mardi 2 septembre 2014

Anthologie de la désinformation météorologique : les étés "pourris"


Durant la période estivale, il arrive régulièrement qu'une ou des périodes de temps plus frais et humides soient tellement mal reçues que les médias et une partie du grand public cataloguent alors l'été comme « pourri ». Ces dernières années, cette expression fut assez souvent utilisée, et plus particulièrement cette année, durant 3 périodes : début juillet ainsi que pendant le mois d'août 2014, mais aussi en juillet 2011. Cette récurrence de plaintes et frustrations autour du « mauvais temps » estival, largement exagérées dans des articles sensationnalistes, nous oblige à nous poser des questions sur la véracité de ces propos et à remettre en cause opinions et déclarations sur ce sujet. En effet, termes-choc et jugements à l'emporte-pièce sont devenus monnaie courante dans une certaine presse, et cela est malsain pour tout cerveau scientifique et tout citoyen intéressé par des débats rigoureux. Il nous apparaît donc qu'il y va de la rigueur scientifique et de l'objectivité que tout un chacun devrait cultiver de confronter cela avec des documents sérieux.



Au-delà de la signification très subjective du qualificatif « pourri », nous aimerions donc dans ce premier volet de cette anthologie remettre l'église au milieu du village. Nous aurons l'occasion de revenir sur certaines réflexes du monde médiatico-cybernétique de ces dernières années en décryptant certains articles et en effectuant une première analyse climatologique et extra-climatologique. Ensuite, nous reviendrons sur certains étés du passé lointain notoirement pourris afin de montrer ce à quoi ils ressemblaient pour basculer vers des étés et mois d'étés plus récents encore considérés comme pourris. Puis, nous nous attaquerons aux mauvais étés les plus récents avec une description plus détaillée de leurs statistiques et de leur synoptique. Nous effectuerons aussi un récapitulatif et comparatif de ceux-ci afin de discuter de leurs paramètres négatifs (ou non) et de mettre en lumière leurs particularités et leurs complexités. Enfin, nous concluerons avec un résumé de nos réflexions climatologiques et extra-climatologiques.

Juillet 2014, un mois d'été normalement pourri

En fin de seconde décade de juillet 2014, après quelques jours de temps agréable, le ciel s'assombrit et nous connûmes 5 journées sans soleil du 8 au 12 juillet. C'est aussi durant cette période que plusieurs vagues pluvieuses déversèrent sur nos régions plusieurs dizaines de millimètres, et ce pendant parfois une journée entière. Apparurent alors les premiers articles de journaux sur le mauvais temps, largement amplifiés par les bulletins météos négatifs de chaînes à la recherche de sensationnalisme. En effet, Sabrina Jacobs annonça que « on n'avait pas fini de déguster », comme si les éléments allaient continuer à se déchaîner sur nos régions pendant de longues journées. Les médias s'emparèrent alors de l'expression magique d' « été pourri », alimentée aussi par les médias sociaux. Il est d'ailleurs intéressant de voir à quel point il existe une inter-alimentation entre ces 2 mondes doublée d'un réflexe presque pavlovien : l'expression d' « été pourri » est presque devenue une habitude dès qu'il pleut un peu de trop en Belgique durant l'été, et toute personne  n'ayant pas reçu la Sainte Onction du soleil ou cherchant l'anormalité se doit d'utiliser sa liberté d'expression pour exister dans ce monde ultra-médiatique. Dès lors, en quelques heures de pluie continue et de températures coincées autour de 15°, la Toile se déchaîna contre les anormalités du ciel.

Chez Info Météo comme ailleurs, nous observâmes toute cette danse météorologico-médiatique avec amusement. Certes, nous admettons parfaitement qu'il n'est pas agréable de voir plusieurs journées consécutives sans soleil et avec des températures aussi basses. Néanmoins, les plaintes semblèrent oublier brutalement que le mois de juin faisait partie de l'été et que celui-ci ne fut absolument pas « pourri ». En effet, à aucun moment durant le premier mois de l'été 2014, l'adjectif magique ne fut utilisé.



Cette image nous permet en réalité de comparer les mois de juin et de juillet et d'en extraire quelques constatations particulièrement intéressantes résumées sous le tableau suivant :




Juin 2014 Juillet 2014
Température moyenne 16,5 (norm : 16,2) 19,3 (norm : 18,4)
Nombre de journées > 20° 18j (norm : 15,3) 27j (norm : 22,6)
Nombre de journées > 30° 0j (norm : 0,6) 2j (norm : 1,8)
Précipitations totales 95mm (norm : 71,8) 117,2mm (73,5mm)
Jour de précipitations 12j (norm : 15) 16j (norm : 14,3)
Concentration des précipitations 90% du total mensuel sur 5j 90% du total mensuel sur 7j
Ensoleillement 206h51min (norm : 188h05min) 193h47min (norm : 200h42min)


Nous pouvons donc constater que le mois de juin est plus normal que le mois de juillet pour presque tous les paramètres, à ceci près que la concentration des précipitations est encore plus forte durant le premier mois, ce qui donne au final cet ensoleillement légèrement supérieur pour juin par rapport à juillet. Au final, juillet est clairement plus chaud (presque 3° de plus !), mais avec les précipitations excédentaires. Pourtant, c'est bel et bien en juillet qu'on entendit parler d'été pourri. Il apparaît que le temps particulièrement morne autour du 10 juillet fut responsable de cette morosité, et une certaine frustration coupa court à toute réflexion rationnelle et à une vision globale de la saison estivale.

