Première grande tempête de l'année, Ciaran laissera des traces matérielles en Bretagne et Normandie, mais aussi des statistiques pour l'histoire météorologique du nord-ouest de la France. Dans cet article, nous explorons deux sujets:
- Avec ses records, Ciaran peut-elle être considérée comme une tempête historique?
- Comment la tornade de Jersey a-t-elle pu survenir?
Ciaran, une tempête historique à l'échelle régionale
Via Météo Pédagogie sur X, nous avions évoqué le fait que Ciaran ne serait ni Lothar, ni la Grande Tempête de 1987. En effet, tant la géographie, l'ampleur des rafales ou encore la dynamique atmosphérique n'étaient pas comparables. Tout le thread peut être retrouvé à l'adresse suivante: lien
Pourtant, une série de records absolus sont tombés lors de la survenue de la tempête:
Dans les non-records, des valeurs extrêmes ont également été enregistrées, la plus puissante étant survenue à la Pointe du Raz avec 207 km/h. Parmi les valeurs les plus hautes, on note aussi 195 km/h à l'Ile de Batz, 190 km/h à Brignogan, 193 km/h à la Pointe Saint-Mathieu, 185 km/h à Ouessant... Toutes situées sur les côtes du Finistère.
En-dehors de la Bretagne et de la Normandie, la tempête n'est pas historique, bien loin des records. A l'échelle générale de la France, que Ciaran eut été une tempête historique est plus compliqué à trancher (la mise à jour du site des tempêtes de Météo France nous en dira plus dans les prochains mois).
Pour une bonne partie de la Bretagne et une petite partie de la Normandie, et contrairement à ce que nous avions annoncé, Ciaran peut probablement être considérée comme une tempête historique. Depuis 1980, trois tempêtes ont officiellement donné des rafales de plus de 190 km/h sur une ou les deux régions:
La tempête de janvier 1998 a donné une rafale de 191 km/h à Lorient, mais il s'agit là de la seule valeur à sortir du lot, les autres étant plus "raisonnables". Ciaran semble dès lors être au-dessus de cet événement.
La tempête Zeus a donné à Ouessant son record absolu toujours actuel: 190 km/h. On note aussi 180 km/h à Groix et 170 km/h à la Pointe du Raz. De manière générale, les rafales ont souvent dépassé 120 km/h dans l'intérieur des terres dans la moitié sud de la Bretagne. Zeus semble elle aussi un peu inférieure à Ciaran à l'échelle de la Bretagne. Par contre, Ciaran a donné les plus fortes rafales à l'ouest et au nord de la région, tandis que Zeus a aussi concerné l'ouest, mais ensuite le sud de la région.
Par contre, la violence de Ciaran ne peut être considérée comme inédite, tant la Grande Tempête de 1987 demeure au-dessus: les 216 km/h de la Pointe du Raz ne sont pas loin des 207 enregistrés il y a quelques jours... Mais l'anémomètre avait été incapable de correctement mesurer les plus violentes rafales qui ont sans doute été plus élevées. Les rafales atteignent aussi 198 km/h à Penmarch, 187 km/h à Quimper, 198 km/h à Barneville et 216 km/h à la Pointe du Roc à Granville (l'anémomètre ne pouvant monter plus haut dans cette station). Dans les terres, on note jusqu'à 162 km/h à Rostrenem. Les 242 km/h de Jobourg sont cités par Météo France mais considérés comme non-officiels étant donné la position très exposée du capteur.
Autre élément expliquant la supériorité de la tempête de 1987, le vent moyen atteint 176 km/h à Penmarch, 162 km/h sur l'île de Batz et 144 km/h à Quimper.
Et pour Lothar? Il est souvent fait référence à cette tempête pour comparer les plus grands événements venteux. Lothar fut surtout violent sur la côte nord de la Bretagne, avec jusqu'à 173 km/h à Saint Brieuc. Toutefois, Ciaran fut généralement similaire, voire supérieure à Lothar pour ce secteur. En Normandie par contre, la tempête de 1999 y fut bien plus violente si l'on se base sur des données toutefois non-officielles: 180 km/h à Saint-Sylvain dans l'intérieur du Calvados et 210 km/h à Grandville. Un seul territoire normand peut faire exception: les côtes ouest-centrales du département de la Manche (Barneville,...) où les rafales de Ciaran ont été plus fortes, mais sous 1987.
Si on en vient à des considérations plus locales, la région de Brest a connu, du fait de Ciaran, un épisode inédit, la station de l'aéroport enregistrant 156 km/h et arrachant l'ancien record dû à 1987 (148 km/h). Il en va de même pour d'autres stations comme Landivisau, Lannion, Lanvéoc dont les records dataient souvent de 1987 ou 1999... Mais toutes ces valeurs restent inférieures aux valeurs absolues de 1987, supérieures à 200 km/h.
En résumé, pour la Bretagne et une partie de la Normandie, Ciaran peut bien être considérée comme historique, mais pas inédite, sauf localement.
NB: il y a actuellement des discussions sur la continuité des séries temporelles des mesures de vent. En effet, les nouveaux anémomètres soniques n'utilisent pas le même laps de temps pour les prises de rafales et pourraient dès lors les surestimer par rapport aux anémomètres à coupelles classiques.
Que s'est-il passé à Jersey?
Vers 1h00 du matin heure française (minuit heure anglaise), un violent phénomène venteux est survenu sous un orage frappant l'île anglaise de Jersey, au large du Cotentin, alors que la zone des vents les plus violents associés à Ciaran abordait seulement la Bretagne. Des vidéos du phénomène montrent des aspirations de débris vers le haut, tandis que des témoignages évoquent le mouvement tourbillonnant de l'air. Il semblerait qu'une tornade de moyenne intensité soit ce phénomène. Des chutes de grêlons de belle taille ont également accompagné cet orage, allant jusqu'à surprendre certains spécialistes. Si le cisaillement des vents extrême et la faible (mais existante) instabilité peuvent expliquer assez aisément la tornade, une telle grêle, au vu des conditions, était hautement improbable.
Ces événements sont l'œuvre d'une supercellule dite low-topped (soit à sommet bas) puissamment organisée lors de son passage sur l'île de Jersey. L'orage en question s'est individualisé à partir de plusieurs averses à l'ouest de Saint-Brieuc sur la côte nord-bretonne peu avant minuit, avant de gagner la mer en devenant électrique. Il est à noter que cette cellule évolue devant une ligne de grains qui s'affaiblit progressivement dans les dizaines de minutes suivantes.
Vers 0h45, l'orage gagne brusquement en intensité au radar de précipitations, présentant à 0h50 un noyau de précipitations particulièrement intense à proximité immédiate de Saint-Helier (sud de l'île de Jersey). Puis, à 0h55, un crochet montre l'existence d'un mésocyclone (axe de rotation de l'orage supercellulaire) transitant sur la partie sud-est de l'île, passant à l'aplomb de Saint-Clement où de gros dégâts sont perpétrés.
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