jeudi 21 mai 2020

Mai-juin 2016: une période extraordinairement pluvieuse

Durant la décennie qui s'achève, peu de mois ont été plus humides, voire diluviens, que juin 2016. Avec 175 mm de précipitations cumulées à Uccle, il s'agit tout simplement du plus pluvieux des mois de juin depuis les mesures entamées en 1833. On a aussi noté 24 jours de précipitations durant lesquels averses et orages se sont répétés dans une atmosphère poisseuse, moite en permanence et véritablement enfermée sur nos régions entre la fin mai et la mi-juin par des mécanismes qui remontent jusqu'en stratosphère. Les inondations qui en ont résulté ont parfois été catastrophiques entre Ile-de-France, Belgique et Allemagne. Outre cela, des conditions très particulières ont pu être observées, avec des pluies modérées de longue durée parfois entrecoupées d'averses plus violentes, voire des orages survenant dans une ambiance brumeuse ou succédant carrément à du brouillard, avec peu ou pas d'éclaircies précédant ceux-ci.

Les paramètres climatologiques de juin 2016 à Uccle (source: IRM).

Un élément remarquable, outre les paramètres pluviométriques de ce mois de juin, est sa température moyenne. Avec 16,0°C contre une norme de 16,2°C, elle a l'air anodine. C'est sans compter la faiblesse de l'ensoleillement qui rend le tout assez sensationnel: malgré le manque de soleil, le mois a réussi à être normalement chaud. C'est dire la moiteur de la masse d'air qui a occupé nos régions, énergétique, car contenant à la fois une certaine chaleur mais aussi une forte humidité, donnant une ambiance souvent nuageuse, voire brumeuse. Un des marqueurs nous en est donné par la moyenne des températures minimales, anormalement élevée. Les nuits ont donc été plus douces que la normale, le ciel couvert empêchant le refroidissement nocturne. Pour mesurer à quel point juin 2016 sort des normes d'un point de vue ombrothermique, le lecteur pourra aller consulter cet article écrit alors. Pour l'anecdote, à l'heure de publier cet article, juin 2016 est sans doute le dernier mois estival "mauvais". Depuis lors, nous n'avons connu que des mois conformes ou meilleurs que les normes en été. Et encore, en écrivant ces lignes, l'auteur se remémorait plutôt août 2014 comme dernier mois d'été vraiment désagréable...

Il est à noter que, pour en revenir à juin 2016, Uccle ne collecte même pas les valeurs les plus extrêmes de Belgique. Ainsi, la Campine a reçu parfois plus de trois fois la quantité de pluie qui est censée y tomber au cours d'un juin normal. Genk, dans le Limbourg, a ainsi collecté 232 mm de pluie pendant le mois. Pour une station de plaine, on est là devant une valeur hallucinante.

Distribution des cumuls de précipitations et leurs anomalies en juin 2016 (source: IRM).

La période qui nous intéresse a commencé par ailleurs le 27 mai. Entre cette date et le 31 mai, ce sont 49 mm de précipitations qui étaient déjà tombés sur Uccle.

Le but de cet article n'est pas de passer en revue l'évolution exacte des événements pluvieux et de la situation atmosphérique de cette période. Le lecteur ayant envie de s'informer à ce sujet peut consulter l'excellent dossier de Belgorage qui détaille ces informations. Une animation des analyses de surface de chaque jour à midi pour la période la plus active (27 mai - 7 juin) permet d'identifier une série d'éléments se maintenant à travers le temps.

Source: KNMI.

