrera ensuite sur le nord de la France et donnera des orages en fin de soirée en région parisienne (signalés notamment à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle).

 Image en canal vapeur d'eau à 19h00 le 26 décembre (source: ZAMG).

En conclusion, si cette dépression avait tiré profit d'un meilleur phasage tout en suivant la même trajectoire, elle aurait très probablement débouché sur une troisième tempête dont les vents les plus violents auraient vraisemblablement concerné l'extrême nord de la France, la Wallonie, le Grand-Duché de Luxembourg et une partie de l'ouest de l'Allemagne.

Quelques articles du blog qui peuvent aider

Tempêtes européennes, de quoi parle-t-on?

Généralités sur les tempêtes en Belgique

Bibliographie

Binder, H., Boettcher, M., Joos, H., Wernli, H. (2016). The Role of Warm Conveyor Belts for the Intensification of Extratropical Cyclones in Northern Hemisphere Winter.

Browning, K. (2004). The sting at the end of the tail: Damaging winds associated with extratropical cyclones. 

Fourrié, N., Claud, C., Chédin, A. (2002). Depiction of Upper-Level Precursors of the December 1999 Storms from TOVS Observations.

Hewson, T., Neu, U. (2015). Cyclones, windstorms and the IMILSAT project. 

Liberato, M., Pinto, J., Trigo, I., Trigo, R. (2011). Klaus, an exceptional winter storm over northern Iberia and southern France.

Rivière, G., Arbogast, P., Maynard, K., Joly, A. The essential ingredients leading to the explosive growth stage of the European wind storm Lothar of Christmas 1999. 

Rivière, G. (2012). Dynamique des dépressions des latitudes tempérées et leur rôle dans la circulation générale de l'atmosphère. Université Toulouse III Paul Sabatier.

Schmid, W., Wüest, M., Dobbertin, M., Schütz, J.-P. (n.d). The winter storm Lothar: an integrated view on Doppler Radars, ground winds and forest damages in northern Switzerland.

Schultz, D., Sienkiewicz, J. (2013). Using Frontogenesis to Identify Sting Jets in Extratropical Cyclones.

Skerlak, B., Sprenger, M., Pfahl, S., Tyrlis, E., Wernli, H. (2014), Tropopause folds in ERA-Interim: Global climatology and relations to extreme weather events.

Ulbrich, U., Fink, A. H., Klawa, M., Pinto, J. G. (2001). Three extreme storms over Europe in December 1999.

Welzenbach, F. (2010). Phenomenological examination of "Lothar Successor" - the forgotten storm after Christmas 1999.

Wernli, H., Dirren, S., Liniger, M., Zillig, M. (2002). Dynamical aspects of the life cycle of the winter storm "Lothar" (24-26 December 1999).

Liste de liens


https://forums.infoclimat.fr/f/topic/11429-les-temp%C3%AAtes-de-d%C3%A9cembre-1999/?page=3 

https://belgorage.be/almanach/base-de-donnees-breves-et-articles-1999-12-25-orages

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