Notons qu'en 2013, le mois de juin avait été normal sans être pleinement satisfaisant pour le personnel du tourisme et les fanatiques de festivités en plein air, mais un mois de juillet nettement plus chaud (avec une vague de chaleur) occulta rapidement ce départ « en diesel », allant même jusqu'à presque effacer le très mauvais souvenir d'un printemps particulièrement frais. Visiblement, les gens ont la mémoire courte et sélective. Le 9 juillet, Info Météo tenta de montrer que les tendances à long terme n'étaient absolument pas négatives :




Celles-ci se vérifièrent assez largement. Au final, au moment de faire le bilan de juillet 2014, peu de personnes parmi nos lecteurs gardèrent un mauvais souvenir de ce deuxième mois de l'été 2014, comme le signale notre article sur le sujet.

Juillet 2011 : un mois d'été de glace

Il est intéressant de discuter d'un autre cas déclaré « pourri » par la sphère médiatique, à savoir juillet 2011. Encore une fois, nous ne discutons pas du fait que celui-ci s'est révélé plutôt mauvais : une température moyenne de 16,0 (normale : 18,4), un ensoleillement de de 140h00 (normale : 201h), et une pluviosité de de 55,6mm. Les 2 premiers paramètres sont respectivement exceptionnels et très anormaux, le troisième est normal. Il est assez remarquable de noter un déficit assez important en insolation mais qui n'est pas absolument pas confirmé par la quantité de pluies. Notons cependant que le nombre de jours de précipitations est de 20 (normale : 14,3), ce qui catégorise ce paramètre comme anormal. Voici donc un mois d'été frais, peu ensoleillé, en déficit en quantité de pluies, mais en excédent en jour de pluies. Nous pouvons donc en déduire que la pluie tomba régulièrement, mais en faible quantité. La couche de nuage régulière empêcha par conséquent les températures de grimper et le soleil de se montrer. Au-delà de la discussion sur la qualification de « mois d'été pourri », analysons un moment cet article de Sud Presse.

Il est assez amusant de constater que la presse qualifie le temps durant ce mois comme pourri sur base de la vente de glaces ! Cela semble démontrer la grande subjectivité à utiliser cet adjectif. On peut évidemment discuter de cette qualification, mais il faut alors le faire sur base d'observations sérieuses. Or, la vente de glaces est loin de l'être. Qui plus est, la commerçante explique c'est sur base de la présence de « chaleur et de soleil » que les glaces se vendent. On peut probablement retrouver là une des pierres angulaires de la fausseté du débat autour des « étés pourris » : on s'attend à du soleil et de la chaleur en Belgique ! Evidemment, pour les gens un tant soit peu informés sur notre climat, il est connu que nous sommes influencés par les mers et que notre pays se situe à une latitude tempérée. Dans cette position, les étés peuvent être frais et humides comme ils peuvent être chauds et secs. Cela fait partie de la variabilité climatique de nos régions, et trop de gens l'oublient encore.

Pour beaucoup de personnes, été rime avec festivités (ce qui est compréhensible), mais cela induit une automaticité dans la clémence du temps désiré par la population. Cette société du loisir se développe de plus en plus chaque année et n'est sans doute pas étrangère à la hausse de fréquentation de l'expression « été pourri » chaque fois que le temps clément n'est pas au rendez-vous pour profiter pleinement de nos activités de plein air. La glace, aussi petite soit-elle, en est sans doute un symbole, mais un symbole bien maigre et peu rigoureux face à une analyse objective. 
 
Pour compléter et clôturer cette analyse de juillet 2011, voici le tableau récapitulatif de ce mois :



La quantité de jours d'été est effectivement très faible avec seulement le 6 juillet comme unique représentant de statistiques estivales. 4 jours ont atteint les moyennes saisonnières (23°) et 15 jours ont atteint les 20°. A l'évidence, ce sont d'assez mauvaises statistiques. Ce tableau confirme néanmoins la quantité réduite de jours secs, mais aussi les quantités totales. Cela nous permet de nous arrêter un moment sur un élément qui peut paraître important : malgré le déficit de soleil et de température, l'élément le plus fondamental pour les activités de plein air est, a fortiori, la présence de pluies. Dans le cas qui nous préoccupe, on pourrait juger qu'il ne fut pas facile durant ce mois de trouver un moment sec étant donné les 20 jours de précipitations. Ceci étant dit, vu la faible quantité de pluies sur une journée moyenne, il pourrait aussi être répondu que les périodes de pluies furent relativement courtes avec des trouées sèches relativement nombreuses. Dès lors, une personne ayant eu majoritairement la chance d'organiser ou de participer à des festivités sèches ne considérera pas ce mois comme « pourri » alors qu'un cas contraire pourrait le penser. Cette différence de « traitement » participe évidemment au débat et à la subjectivité du sujet.


Petit historique des étés réellement pourris

Certaines personnes incrédules pourraient alors nous demander si nous ne minimisons pas l'existence réelle d'étés pourris ces dernières années. Pour répondre à cette question, il faut d'abord passer par la déjà assez longue histoire climatologique de la station d'Uccle (181 ans), mais aussi par certaines reconstitutions dans les époques précédentes. Grâce à certains documents, nous pouvons établir que de vrais étés pourris, très pluvieux, très froids et très désagréables sur pratiquement la totalité des trois mois ont bel et bien existé.

Sur une période de près de 350 ans, le pire été a sans doute été celui de 1725. La moyenne estimée des températures à Uccle, pour cet été-là, se situe un peu en dessous de 13°C, ce qui est à peu près 1,5°C de moins que le plus froid des étés des cent dernières années. En Suisse on parle, cette année-là, d’un été pourri, avec de mauvaise récoltes et des vendanges tardives. « Depuis Pâques, il a plu tous les jours, on n’a jamais vu autant de pluie ! »

Stephen Hales, en Angleterre, dit : « Entre le 29 mars et le 29 septembre 1725, il plut tous les jours, peu ou beaucoup, à l’exception de 10 ou 12 jours vers le commencement de juillet, et l’été fut si froid que l’esprit de vin ne monta guère dans les thermomètres… » En France, on parle même d’une période pluvieuse allant de février 1725 à avril 1726, avec un mois d’août particulièrement pourri.

