samedi 11 mars 2023

"Qui pourrait imaginer que nous sommes à quelques jours du printemps..." - L'extraordinaire épisode neigeux de mars 2013

" Qui pourrait imaginer que nous sommes à quelques jours du printemps... "

Cette phrase mi-sarcastique mi-fataliste, c'est David Pujadas qui la prononce à l'ouverture du 20h00 de France 2 du 12 mars 2013, journée qui vient d'entrer avec fracas dans l'histoire météorologique française, mais aussi belge. Le nord de l'Europe grelotte, plongé dans un véritable blizzard - et cette fois, le mot n'est pas usurpé - alors qu'au sud, le printemps chante déjà gaiement.

Le sentiment qui prévaut alors que le printemps climatologique est commencé (même dans une partie de la communauté météo), c'est une forme de fatigue, de lassitude générée par un hiver qui n'en finit pas. Ce fut aussi le cas pour l'auteur de ces lignes, Belge, pourtant pas indifférent à un bon plâtrage et à un froid autre que l'habituelle humidité désagréable de la moyenne climatologique saisonnière.

Parce que l'hiver 2012-2013, en tout cas en Belgique, il a commencé dès début décembre, et hormis quelques rares intermèdes doux (dont un plus long aux alentours de Noël - on ne change pas les "traditions"...), il se maintient dans une constante froide et neigeuse passé le Nouvel An. 

En effet, si décembre fut normal, janvier et février ont été tous les deux sous les normes thermiques de l'époque, notamment le second, considéré comme anormalement froid. Au niveau statistique, la neige ne fut pas en reste non plus. 13 jours de présence à Uccle (siège de l'IRM à Bruxelles) en janvier (normale: 4,2) et 11 en février (normale: 5,2).

Le campus du Sart Tilman, sur les hauteurs de Liège (Belgique) le 8 février, photo du Chroniqueur. Un paysage presque devenu banal en cet hiver 2012-2013...

Durant les premiers jours de mars pourtant, la situation change du tout au tout: de l'air chaud atteint la Belgique, et amène les premières belles journées de l'année 2013. Le 6 mars est le plus chaud depuis le début des observations à Bruxelles en 1833: on relève 19,5°C comme température maximale dans l'après-midi. Cette douceur se poursuit les jours suivants dans un contexte plus humide. Le printemps semble s'être installé définitivement. 

C'est cependant à croire que la météo ne connaît pas la pitié cet hiver... Alors que la population profite du beau temps, les modèles ont déjà bien en vue la seconde quinzaine de mars. Plus au nord, l'air sibérien commence une nouvelle fois à bousculer l'air doux. Un important conflit marqué par un front très organisé se dessine alors...

La nuit du 9 au 10 mars, ce front descendant du nord arrive en Belgique, poussé par l'air continental polaire. Les températures s'effondrent d'une dizaine de degrés en quelques heures, et la pluie qui avait commencé à tomber en soirée est rapidement remplacée par de la neige au-dessus de 150 mètres. Quelques centimètres se déposent au passage de la perturbation. Une avant-garde...

Le 11 mars, le front s'arrête sur le nord de la France, bloqué par l'air doux. Le contraste de températures est saisissant: alors que les deux tiers sud de l'Hexagone sont au printemps, le nord de celui-ci et la Belgique replongent en plein hiver. Sur 150 km, la différence de température est parfois de 10°C. Cette différence est encore plus importante en altitude. Ainsi, à 850 hPa (+/- 1550 mètres), il fait -11°C au-dessus de la côte sud des Iles britanniques et +1°C au-dessus du Mont-Saint-Michel. Au nord du front, la neige tombe en rafales de nord-est, rendant le ressenti particulièrement désagréable.

En parallèle, une dépression nommée Xaver arrive de l'Atlantique et vient se heurter à la limite stationnant sur le nord de la France. Elle renforce ainsi le contraste de températures mais aussi l'activité de la perturbation. Une offensive neigeuse de longue durée se déclenche en soirée du 11 mars et va concerner le nord de la France, la Belgique, le Luxembourg et une partie de l'Allemagne pendant près de vingt-quatre heures. C'est l'épisode neigeux le plus important de l'hiver en beaucoup de régions. En prévision de cet événement, l'IRM émet une alerte rouge pour la Wallonie et, côté hexagonal, c'est une partie de la Normandie qui est placée au même niveau.

Le creusement de la dépression Xaver à même la France renforce le gradient barométrique entre elle et un anticyclone entre Irlande et Islande, donnant un coup de vent, voire de véritables rafales tempétueuses sur les côtes de la Manche.

