dimanche 11 novembre 2018

Les descentes polaires de fin d'automne: gare aux surprises neigeuses!

Novembre est arrivé. L'amateur de météo est dans une période un peu "creuse", et attend les premiers coups de vent et les premiers frimas. Même si ce n'est pas encore l'hiver, il sait que la fin de l'automne peut comporter les plus grosses surprises neigeuses, et pas seulement en Haute Belgique. Un petit tour dans les archives peut en attester. Flashback.

Novembre 1973. Après la crise pétrolière vient la crise polaire. Le pays est noyé sous la neige. Au soir du 28 novembre, on relève 34 cm d'or blanc à Uccle, égalant un record datant de 1925, et fin novembre ici aussi. On note une quarantaine de centimètres de neige du côté de Gembloux et plus de 80 cm dans les Hautes-Fagnes! Pendant deux jours, de fortes averses de neige défilent en rang d'oignon, donnant un décor fantastique et un foutoir énorme sur les routes. Des orages se permettent même le luxe d'accompagner les plus fortes averses, comme cela est noté à Zaventem, Anvers ou encore du côté de Ciney. Les rares éclaircies n'ont même pas le temps de procéder au dégel, la température se maintient à peine au-dessus de 0°C. Pour plus d'informations sur cet épisode exceptionnel, je vous renvoie vers cet article de Météo Belgique.

29 novembre 1985. Dans les Hautes-Fagnes, on relève 30 à 40 cm de neige. Même plus bas, cette couche est remarquable pour une fin novembre. Il y en a par exemple 16 cm à Florennes.

30 novembre 1993. Le pays est paralysé par les pluies verglaçantes. En fin de journée, ce sont des chutes de neige qui prennent le relais, on en relève jusqu'à 13 cm à Hastière. 

6 décembre 1998. Les enfants accueillent Saint-Nicolas sous la neige dans de nombreuses écoles du pays. En région bruxelloise, on relève jusqu'à 20 cm d'or blanc!

26 novembre 2005. Après deux premières décades très douces, les arbres portent encore une partie de leurs feuilles. Le contraste entre les couleurs de la végétation et l'or blanc est saisissant. Il neige toute la nuit du 25 au 26 et en matinée du 26, donnant une quinzaine de centimètres de neige dans la région de Charleroi et jusqu'à 21 cm en région bruxelloise! L'après-midi, quelques averses hivernales se produisent, mais le processus de fonte est déjà enclenché. Seul le massif ardennais en rééchappe et voit la neige dépasser les 30 cm d'épaisseur par endroits le lendemain. Voir cet article de Météo Belgique pour plus d'infos.

La neige au matin du 26 novembre 2005 à Waterloo (auteur: X. Lizin, Météo Belgique).

Le week-end des 22 et 23 novembre 2008. Après une série d'averses hivernales le 22, ce sont des chutes de neige continues qui se produisent le 23, le tout poussé par un vent fort. Dans la région de Charleroi, la neige accumulée en deux jours atteint entre 10 et 15 cm.

Et enfin, décembre 2010. Un mois froid et spectaculaire qui bat le record du nombre de jours de neige à Uccle. Plusieurs épisodes d'envergure provoquent de gros embarras de circulation, et ce dès le 5 décembre avec localement une trentaine de centimètres de neige, puis les 19 et 23-24 décembre où il retombe à chaque fois quinze à vingt-cinq centimètres de neige. La couche de neige totale accumulée atteint parfois 40 à 50 cm dans le Condroz au matin du 24. Voir l'article que nous avions réalisé sur ce mois fou.

On pourrait s'interroger sur l'occurence de tels épisodes neigeux conséquents à d'autres moments de l'hiver. Et ici interviennent les statistiques.


Ce graphique de l'enneigement à Uccle est intéressant à plus d'un titre. S'il montre bien que c'est au coeur de l'hiver que les chances de voir de la neige sont les plus élevées, c'est entre grosso modo le 20 novembre et le 10 décembre que les plus grandes épaisseurs de neige ont été mesurées. D'autres pics moins importants sont observés ailleurs dans l'hiver. Pour résumer, à la fin de l'automne, il ne neige pas souvent, mais quand c'est le cas, il y a plus de chances de voir de grosses quantités d'or blanc qu'à d'autres moments de l'hiver. Reste à savoir pourquoi...

Ces événements de neige conséquente de fin d'automne ont presque tous (novembre 1993 et décembre 2010 sont un peu à part) comme origine un phénomène commun: la descente d'air polaire, qui décrit la coulée d'air très froid en provenance du pôle, guidée par le double jeu d'un anticyclone à l'ouest des Iles britanniques et d'une profonde dépression sur la Scandinavie, voire l'Europe centrale (et parfois l'Allemagne ou les Pays-Bas). Ces descentes se manifestent à n'importe quel moment de l'année, mais à la fin de l'automne, elles ont leur subtilité que nous verrons plus loin.