Une autre année célèbre est 1816, l’« année sans été » en raison de l’éruption, un an plus tôt, du volcan Tambora en Indonésie. Cependant, cet été-là est assorti de nombreuses légendes dont certaines sont franchement exagérées. C’est ainsi que les chutes de neige de début juin, début juillet et fin août en région bruxelloise n’ont jamais existé. N’empêche. La moyenne estimée de cet été-là, à Uccle, est de quelques 13,5°C, ce qui en fait le 2e été le plus froid de toute la série 1676-2013 (c’est-à-dire comprenant également la partie avec des donnée « reconstruites »).

Les moyennes des minima et maxima ont été à peu près les suivantes (arrondi au demi-degré) :
Juin : 8,5°C/17,5°C
Juillet : 10,5°C/19,5°C
Août : 10,0°C/18,5°C

Deux jours d’été, seulement , on été observés à Bruxelles sur les trois mois de l’été. Grâce aux observations de Haarlem aux Pays-Bas, nous pouvons même nous faire une idée assez précise du temps qu’il faisait.
Du 1 au 11 juin, on observe des courants polaires maritimes de nord-ouest, attestés par la direction prédominante du vent, les températures et le type de temps, souvent nuageux avec tantôt de la pluie continue, tantôt des averses, beaucoup de vent, des vents de tempête le 4 juin et de la grêle le 6 juin. En outre, il fait particulièrement froid du 7 au 9 juin avec des maxima de 11°C environ et un temps généralement couvert et parfois pluvieux. Après un bref épisode de beau temps par vent d’est, les courants polaires maritimes nous reviennent jusqu’à la fin du mois, un rien moins froids mais toujours avec un cortège de nuages, de vent et parfois de pluie.

Le mois de juillet apparaît comme un mois particulièrement pluvieux avec des courants zonaux et, parfois, une dépression qui passe au sud de nos régions, avec temporairement une petite composante est dans le vent et toujours beaucoup de pluie. Le bref épisode chaud des 20 et 21 juillet n’est même pas lié à du beau temps, mais à du temps nuageux et venteux, avec un vent tournant du sud-est au sud-ouest. À la fin du mois, on observe une nouvelle invasion marquée de courants maritimes d’origine polaire.

Le mois d’août se caractérise par des courants prédominants de sud-ouest pendant la première moitié, et de nord-ouest durant la deuxième moitié. Cela se remarque par ailleurs aux températures maximales de Bruxelles, d’abord comprises entre 17 et 24°C, puis comprises entre 15 et 20°C. Durant tout ce mois, pas une seule belle journée à part entière n’est attestée. Il pleut très souvent, on observe beaucoup de vent, avec même une tempête le 17. Ce qui confirme que l’été 1816 est réellement complètement pourri !

Le 3e larron est 1888. Cette année, appartenant déjà à la série « instrumentale » en Belgique, occupe avec une moyenne de 14,5°C la sixième position parmi les été les plus froids. Mais la première position en matière de manque d’insolation, et la troisième position en matière de pluviosité ! Un petit descriptif :

Le mois de juin est l’antichambre d’un été parfaitement pourri. Pourtant le début est prometteur : temps ensoleillé et rapidement doux, voire chaud avec 27°C le 3 à Uccle. Mais le mois, dans son ensemble, ne comptabilisera que 147 heures de soleil, avec un total de 100,5 mm de précipitations. Les températures tantôt fraîches, tantôt assez chaudes enclencheront un mois de juin particulièrement orageux. Ces orages sont souvent accompagnés de précipitations très intenses, notamment au Barrage de la Gileppe, à la Baraque Michel, à Spa et à Stavelot. Le tonnerre est souvent entendu, on compte 14 jours d’orage dans les régions de Charleroi, d’Enghien et entre Bruges et Gand. Dans le reste du pays, ce nombre tourne souvent autour de 10, un véritable record pour les observateurs de l’époque.

Juillet est encore bien pire. L’insolation totale, à Uccle, ne comporte qu’une centaine d’heures. Seul juillet 2000 connaîtra une insolation encore plus basse. Les précipitations, quant à elles, atteignent 186,9 mm, un quasi-record aussi (196,5 mm en 1942). Et avec une moyenne de température de 13,9°C, juillet 1888 appartient aux mois de juillets les plus froids de l’histoire.

Le 1er juillet déjà, le soleil ne daigne se montrer que 10 minutes, et la température n’atteint que 11 à 12°C en après-midi. Mais ce n’est encore rien en comparaison de ce qui se passera 10 jours plus tard. Le 11 juillet, sous un ciel très nuageux à couvert et des pluies abondantes, la température chute brutalement en début/milieu d’après-midi, passant de 11°C (ce qui est déjà très peu) à 5°C ! Cette chute des températures, avec des valeurs extrêmement basses pour une journée de juillet, est attestée partout dans le pays. À Furnes, on note 7°C, à Arlon, 6°C et à la Baraque Michel, 1°C ! Des flocons de neige se sont mêlés aux fortes averses dans la région de Chimay, tandis que des chutes de neige seront observées à plusieurs reprises à la Baraque Michel le lendemain, et même à des altitudes plus basses comme à Dison, Vielsalm et Spa. Les Hautes-Fagnes, dans la région de la Baraque de Fraiture, connaîtront même un enneigement temporaire de 2 cm environ. C’est le seul cas attesté d’un enneigement en Belgique au mois de juillet. Vous pouvez relire à ce sujet notre article.

Le reste du mois n’a guère été plus encourageant. La plus haute température du mois, notée à Uccle le 25, n’a été que de 22°C. Et cette journée un peu moins mauvaise, avec cumulus et altocumulus, s’est vite terminée en orage, une heure et demie d’activité orageuse le soir. Les cumuls de précipitations, sur les mois de juin et juillet, sont par ailleurs très remarquables. À Uccle, ce total atteint 287,4 mm, tandis qu’ils se situent entre 300 et 400 mm en bien des endroits de l’Ardenne, et même au-dessus de 400 mm dans les Hautes Fagnes.

