Elles rythment nos arrière-saisons aux côtés des offensives neigeuses et sont plus ou moins présentes selon les années. A la manière des disques hypnotiseurs, elles déploient leurs grandes spirales sur les images satellites et attirent les regards des météorologues. Elles, ce sont les grandes dépressions de tempête qui chaque saison traversent l'océan et finissent sur notre continent. En voici une présentation.
Une histoire de pressions
Tout d'abord, le vent existe par le fait des différences de pression atmosphérique à travers l'espace. Plus cette différence est forte, plus le vent sera puissant. Chez nous, c'est le creusement des dépressions qui est la plupart du temps responsable de cette augmentation du gradient de pression. En règle générale, plus une dépression se creuse, plus le vent sera fort. Cependant, la pression au centre de la dépression n'a pas besoin d'être très basse pour engendrer du vent violent. Il suffit qu'un anticyclone soit présent à quelque distance pour y parvenir. La carte ci-dessous en montre un exemple.
Analyse de surface du 6 mars 2017 à midi (source: KNMI).
Ce jour-là, une forte tempête balayait l'ouest de la France. Pourtant, la dépression (les deux L) n'était pas très creusée, à peine sous 1000 hPa. Cependant, un puissant anticyclone se trouvait près de la Péninsule ibérique, ce qui a accentué la différence de pression entre la dépression et l'Espagne. Les lignes bleues, les isobares, représentent les lignes d'égale pression. Plus elles sont resserrées, plus le différentiel de pression est important, et plus le vent est fort. Or, on voit bien qu'au sud-ouest de la dépression, ces isobares étaient très resserrés (cercle orange), d'où les vents violents du jour.
Il s'agit d'un schéma général, et d'autres phénomènes de l'atmosphère peuvent accentuer le vent au sein des tempêtes. Nous y reviendrons plus tard.
Comment se forment les dépressions?
Dans la région en-dehors des tropiques (et qui nous concerne donc), ce sont essentiellement des différences horizontales de températures qui sont à la base des dépressions. Au départ, une petite anomalie apparaît dans les basses couches de la troposphère sur un front séparant deux masses d'air à températures différentes. Pour expliquer cela très simplement, l'air chaud au sud tend à vouloir monter vers le nord tandis qu'un peu en arrière du front, l'air froid tend à vouloir descendre vers le sud. Ce processus créée une onde dépressionnaire, avec à son avant un front chaud et à son arrière un front froid.
Schéma de la naissance d'une dépression (marquée par "point d'inflexion") (source: wikipedia).
Pour autant, sans d'autres coups de pouce, cette petite dépression de surface ne se développerait pas davantage. Elle a besoin d'être phasée avec un creux d'altitude (on pourrait parler d'anomalie basse de tropopause, mais ça risque de devenir compliqué) qui doit se tenir à l'ouest de la dépression de surface pour faire effet. Il faut savoir qu'en altitude, les masses dépressionnaires froides sont au nord et les masses anticycloniques chaudes sont au sud, le tout globalement séparé par le Jet-stream qui doit pour bonne partie son existence à cette différence de températures en altitude.
Pour autant, la limite - et le Jet-stream qui va avec - n'est pas rectiligne et a tendance à onduler. Un U, avec son fond vers le sud, forme un creux dépressionnaire d'altitude (appelé aussi talweg d'altitude). Pour la petite histoire, les deux (talweg d'altitude et dépression de surface) vont interagir et se renforcer mutuellement. C'est ce qu'on appelle l'instabilité barocline qui est le grand moteur de nos tempêtes européennes (et de manière générale, des dépressions en-dehors des tropiques).
A noter qu'on parle aussi souvent du rôle que peut avoir le Jet-stream dans le creusement des dépressions: un jet très rapide comporte des zones où les ascendances de l'air sont forcées, favorisant le creusement des dépressions.
Schéma simplifié de l'interaction entre la dépression de surface et celle d'altitude. Le tube symbolise le Jet-stream (source: Meteo France).
Lorsque les différents éléments sont bien phasés (configuration du Jet-stream, dépression d'altitude...), la dépression de surface se creuse rapidement, augmentant la force du vent. La dépression arrêtera de se creuser lorsque ce phasage ne sera plus parfait (affaiblissement et/ou éloignement du Jet, éloignement de l'air chaud et donc de la zone de différence de températures, passage de la dépression d'altitude devant celle de surface...).
D'autres processus peuvent intervenir, notamment le dégagement de chaleur latente lié à la condensation de l'air humide des basses couches en nuages et précipitations lors des ascendances synoptiques souvent observées juste en aval du centre dépressionnaire. Pour faire simple, ce surplus de chaleur entraîne un déséquilibre qui doit être corrigé par une accélération des mouvements d'air qui animent la tempête.
Une machine à flux
Les dépressions - et pas seulement les tempêtes - sont animées de différents flux plus ou moins sécants entre eux. A l'inverse des cyclones tropicaux où le vent tourne réellement en rond autour du centre, le champ des vents de nos tempêtes comporte des irrégularités liées aux fronts entre autres. De part et d'autre de tous ces fronts circulent trois grands courants principaux appelés conveyor belts en anglais (ou "bande transporteuse" en français): un chaud, un froid et un sec. Ils se disposent plus ou moins selon le schéma suivant très général (dans les faits, des différences de placement peuvent être observées).