Le premier élément est la persistance de zones de convergences dans nos régions. Celles-ci sont soit le fait de noyaux dépressionnaires (L) jusqu'au 2 juin, soit de lignes de convergence les jours suivants. L'un comme l'autre font converger les vents en basse couche, les faisant se rencontrer et forçant ainsi les masses d'air à s'élever. Ces zones de convergences piègent de plus les masses d'air dans leur parages. Si ces zones ne se déplacent pas, les masses d'air stagnent sur les mêmes régions. On note par ailleurs que, du 30 mai au 1er juin, on ne peut pas proprement parler de marais barométrique, à savoir des étendues de masses d'air caractérisées par des variations de pression quasi-absentes et de très faibles flux. Au contraire, on a une dépression stagnante assez marquée ces jours-là, mais le résultat est le même: à l'échelle de quelques centaines de kilomètres, les masses d'air sont bloquées sur nos régions.

Cette très faible mobilité des dépressions et lignes de convergence s'explique par un second élément: la persistance d'anticyclones sur le nord de l'Europe, qui empêchent l'habituel flux d'ouest de s'imposer sur nos régions et d'y faire défiler les perturbations. Ces dernières restent au contraire bloquées dans nos parages. Dans le courant de la suite du mois, ces anticyclones nordiques persistent, bloquant à nouveau par périodes dépressions et convergences dans nos parages.

On note par ailleurs que ces structures sont soutenues en altitude: on retrouve, en moyenne sur le mois, une persistance de hautes pressions bloquantes sur le nord de l'Europe et des dépressions bloquées sur l'ouest du continent et la Méditerranée. On note par ailleurs, également sur les cartes de surface, que c'est un flux de sud ou de sud-est, donc d'origine chaude, qui est dirigé vers nos régions. 

Anomalies de géopotentiel à 500 hPa, avec les hautes pressions d'altitude en rouge et les basses pressions d'altitude en bleu (source: NCEP - modifié pour Info Meteo).

Il est d'ailleurs intéressant de noter que ce pattern a été observé une bonne partie du printemps. Une partie de l'explication est sans doute à aller chercher dans la disparition précoce du vortex polaire stratosphérique à la charnière février-mars. Ce vortex, dont on surveille chaque hiver les évolutions et leurs conséquences sur le temps neigeux ou non neigeux pour nos régions, disparaît chaque année au début du printemps. Force est de constater que, en 2016, il s'est évaporé avec une certaine avance, laissant un anticyclone polaire stratosphérique se former à sa place, ces masses anticycloniques se propageant ensuite vers le bas, dans la troposphère. Ceci a eu pour conséquence de chambouler davantage une circulation troposphérique par ailleurs déjà bien malmenée en seconde partie d'hiver, et de renforcer les ondulations du Jet-stream, permettant le placement régulier d'anticyclones sur le nord de l'Europe, et les blocages évoqués plus haut.

Venons-en maintenant à la question de l'humidité. On peut en effet avoir toutes les convergences qu'on veut et les ascendances qui en résultent, si elles se font dans l'air sec, on observe peu ou pas de précipitations. Or, la masse d'air a été particulièrement humide (revoir les données climatologiques de juin en début d'article). Une manière de mesurer le potentiel des précipitations est le paramètre d'eau précipitable, qui montre la quantité de pluie qui tomberait en un point si on condensait toute l'humidité contenue dans l'atmosphère au-dessus de ce point.

Eau précipitable en soirée du 30 mai 2016 selon le modèle Arpège (source: Meteo France)

La carte ci-dessus montre les valeurs de ce paramètre le 30 mai 2016, alors qu'une importante dégradation pluvio-orageuse concernait la Belgique, avec des inondations à la clé. On observe des valeurs très importantes, largement plus de 30 mm, certaines étant proches des records connus qui sont dans la tranche 36-38 mm. De tels indicateurs montrent une masse d'air extrêmement moite pour nos régions. La moindre ascendance dans une telle masse d'air débouche très rapidement sur des pluies très importantes, d'autant plus que ces dernières ne se déplacent que peu voire sont immobiles dans ce genre de contexte où les averses orageuses étaient, à quelques exceptions près, peu mobiles.