Le mois d’août commence en trombe. Et c’est le cas de le dire. Le 1er août, une tornade est observée dans les environs du Mont Kemmel, et elle a été immortalisée par le dessinateur amateur M. C. Vestibule, greffier à la justice de paix de son vrai métier. L’ensemble de ce mois d’août, d’ailleurs, a été peu ensoleillé et presque aussi froid que juillet. En dehors de la tornade en question, les orages ont été nombreux durant ce mois d’août, principalement au centre du pays. Ces orages se sont souvent produits par temps froid, comme le 15 août par exemple, où ils ont éclaté dans une ambiance particulièrement sombre et une température de 12°C seulement en début d’après-midi. Quelques jours plus tôt, le 12, alors que le temps a été un peu plus clément en journée, les orages ont été particulièrement électriques en soirée (sans doute de type MCS), avec parfois de la grêle. Notons enfin, pour terminer la description de ce mois d’août, que 3 trombes marines ont été observées le 31 dans les environs d’Ostende et du Coq.

Les étés pourris plus récents
 
Dans les années plus récentes, on se souviendra surtout de 1977, l’année qui suit… le grand été de 1976 ! Mais l’été 1977 occupe la deuxième place parmi les étés les moins ensoleillés, tout juste derrière 1888, et aussi la deuxième place pour ce qui concerne le nombre de jours de pluie. Seules les quantités de précipitations sont moindres, ce qui ne rend pas l’été plus agréable. Les petites bruines sont peut-être la caractéristique première de cet été 1977.

Pourtant cette fois encore, le début est prometteur ! Le 13 juin, la température monte en flèche, dépasse les 30°C presque partout en Belgique et on a une impression caniculaire qui rappelle aussitôt… l’année d’avant. Mais le 13 juin restera le seul jour de ce type. Des orages éclatent et le soleil disparaît… Entre le 15 et 22 juin, il faudra se contenter de… 15 minutes de soleil. Pourtant la plupart du temps, il ne pleuvra pas bien fort. Stratus, brume et bruine, avec de temps en temps une pluie un peu plus forte font penser au début de novembre, surtout les jours où les maxima ne dépassent guère 14°C.

Juillet n’est pas tellement plus brillant, et c’est le cas de le dire, avec le peu de soleil qu’il y a. À l’exception d’une petite période de beau temps au début de mois, il fait gris et bien frais, avec des maxima souvent compris entre 16 et 18°C. Et le mois d’août continue sur la même lancée, avec de la pluie en petite quantité (seulement 43,2 mm au total), mais tombant presque tous les jours ! Les cartes d'archives expliquent bien des choses :



Pendant de longues semaines, une dépression est bloquée entre les hautes pressions atlantiques et l'anticyclone russo-scandinave. De l'air polaire maritime transite alors depuis la Nouvelle-Zemble et s'engouffre derrière des fronts s'organisant autour de multiples dépressions secondaires. Bruine, averses, et pluies régulières obscurcissent le ciel, bloquant les températures plus près des 15° que des 20°.

D’autres été peu glorieux ont été 1956, 1965, 1966, 1980, 1981 et 1988. En 1980, on se souviendra de la période extrêmement froide et pluvieuse entre le 16 juin et le 15 juillet, une période de 30 jours avec une moyenne des maxima de 16,5°C, une insolation totale de 60h55 et un total de précipitations de 204,2 mm (29 jours de pluie sur 30). Pendant cette période, la température à Uccle ne dépasse les 20°C qu’une seule fois (le 6 juillet) tandis que le maximum ne dépasse pas 13,4°C le 10 juillet. Et pour compléter, un grand nombre de jours couverts ou presque couverts, avec des insolations inférieures à 1 heure. Synoptiquement, la journée du 2 juillet est particulièrement intéressante :



Une petite mais vigoureuse dépression se situe à l'intérieur d'un vaste creux d'altitude s'étirant depuis le Nord de la Russie. Sur son flanc Ouest, un vent de Nord à Nord-Est draine un air bien frais pour la saison avec qui plus est des isobares suffisamment serrés pour autoriser aussi quelques rafales bonnes rafales dignes de l'automne. Pluie et averses fréquentes sont au programme. Le 10 juillet, la situation n'aura pas beaucoup évolué :



Une vaste dépression recouvre l'Europe, dans une situation de bloquage qui explique bien cette période froide et pluvieuse susmentionnée. Le reste de l'été, à l'exception de 4 à 5 jours chauds à la fin de juillet et autant au début du mois d'août, n'est guère meilleur. Le 22 juillet, le minimum descend à 7,4°C après un maximum de 15,2°C la veille (donc à la fête nationale). Les 23 et 31 août, le maximum n'est que de 15,6°C. En fin de compte, l’été 1980 se retrouvera dans le top 5 (négatif) pour trois paramètres : une 5e place pour le manque d’insolation et une 4e place tant pour la quantité de précipitations que pour le nombre de jours de pluie. Par contre, les quelques journées chaudes précitées empêcheront cette année de se hisser dans le top 5 des étés les plus froids.

Les années 2000

Le 21e siècle n’a pas encore connu d’été vraiment pourri. Le plus souvent, les étés qui ont laissé une mauvaise impression ne comportaient qu’un mois véritablement pourri, compensé par un autre (ou des autres) mois ensoleillés et chauds. Le plus caractéristique : l’été 2006, où le mois d’août s’est bien distingué au niveau de la pluie et du mauvais temps, mais en étant  largement compensé par un mois de juillet caniculaire et exceptionnellement ensoleillé, de telle manière que l’été dans son ensemble se retrouve encore en quatrième position parmi les plus chauds. Mais revenons d'abord à juillet 2000, un mois qui connut quelques moments « mémorables ».