Le courant chaud (warm conveyor belt) se trouve dans le secteur chaud de la dépression. Il longe le front froid (ligne bleue avec les triangles) devant celui-ci puis s'élève en altitude, formant ainsi le front chaud (ligne rouge avec les demi-cercles). Le vent peut y être fort, mais il est peu turbulent (sauf si intervention du relief). Le flux a tendance à s'écouler assez régulièrement, et la vitesse des rafales y est souvent peu supérieure à celle du vent moyen (sauf si, une nouvelle fois, le relief intervient ou que de la convection est présente). Classiquement, ce flux est prédominant lorsque la dépression en est à son premier stade de développement, et disparaît lorsque celle-ci s'affaiblit.
Le courant froid (cold conveyor belt) se trouve quand à lui devant le front chaud, au nord de la dépression. Au niveau du vent, ce n'est pas le plus intense des trois. Toutefois, dans le cas des dépressions de tempête, le comportement de la cold conveyor belt peut différer du schéma ci-dessus, avec une branche descendante qui tourne dans le sens anti-horlogique du centre dépressionnaire. Dans ce cas, le vent au sud et à l'ouest de la dépression peut devenir très intense, avec de violentes rafales si la convection (averses et orages) s'y développe, plaquant vers le sol les vitesses rapides de ce courant. Une fois l'intensification de la tempête terminée, c'est ce courant qui explique la plupart des plus forts vents observés.
Le courant sec (dry conveyor belt) est le plus turbulent, et régulièrement c'est dans ses parages qu'ont lieu les plus fortes rafales d'une tempête. Ce courant est lié à l'anomalie d'altitude (l'anomalie basse de tropopause ou, plus schématiquement, la dépression d'altitude) qui est un enfoncement d'air stratosphérique très sec. Sa présence peut déstabiliser les masses d'air présentes en-dessous et activer la convection, en rendant par exemple le front froid très intense et orageux. Son rôle dans le déclenchement du Sting Jet, un courant très rapide descendant de la moyenne troposphère vers le sol, est également régulièrement discuté. Le Sting Jet vient opérer au sud-ouest et au sud du centre dépressionnaire, se mêlant parfois à la cold conveyor belt, et donnant des rafales qui dépassent régulièrement les 150 km/h (des cas à 200 km/h voire davantage ont déjà été signalés).
Des dépressions, mais pas que
On l'a vu, certaines tempêtes de nos latitudes peuvent être le
siège de phénomènes de convection (fortes averses, orages...) qui
peuvent être responsables de rafales bien plus fortes que celles
engendrées par le seul gradient de pression. Nous en avions parlé dans cet article. Il arrive par ailleurs que certains épisodes "tempétueux" se limitent au passage de lignes de grains ou d'orages, accompagnées de brutales rafales mais qui ne durent que quelques minutes.
Entre les deux, on trouve des phénomènes dont la taille fait quelques centaines de kilomètres et qui se développent dans l'air froid, derrière les dépressions classiques, sans présence initiale d'un front chaud et d'un front froid. Ces structures, appelées commas ou cold air development selon leur importance, comportent des averses et des orages qui peuvent développer leurs propres rafales, mais leur présence influence le champ de pression en accélérant le vent à leur sud, parfois jusqu'au seuil de la tempête (rafales de 100 km/h).
Ci-dessous, l'image satellite montre la tempête Zubin la nuit du 13 au 14 décembre 2017. La dépression principale se trouve alors entre Ecosse et Norvège, mais c'est un creux dépressionnaire secondaire qui donne à ce moment des pointes jusqu'à 90 km/h sur la Wallonie. Il est observable par le comma qu'il transporte. Ici, les rafales sont expliquées par une déformation du champ de vent de Zubin, où il est accéléré par le creux.
La tempête Zubin la nuit du 13 au 14 décembre 2017 (source: Wokingham Weather).
Quelle différence avec les ouragans tropicaux?
Il existe une similitude entre nos tempêtes et les cyclones tropicaux: ce sont des dépressions. D'ailleurs, on signalera que dépression et cyclone sont au départ des synonymes. Ainsi, le nom scientifique de nos dépressions est cyclone extratropical pour les différencier des cyclones tropicaux (les ouragans donc). D'ailleurs, une dépression de nos latitudes qui donnerait des vents moyens de plus de 120 km/h pourrait être nommée comme ouragan, en cohérence avec l'échelle de Beaufort. Pour éviter les confusions, on parle parfois d'ouragan extratropical ou de dépression avec des vents d'ouragan, pour éviter les confusions.
Pour les points communs, on s'arrête là. Alors qu'une dépression de chez nous se forme grâce au Jet-stream et aux fronts pour faire simple, les cyclones tropicaux se servent de la chaleur de la mer pour organiser leurs nuages orageux et se creuser. Le schéma ci-dessous tente de synthétiser les différences.
Les différences les plus notables sont liées à la physionomie des cœurs des dépressions. Dans un cyclone tropical, le coeur dépressionnaire des basses couches est aligné avec un anticyclone en altitude, près de la troposphère. Il est de plus plus chaud que son environnement. Dans "nos" tempêtes, les coeurs dépressionnaires sont la plupart du temps froid, et celui de surface est décalé avec celui d'altitude comme on l'a vu. Certaines tempêtes de nos latitudes qui se renforcent rapidement peuvent cependant présenter un petit coeur de basse couche plus chaud, on les appelle "séclusions chaudes".
Une saison des tempêtes européennes?
L'Europe occidentale peut subir des coups de vent toute l'année, mais c'est en général entre novembre et mars qu'ils sont les plus nombreux. Lorsque l'on parle de saison des tempêtes, ce sont ces mois-là qui sont en général évoqués.
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