D'où provient toute cette humidité? Si des sols déjà bien humides ont pu fournir une partie de l'eau précipitable contenue dans l'atmosphère, une bonne partie provient d'ailleurs. Or, 2016 est marqué par un phénomène El Nino très prononcé, notamment connu pour injecter de grandes quantités d'humidité dans l'atmosphère, notamment au niveau des régions tropicales. Cette humidité s'ajoute à celle liée au réchauffement climatique qui permet à l'atmosphère, grâce à l’accroissement des températures,  de contenir davantage d'humidité. Au gré des ondulations du Jet, ces masses humides peuvent être déplacées plus haut en latitude, et notamment vers nos régions.

Les jours précédant les premiers orages diluviens, une telle masse d'air chargée en humidité a bien été déplacée des Canaries et de la Méditerranée vers l'Europe occidentale où elle s'est retrouvée piégée dans le contexte qu'on connait (anticyclones au nord et dépressions sur nos régions). Ainsi, avec l'instabilité et les convergences, les masses d'air forcées à s'élever ont rapidement converti leur humidité en importantes précipitations. L'eau stagne au sol, l'air stagne par-dessus ces surfaces, et prépare l'humidité qui nourrira les orages du lendemain, et ainsi de suite tant que le schéma bloquant n'est pas rompu.

Anomalies de précipitations en France pour juin 2016 (source: Meteo France).

La fin mai et juin 2016 constituent un événement extrême de notre histoire météo récente, en raison de la persistance d'une masse d'air très humide et douce sur nos régions par le jeu des anticyclones nordiques et des marais barométriques. Ces derniers printemps, ce type de temps poisseux et générateur d'orages peu mobiles à fortes précipitations s'est retrouvé aussi en 2018 et en 2019 en Belgique. Toutefois, il ne s'agit que de bribes et non d'un schéma longue durée, bien que le 1er juin 2018 ait connu un épisode diluvien sur l'est de la Wallonie (jusqu'à 100 mm de précipitations) dans ce genre de conditions similaires à 2016.

Au regard de l'histoire météo plus lointaine, si juin 2016 est exceptionnel, il y a moyen de faire encore "mieux". Ainsi, septembre 2001 a été l'un des moins les plus pluvieux jamais vus, avec un total de 199 mm à Uccle (moyenne: 69). Février 2002 a cumulé 168 mm (moyenne: 63). La différence vient du fait que les cotes de ces mois sont dues à des précipitations stratiformes, là où juin 2016 aura aussi connu de nombreux orages. Il est donc plutôt à rapprocher d'un mois qui fait référence dans l'histoire météo belge: août 2006. Frais, sombre et animé de nombreuses averses orageuses, il amènera le pluviomètre d'Uccle à récolter 202 mm de précipitations sur tout le mois (normale: 79). Nous pourrions aussi citer août 1996 et ses 231 mm, record mensuel absolu pour tous les mois. Toutefois, cette énorme cote est surtout due à un épisode pluvio-orageux historique survenu les 29 et 30 août (parfois plus de 150 mm sur ces deux jours).

Dans la décennie qui s'achève, on citera en exemple décembre 2012 et ses 173 mm (normale: 81).

Plus loin dans le temps encore, le début de l'été 1980, par ailleurs fort mauvais dans son ensemble, fut marqué par une période extraordinairement pluvieuse. Entre le 21 juin et le 20 juillet, il tombe ainsi 241 mm de précipitations à Uccle et jusqu'à 343 mm à Eupen, dans l'est du pays. Les 19 et 20 juillet, des pluies abondantes (plus de 40 mm sur ces deux jours) font dégorger les sols et mènent à des crues les jours suivants. Cependant, d'un point de vue atmosphérique, la différence avec juin 2016 est importante. Si ce dernier, on l'a vu, doit ses pluies à la stagnation des masses d'air suite à des blocages anticycloniques nordiques, juillet 1980 les doit plutôt à un régime NAO- (récurrence de dépressions britanniques) très prononcé, amenant un défilé ininterrompu de perturbations sur nos régions.