Dans la mémoire de certaines personnes (comme celle de l'auteur de ces lignes), le mois de juillet 2000 a laissé quelques souvenirs désagréables. Pourtant, durant les premières journées du mois, les températures sont plutôt dans les normes, oscillant entre 20 et 25°, avec des orages déversant 10mm à Uccle après une journée d'été (maximale : 25,1°). Mais dès le 7 juillet, tout change :



Une dépression se déplace sur le Sud de notre pays, advectant encore dans un premier temps de l'air relativement doux. Ainsi, la minimale d'Uccle atteint 14,3°. Le problème est que ce fut aussi la valeur de la température maximale ! En effet, cette dépression progressa vers l'Est, avec de l'air frais qui s'engouffra sur le flanc Ouest. De l'air polaire maritime s'infiltra donc progressivement pendant qu'une forte bruine ou pluie tomba sur le pays (7mm en ce jour sur la station bruxelloise), occultant totalement le soleil. Dans l'après-midi, la température dépasse à peine les 13° ! Ensuite, nous enregistrâmes encore 10 jours consécutifs à moins de 20°. Le 11 et le 12 juillet peuvent rester assez remarquables, surtout au vu de la synoptique :



Une active dépression s'engagea sur l'Europe Occidentale. Le vent souffla assez fort de Nord-Ouest, et la température d'altitude baissa à +3° au niveau 850Hpa. Il tomba 15mm à Uccle sous un ciel totalement gris. Aucun miracle ne se produisit : on releva 13,4° de température maximale à Uccle après une minimale à 12,1°. Le lendemain, la descente d'air froid d'altitude s'accentue :



Le thalweg emprisonne une grande partie de l'Europe sur le flanc Est d'une haute pression atlantique. L'effet toboggan est diabolique. La température d'altitude descend à +1° au niveau 850Hpa et -24° au niveau 500Hpa (mesuré ce jour à 5540m). Dans les éclaircies nocturnes à l'arrière du front, on enregistre 6,4° de minimale à Uccle. Dans l'après-midi, quelques éclaircies au milieu d'averses permettent au mercure de « remonter » à 16,8°. Ces températures d'altitude approchent les records de 1984 où on descendit à -25° !
Du 18 au 31 juillet, les températures repassèrent 8 fois la barre des 20° mais sans jamais atteindre les 25°. La maximale de ce mois assez funeste resta donc bloquée à 25,1° le 2 juillet. Au final, juillet 2000 enregistra 93h05min, 133,8mm de pluies et une température moyenne de 15.3°.

L'été 2006 est, lui, très caractéristique car le mois d’août s’est bien distingué au niveau de la pluie et du mauvais temps, mais en étant  largement compensé par un mois de juillet caniculaire et exceptionnellement ensoleillé, de telle manière que l’été dans son ensemble se retrouve encore en quatrième position parmi les plus chauds.

Les 2 journées du 2 et 3 août sont assez symboliques de ce mois très particulier : on enregistre 21,9mm de pluies et 2h30min de soleil le 2, et 29,1mm de pluies et 1h45min de soleil le 3. Malgré ces importantes quantités de pluies et ce soleil peu enclin à se montrer, on dépasse encore les 20° avec respectivement 20,9° et 20,1°. Même si ces températures sont inférieures aux normes, elles ne peuvent pas être considérées comme « fraîches ». En réalité, combinée avec la grande pluviosité, elles provoquent même une certaine moiteur. En revanche, des journées comme le 11, 14, 21, et 29 août ne connurent pas vraiment la même sensation. Les températures enregistrées furent de 16,0° le 11 et le 14 août, de 18,3° le 21 août, et de 16,7° le 29 août. Parallèlement, il tomba respectivement 11,2mm, 32,5mm, 37,3mm, et 14,3mm. Les archives des cartes nous montrent encore une situation de blocage en goutte froide :



En altitude, alors que l'air était assez doux en début de mois (9-10° au niveau 850Hpa mesurés à 1400m ces jours-là), il devint frais par après avec 5°. Ceci, combiné avec des journées très peu ensoleillées (20 et 0 minutes de soleil le 11 et le 14 août), les températures s'en ressentirent sans miracle. La carte du 29 août n'offre aussi aucun miracle et répit aux vacanciers :



Une dépression bien organisée et bien bloquée au milieu de hautes pressions draine un flux de Ouest-Nord-Ouest originaire de Spitzberg. Au niveau 850Hpa, la température baissa à +4°. Au final, août 2006 enregistra 202,3mm de précipitations, 94h30min de soleil et une température moyenne de 16,3°. Les 2 premiers paramètres furent catégorisés, sans surprise, comme « très exceptionnels » alors que le troisième fut reçu comme « normal » (anomalie négative de 0,5°). Notons que la température maximale moyenne fut de 20,2° (normale : 21,4°) alors que la température minimale moyenne monta à 13,4° (normale : 13,0°). Cela confirme donc bien la grande nébulosité qui permit aux températures nocturnes de se maintenir à un niveau acceptable alors que les maximales sont restées plutôt en-deça.