Reprenons quelques exemples cités ci-dessus et analysons les conditions atmosphériques présentes à ces moments-là. Il est utile, avant d'analyser ces exemples, de redéfinir la notion de géopotentiel: il s'agit de l'altitude à laquelle une pression donnée est trouvée. Plus cette altitude est élevée, et plus la masse d'air est anticyclonique, à l'inverse plus elle est basse et plus la masse d'air est dépressionnaire.

Fin novembre 1973

La situation est assez "pure" et typique des flux de nord neigeux. Une puissante dépression se trouve sur la Russie tandis qu'un anticyclone campe juste à l'ouest de l'Europe. En altitude, le flux pousse les averses neigeuses se formant sur la mer du Nord dans les terres avec une grande rapidité, de telle sorte qu'elles n'ont pas réellement le temps de faiblir malgré l'instabilité diminuant dans les terres. Toutefois, celle-ci reste significative, l'air étant bien froid en altitude (-8°C à 850 hPa, soit 1550 mètres, et presque -40°C vers 5400 mètres). Avec une mer du Nord encore à près de 10°C, on a ainsi une mince lame d'air à température légèrement positive et bien humide, surplombé par l'air très froid, le tout dans un environnement bien dynamique. En conséquence, des averses de neige puissantes qui se suivent les unes après les autres, laissant peu de place aux éclaircies où les rayons du soleil n'ont pas le temps d'amorcer un processus de fonte.

Le première carte ci-dessous, outre les pressions en surface (lignes blanches), montre aussi les géopotentiels, à savoir l'altitude à laquelle il faut monter pour trouver une pression donnée, ici 500 hPa. Plus elle est élevée, et plus la masse d'air en altitude et anticyclonique. Plus elle est basse, plus elle est dépressionnaire.

Pression au sol (lignes blanches) et géopotentiel à 500 hPa (source: Météociel).

 Températures à 850 hPa (environ 1500 mètres d'altitude) (source: Meteociel).

Début décembre 1998

La situation est assez similaire dans les grandes lignes: une dépression sur la Pologne et une crête anticyclonique s'étirant sur le proche Atlantique et les Iles britanniques.

Pression au sol (lignes blanches) et géopotentiel à 500 hPa (source: Météociel).

Températures à 850 hPa (environ 1500 mètres d'altitude) (source: Meteociel).

Fin novembre 2005

Ici, la situation est différente. L'enfoncement des masses dépressionnaires d'altitude est davantage centré sur nos régions. Il s'agit pratiquement d'un décrochage tant ces masses tendent à s'isoler des dépressions arctiques. A l'opposé, on observe un puissant anticyclone sur l'Atlantique.

Cette situation est différente d'un flux de nord plus classique, la dépression étant en ce 26 novembre 2005 très proche de nos régions. De plus, la neige ne tombe pas sous forme d'averses, mais est au contraire associée aux fronts occlus de la dépression. On observe ainsi pendant douze heures des chutes de neige faible à modérée qui donnent par endroits 15 à 20 cm d'accumulation, le tout sous une température de ou légèrement supérieure à 0°C.
 
Pression au sol (lignes blanches) et géopotentiel à 500 hPa (source: Météociel).

Températures à 850 hPa (environ 1500 mètres d'altitude) (source: Meteociel).
 
Des descentes polaires, il s'en produit régulièrement chaque année, et en toute saison. Elles peuvent ainsi donner de la neige de novembre à mars (voire avril), mais le fait est que leurs conséquences neigeuses sont en moyenne plus importantes à la fin de l'automne et au tout début de l'hiver. En effet, les descentes polaires de novembre et décembre véhiculent de l'air déjà très froid en altitude par dessus les eaux de la mer du Nord encore relativement "douces", notamment si la fin de l'été et l'automne ont été chauds. Cette douceur se communique à la couche d'air juste au-dessus de la mer, la chargeant aussi en humidité (une masse d'air plus chaude peut contenir davantage d'humidité), créant avec les masses d'air bien plus froides en altitude une forte instabilité. Ainsi, les averses peuvent être particulièrement nombreuses et transportées loin dans les terres si le flux est rapide, l'air froid en altitude étant rabattu vers les basses couches par ces averses, favorisant l'apparition de neige ou, à tout du moins, d'averses hivernales. De même, le contenu en humidité relativement important peut, au sein des perturbations, contribuer à des chutes de neige plus abondantes, d'où les accumulations parfois conséquentes observées en fin d'automne chez nous... pour autant que les températures le permettent. 0 à 1°C peuvent toutefois suffire pour l'obtention d'une couche de neige épaisse mais gorgée d'eau, très lourde.

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