La neige est ainsi soufflée par le vent de nord-est, ce qui engendre la formation d'importantes congères, et ce même dans les terres. Dès le début de nuit, un immense territoire courant de la Normandie à la Belgique et s'étendant jusqu'à l'Île-de-France au sud se voit progressivement mis à l'arrêt par des congères se formant rapidement.

Source: France 2 - INA.

Côté belge, les températures enregistrées en matinée du 12 sont de plus fort basses, comprises entre -3 et -6°C. Il n'en faut pas plus pour bloquer les réseaux de transports. A l'heure de pointe matinale, on compte 1600 km d'embouteillages à travers toute la Belgique. A 10h00 le 12 mars, hors congères qui atteignent parfois le demi-mètre, on mesure 13 cm de neige à l'aéroport de Charleroi. L'auteur de ces lignes, habitant à l'époque dans Liège, découvre une ville aux rues d'habitude animées cette fois pratiquement désertes.

C'est en France que l'on retrouve les images les plus spectaculaires, avec par exemple 20 cm de neige dans les rues de Amiens, en-dehors des congères. Dans les départements de la Manche et du Calvados, épicentre de l'épisode et placés en vigilance rouge, des quantités énormes de neige (par endroits plus de 30 cm), soufflées par le vent violent formant des congères, entraînent une paralysie quasi-totale des transports. Certains villages se retrouvent ainsi isolés, parfois privés d'électricité puisque ce sont plusieurs dizaines de milliers de foyers qui sont sans courant suite à la destruction de lignes électriques sous le poids de la neige.

Source: France 2 - INA.

En Belgique, dans l'après-midi, la perturbation commence à s'affaiblir et ne concerne plus que la Wallonie. Là où la neige s'arrête de tomber, les épaisseurs (desquelles il faut retrancher la couche initialement présente) établissent parfois des records pour un mois de mars, comme les 13 cm mesurés à Uccle sur le site de l'IRM. On mesure également 8 cm de neige à Bierset, 13 cm en périphérie de Namur, 15 cm à l'aéroport de Charleroi. Localement, hors congères, la couche de neige frôle parfois les 20 cm d'épaisseur. Néanmoins, ces épaisseurs auraient pu être encore plus importantes si le vent n'avait pas soufflé la neige.

Limal sous la neige en début de soirée du 12 mars (source: Meteo Pedagogie).

Côté (futurs) Hauts-de-France, là aussi la perturbation se retire progressivement, laissant revenir le soleil sur la région de Lille.

Source: France 2 - INA.

Au soir, le ciel se dégage et les températures entament une chute vertigineuse. C'est la nuit la plus froide de l'hiver en de nombreux endroits, avec -17,1°C relevés à Ciney au matin du 13. Ailleurs, le thermomètre affiche également des valeurs bien basses: -12,9°C à Ernage (Namur), -12,6°C à l'aéroport de Bruxelles National, -11,8°C à Bierset (Liège), -10,2°C à Uccle (Bruxelles) et à l'aéroport de Charleroi. A Lille, la valeur de -10,5°C constitue un record pour un mois de mars. Il en va de même à Charleville-Mézières avec -14°C.

Le 24 mars, une dernière offensive neigeuse concerne la Belgique. Dans le sud du pays, une langue d'air doux s'intercale en altitude, et entraîne la formation de pluie qui tombe sur des sols gelés (-4°C à Libramont), formant du verglas. La situation est préoccupante, mais pas catastrophique.

Il faudra encore deux semaines avant que l'hiver ne lâche complètement prise. Le 7 avril au matin, on relève encore des minimales négatives de plusieurs degrés. Pour l'histoire climatologique, mars laisse aux statistiques de la station officielle d'Uccle un déficit thermique considéré comme très exceptionnel par l'IRM, 18 jours de gel contre une moyenne de 6 et 11 jours de présence de neige contre 3,2 pour un mars normal. 

Relevés de la station d'Uccle (Bruxelles) pour mars 2013 (source: Ogimet).

Ce genre de retour tardif de l'hiver après un coup de douceur, ça arrive de temps à autre. La Belgique et une bonne partie de la France notamment en ont encore eu la preuve récemment, en avril 2021 et dans une moindre mesure fin mars-début avril 2022. Toutefois, mars 2013 s'inscrit incontestablement comme l'une des plus grandes remontadas hivernales de notre histoire météorologique récente, intervenant un peu après un cœur d'hiver lui aussi bien froid et neigeux.