Août 2014

Avant de discuter des 4 mois d'été des années 2000 "pourrissables" et de conclure, revenons un moment sur ce qui a un peu fait l'actualité de ces dernières semaines et a alimenté bon nombre de conversations. Il est vrai que le dernier mois de l'été 2014 ne va pas laisser le meilleur souvenir. On serait tenté de dire : "Comme août 2003 !" Bien souvent, une image vaut mieux que mille discours. Ici, nous vous en proposons 4. La première est l'anomalie de géopotentiel pour ce huitième mois de l'année 2014 :



La constatation est évidente : une anomalie dépressionnaire a recouvert l'Europe Occidentale. Même si le vent semble avoir opté pour une direction Ouest à Sud-Ouest, les perturbations régulières, l'air froid d'altitude descendant d'Islande, et les nuages ont plombé les températures. Les anticyclones se sont retrouvés soit sur l'Atlantique, soit sur la Russie. En réalité, cette dépression est la même que celle de juillet mais avec une position plus Nord-Orientale. Ceci fut parfaitement suffisant pour, au final, translater toutes les anomalies positives de température vers l'Est. En effet, la carte suivante montre la différence entre les températures enregistrées et les normales à l'échelle planétaire :



Alors qu'une grande partie de l'Europe était sous la douceur ou la chaleur, la Russie Centrale connaissait des températures anormalement froides. On peut même généraliser ce schéma à tout l'Hémisphère Nord : des anomalies négatives sur le Centre des Etats-Unis, le Centre-Atlantique, la Russie Centrale, et certaines zones Pacifique, et des anomalies positives sur les façades Pacifique et Atlantique des Etats-Unis, l'Europe, et l'Est de l'Asie, créant de véritables vases communicants à l'échelle hémisphérique, qui sont autant de variations du courant Jet vers le Sud (anomalies négatives) et vers le Nord (anomalies positives). Vers le 10 août, les restes de l'ouragan Bertha et un puissant courant Jet ont permis aux dépression de prendre possession du continent européen et d'inverser les pôles d'anormalité sur le continent eurasiatique. Ainsi, durant la période du 16 au 20 août, voici les anomalies :



Nous voyons très bien les anomalies négatives (en bleu) sur l'Europe produites par des vents descendant d'Islande alors que la Russie s'est colorée de rouge. D'une manière générale, ce sont toutes les anomalies constatées en juillet qui se sont inversées avec le Groenland en rouge, la façace Atlantique états-unienne en bleue, et ainsi de suite. Du 20 au 26 août, la situation n'a pas changé :


Ces 4 cartes sont donc la démonstration que le climat à l'échelle planétaire subit des cycles chauds et froids et ceux-ci évoluent essentiellement en fonction de la position du courant Jet. Ces méandres font partie de la dynamique atmosphérique depuis toujours et ne sont absolument pas anormaux. La seule remarque que l'on pourrait faire est qu'ils sont probablement amplifiés par les perturbations liées au réchauffement climatique. Cela n'a pas empêché toute une série d'articles de journaux sortir pour nous parler de ce "temps pourri". Faire toute une liste serait évidemment impossible à réaliser, et nous avons décidé de nous concentrer sur un seul : "Météo: la mousson plombe la moisson".

Encore une fois, voici un exemple-type d'article avec un titre racoleur. En effet, les pluies seraient tellement importantes que cela ferait penser à la mousson asiatique. De plus, dans un style journalistique certes original, le quotidien wallon joue avec les mots, collant presque côte-à-côte 2 mots à l'orthographe très proche. N'importe quelle personne un tant soit peu informée sur les climats de la Terre sait combien la mousson asiatique déverse parfois plus d'une centaine de litres par jour et parfois des milliers par mois durant la saison des pluies. Même si certaines stations belges ont reçu plusieurs dizaines de litres en un jour durant ce mois d'août, cela n'est aucunement comparable au climat du Sud Asiatique. Dans l'article en lui-même, il est écrit que "La pluie qui n’a cessé de tomber en août", ce qui est aussi totalement exagéré. En effet, ce mois a enregistré certes 21 jours de précipitations, ce qui est au-dessus des normes, mais cela n'autorise pas le journaliste à dire "qu'il pleuvait tout le temps". Ainsi, plusieurs journées ont été bien à assez bien ensoleillées, notamment du 1er au 5 août. On notera aussi une journée intéressante : le 12 août. Il tomba 8.5mm ce jour-là mais avec un ensoleillement de 7h48min, preuve qu'une journée de précipitations ne veut pas forcément dire qu'il a plu toute la journée et que le soleil n'a pas été régulièrement présent. Cette constatation résume assez bien ce mois d'août : certes, un goût de trop peu mais de bons moments trop ignorés et trop vite oubliés par des personnes ne voyant que le côté négatif des choses. Quant à l'aspect strictement agricole, n'étant pas spécialistes dans ce domaine, il est difficile de donner un point d'éclaircissement sur ce point.

Discussion sur les étés des années 2000

Qu'il ait existé durant les 18°, 19°, et 20° siècles des étés franchement pourris est une évidence. De (très) longues périodes de temps particulièrement frais, un ensoleillement en berne, des précipitations parfois diluviennes et prolongées en attestent. Le but de ce point est de se demander si le début du 21° siècle aurait déjà enregistré des étés pourris ou des mois d'été pourris. Soyons catégoriques : aucun été du siècle présent ne peut être considéré comme pourri. En effet, il faudrait que les 3 mois de la belle saison ou en tout cas la moyenne générale des 4 principaux paramètres (température moyenne, ensoleillement, précipitations, jour de précipitations) soient franchement mauvais. Cela n'est évidemment pas le cas, n'en déplaise à certains en manque de sensationnalisme et de sensation forte. Ici-même, nous nous limiterons à une discussion sur les mois d'été que nous venons d'analyser, nous les comparerons entre eux, mais il n'est pas notre mission de statuer officiellement sur leur caractère pourri ou non. Ci-après, voici donc un tableau récapitulatif et comparatif des 4 mois d'été considérés comme mauvais et potentiellement pourris, avec le classement de chaque paramètre :



Juillet 2000 Août 2006 Juillet 2011 Août 2014
Température moyenne 15,3° (norm : 17,1°)
25° le + froid
16.3° (norm : 16.8°)

16,0° (norm : 18,4°)
55° le + froid
16.2° (norm : 18.0°)
72° le + froid
Ensoleillement 92h (norm : 193h)
Le – ensoleillé depuis 1887
94h30min (norm : 188h)
Le - ensoleillé depuis 1887
140h (norm : 201h)
19° le - ensoleillé

149h49min (norm : 189h32min)

Précipitations 134mm (norm : 74,3mm)
14° le + pluvieux
202.3mm (norm : 74.4mm)
2° le + pluvieux
55.6mm (73.5mm)

136mm (norm : 79.3mm)
11° le + humide
Jour de précipitations 20 jours (norm : 17)
31° le + humide
21 jours (norm : 16)
30° le + humide
20 jours (norm : 14.3)
31° le + humide
21 jours (norm : 14.5)
30° le + humide

Le mois de juillet 2000 s'est donc situé 1,8° en-dessous des normes et se situe à la 25° place des mois de juillet les plus frais. Un score qui n'a certainement pas réjoui les personnes comme l'auteur de cet article qui avait dû passer Valence (en France) pour voir apparaître le soleil et passer les 23° durant la deuxième décade de ce mois. Certainement pas glorieux, donc. Cela n'empêche pas ce mois de se situer assez bas dans le classement pour un mois que certaines personnes n'hésiteraient pas à cataloguer comme pourri. Néanmoins, il faut ajouter un élément important : il fut le mois de juillet le plus frais depuis 1962 ! Une paille ... Dès lors, sur la longue histoire climatologique belge, le paramètre des températures ne semble pas apocalyptique. Sur l'histoire récente, les choses sont plus compliquées. En ce qui concerne le paramètre d'ensoleillement, le diagnostic est radical : c'est un mois record par le bas, en prenant en compte le fait que la série est plus courte (depuis 1887). Il est certain que ce cruel manque de soleil (la moitié de la normale !) affecte très négativement la perception qu'on a eu de ce mois. Les précipitations furent elles conséquentes, mais une place de 14° peut sembler limite pour parler d'un mois pourri, d'autant plus que le nombre de jours de précipitations n'est pas trop excessif, avec une 31° place et « seulement » 3 jours de plus que la normale. Ces chiffres permettent d'apporter un peu de rigueur et de sérieux afin de combattre des opinions basées uniquement sur l'émotion et la frustration.

Le mois d'août 2006 a lui aussi battu le record d'ensoleillement par le bas, ce qui est forcément un "bon" point pour parler d'un mauvais mois. De plus, le paramètre précipitations est deuxième derrière le record de 1996 (231mm). Notons néanmoins que cette pluviosité exceptionnelle s'est répartie sur 21 jours, rendant ce mois simplement "anormal" pour ce paramètre. Cet élément est probablement secondaire vu la quantité de pluies mais mérite d'être noté car c'est finalement la même de jours que d'autres mois nettement moins pluvieux. Enfin, la température moyenne de 16.3° fut considérée comme "normale", étant donné le faible écart par rapport à la moyenne 1971-2000 (16.8°). C'est forcément cette normalité thermique qui sauve ce mois d'août 2006 de la déclaration totale de mois pourri. Il est probable que pour beaucoup de personnes ce mois ne peut qu'être défini comme pourri. Relevons néanmoins qu'il intervient juste après le mois le plus chaud de l'histoire climatologique belge et avec des paramètres de pluviosité déficitaires (surtout pour le nombre de jours de précipitations). Il est évident que cette énorme différence (presque 7° pour la température moyenne) contribue à un ressenti pourri et que ce fut un (très) mauvais mois.

Le mois de juillet 2011 est assez intéressant car c'est un des premiers durant lequel la sphère médiatique s'emballa sur son caractère "pourri". Pourtant, quand on regarde les données et les classements, c'est probablement le mois d'été parmi les 4 le moins "pourrissable". Si on devait résumer ce mois, on dirait qu'il fut frais et sombre. Cependant, cette fraîcheur ne se classe que 55° dans la liste des mois d'août les plus frais depuis 1833. A nouveau, comme pour juillet 2000, on peut remarquer que sur les dernières décennies, juillet 2011 se classe nettement mieux : ce fut le juillet le plus frais depuis 1970. En ce qui concerne l'ensoleillement, il s'agit du 19° juillet le moins ensoleillé depuis 1887. C'est un classement "honorable" mais sur une période de 127 ans, ce n'est pas non plus exceptionnel. D'ailleurs, l'IRM le classe comme "très anormal". Enfin, le 7° mois de l'année fut relativement sec sans l'être anormalement, mais réparti sur 20 jours. Au final, ces températures en berne, mêlées à un ensoleillement faible et des précipitations assez régulières ont donné un sentiment plus que mitigé à la population. Néanmoins, attribuer un caractère "pourri" à un mois assez sec est très discutable. La régularité des précipitations ne peut pas tout justifier.

Le mois d'août 2014 a pas mal déchaîné les passions, d'autant plus que l'effet d'emballement des médias sociaux semble se démultiplier chaque année qui passe. D'une manière surprenante, le paramètre le plus anormal pour ce mois fut les températures, et non les précipitations. Pourtant, le classement des températures positionne août à la 72° place ex-aequo alors que les précipitations se classent 11°. Encore une fois, ce classement des températures est à nuancer car ce fut le mois d'août le plus froid depuis 1986. En ce qui concerne les précipitations, août 2014 se retrouve au milieu d'un paquet de mois qui ont vu se déverser 130 à 140 mm de pluies. Ceci explique sans doute le caractère très anormal des températures et le caractère "seulement" anormal des précipitations. Le nombre de jour de précipitations est lui 30° comme son homologue de août 2006. Enfin, l'ensoleillement déficitaire positionne août 2014 à la 20° place. En résumé, aucun paramètre ne se positionne dans le top 10 et est déclaré "exceptionnel" ou "très exceptionnel. En revanche, tous les paramètres sont au moins anormalement mauvais.

En résumé, nous pouvons constater que les mois d'été des années 2000 analysés ci-avant ont une différence majeure avec les étés pourris du lointain passé : soit ils possèdent un paramètre normal, soit ils n'ont aucun paramètre exceptionnel. De la même manière, même si certains ont battu des records ou ont vu leur classement dans certains paramètres très haut dans le négatif, d'autres paramètres étaient dans le "ventre mou" du classement. Insistons néanmoins une dernière fois sur un point : certains mois ont vu leurs températures anormalement basses, surtout par rapport à l'histoire récente, alors que par rapport à l'histoire lointaine, ils ne sont aucunement exceptionnels. Malgré donc une synoptique de blocage dépressionnaire assez typique d'un mois pourri, les températures sont restées relativement hautes. Il est difficile de ne pas voir dans cette différence de parfois 2° pour une synoptique assez similaire l'oeuvre du réchauffement climatique. Cela peut d'ailleurs aussi se vérifier en hiver quand de violentes descentes polaires ne produisent plus les mêmes hivers qu'avant, que ce soit en Europe, mais aussi aux Etats-Unis. Rappellons aussi que ces mois de mauvaise facture sont malgré tout liés à d'importantes variations du courant Jet qui sont finalement une des normalités de notre climat. Synoptiquement, certains mois peuvent paraître pourris, mais sur le plan de la variabilité climatique, ils sont normaux. Ce paradoxe apparent n'est que le simple reflet de notre climat tempéré.

Conclusion

Nous avons donc pu voir grâce aux nombreux cas étudiés dans ce premier volet de l'anthologie de la désinformation météorologique que les étés pourris représentent au final un exemple-type de l'exagération présente dans les médias traditionnels et sociaux. Pour des météorologistes amateurs ou professionnels, lire les innombrables réflexions de journalistes ou de simples citoyens sur des sujets qui leur tiennent à coeur, à savoir la réalité statistique de la climatologie, est parfois pénible. Nous nous réveillons parfois un beau matin avec des articles d'une pauvreté affligeante, que ce soit sur le plan scientifique mais aussi et tout simplement journalistique. Les exemples de commerçants vendeurs de glaces ou d'agriculteurs montrent bien que, dans notre société, jouer sur les peurs et les frustrations est devenu une sale manie qui emporte toute réflexion rationnelle. Cette manie n'est malheureusement pas isolée à la météorologie, et il serait bon qu'une profonde réflexion sur ce comportement malsain soit engagée.

Nous avons pu rappeler que des étés pourris ont réellement existé. Notre volonté n'est donc pas d'occulter des faits, de les minimiser, ou de mener une Sainte Inquisition scientifique, ce qui serait d'ailleurs une curieuse ironie de l'Histoire. En revanche, confronter des réactions assez primaires à des faits, avoir une vision globale de la problématique, analyser en profondeur les chiffres, décortiquer le pourquoi de ces réactions exagérément négatives nous paraît être le chemin obligé pour comprendre les origines de cette névrose collective. Evidemment, un psychologue ou un sociologue seraient plus aptes à analyser tout cela. Ceci étant dit, nous pouvons sans doute lancer plusieurs hypothèses.

D'abord, l'expression de "été pourri" serait en réalité une sorte d'oxymore voulant montrer l'anormalité de la situation. En accolant le mot été devant représenter pour certains la belle saison où les activités de plein air sont organisées avec un qualificatif particulièrement négatif, on montrerait que la situation est anormale, voire même injuste, ce qui mènerait à une frustration. Immanquablement, celle-ci n'engendre que des réactions à l'emporte-pièce où l'objectivité ne règne pas. Et si par malheur, vous tentez de relativiser les choses, vous êtes fusillés par les estivants.

Ensuite, et dans la continuité du point précédent, une société de loisirs s'est fortement développée ces dernières années. En été, cela passe évidemment par la plage, les jeux de plein air, les fêtes en tous genres, et d'une manière générale la bonne humeur qui va avec. Prendre plus de 100mm sur la figure pendant un mois d'été, avec un soleil peu généreux et des températures normales ou déficitaires, ce n'est pas acceptable pour cette société de la consommation. Notons par ailleurs que cette constatation peut aussi être faite en hiver lorsque la neige n'est pas au rendez-vous. Ce point est donc sans doute crucial.

Puis, la dynamique du réchauffement climatique nous fait croire que les étés doivent être forcément chauds, plutôt de type provencaux, ou en tout cas Centre-Occidentaux français. Cela sera probablement une réalité dans quelques dizaines d'années, mais cela n'empêche absolument pas des masses d'air fraîches de descendre sur l'Europe Occidentale. Les récents hivers ont encore montré qu'il pouvait neiger abondamment dans les zones méditerranéennes. Alors, pourquoi pas des étés frais et humides en Belgique ?

L'objectif de ce premier volet n'était donc pas d'élaborer une définition de "été pourri", de statuer sur l'un ou l'autre été ou mois d'été, mais de proposer des réflexions qui vous permettent d'avoir une meilleure vision d'ensemble. L'expression magique des estivants est en effet beaucoup trop subjective pour être définie. La pourriture fait souvent référence à l'humidité, mais d'autres paramètres entrent en ligne de compte, et les vécus, les désirs, et la sensibilité de chacun rendent et rendront le débat encore compliqué pour de nombreuses années. Le plus important sera pourtant de garder la tête ... froide !

Sources :

IRM
-          Annales de l’Observatoire Royal
-          Bulletins mensuels climatologiques
-          Bulletins mensuels synoptiques

Revue « Ciel et Terre »
-          Revues climatologiques mensuelles

KNMI
-          Het Weer in het Verleden (Antieke waarnemingen)

E&CAD
-          Daily Data

-          Almanach

Société Royale de Londres
-          Stephen Hales & Louis Maisonneuve : « La statique des végétaux et l’analyse de l’air »

France 2
-          Forum France 2 – Environnement – L’histoire du climat, canicule, froid, etc. 

Site Wetterzentrale

Site Ogimet

Nous tenons à remercier vivement Mr Robert Vilmos sans qui ce dossier n'aurait tout simplement pas pu voir le jour

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