samedi 11 février 2023

Distinguer le Sting Jet du Cold Jet: L'exemble de la tempête Alex (1-2 octobre 2020)

Ces dernières années, le terme "Sting Jet" a pris en importance dans la communauté météo, rendu populaire au travers d'un certain sensationnalisme. Il a été associé récemment à plusieurs tempêtes présentant un maximum venteux au sud et au sud-ouest de leur centre dépressionnaire, occultant d'autres mécanismes potentiellement tout aussi puissants, dont le Cold Jet, présent plus classiquement dans la plupart des tempêtes. Au final, l'occurrence d'un vrai Sting Jet reste un phénomène peu fréquent, répondant à des conditions atmosphériques bien particulières et présentant des symptômes très particuliers permettant de le distinguer des autres "Jets" (ou plus largement, flux) à l’œuvre au cœur des tempêtes. Dans cet article, nous prenons en exemple la tempête Alex d'octobre 2020, cette dernière ayant porté les deux phénomènes en son sein. Nous montrons, à l'aide du modèle Arome, des relevés de la station de Le Talut de Belle-Ile et d'un article scientifique (voir bibliographie) que la rafale de 186 km/h qui y est enregistrée se produit dans un environnement qui écarte fortement l'hypothèse du Sting Jet comme cause directe. Cette rafale est à attribuer au Cold Jet.

Alex est issue d'une cyclogénèse fulgurante, de type Shapiro-Keyser, avec formation d'une séclusion chaude très marquée et une séparation entre front chaud et front froid (frontolyse à ce niveau). Il est à noter que le DWD, dont il faut souligner la capacité à flairer les bons coups en matière de frontologie, avait bien vu la chose.

Alex à 20h00 le 1er octobre (source: DWD).
 
A noter pour être exact que la logique se retrouve aussi transitoirement sur les cartes du Met Office anglais, comme quoi ça vaut toujours la peine de comparer les analyses de surface quand on s'intéresse à une perturbation quelconque. Et s'il fallait encore se convaincre de la nature de la dépression, un petit coup d’œil dans les archives d'Arome montre bien une belle séclusion chaude, tellement bien dessinée qu'on peut s'affranchir des cartes de thetas et juste utiliser la classique température à 850 hPa pour l'appréhender sans peine. On notera le front chaud de retour très bien dessiné qui cercle le centre dépressionnaire (pour rappel, pas d'occlusion au sens où on se l'imagine dans un SK), avec un beau contraste de températures. On aura l'occasion d'y revenir (on ne remerciera jamais assez tous ces sites qui mettent en libre accès des données comme celle-là, ça permet à des passionnés non-professionnels comme moi d'aller farfouiller des heures pour chercher la petite bête...).

Carte des températures à 850 hPa à 23h00 selon Arome, avec Alex alors centré au sud du Finistère (source: Meteo France via Meteociel).

Par ailleurs, j'en profite pour vous rediriger vers l'article théorique si les termes Shapiro-Keyser, séclusion, front chaud de retour... vous sont peu familiers. J'ai écrit cette tartine de théorie aussi pour ne pas devoir faire des rappels sur ces notions à chaque nouveau papier, sans quoi ce blog finirait par ressembler à une brique numérique (ah c'est déjà le cas?).

Je passe l'éponge pour cette fois sur les mécanismes ayant présidé la formation d'Alex pour en venir à la tranche de quelques heures qui nous intéresse, celle de l'approche finale de la tempête au Morbihan, placé en vigilance rouge par Meteo France pour l'occasion. Celle-ci a été bien suivie sur le forum Infoclimat, où les interventions permettent régulièrement d'attirer l'attention sur certains éléments, voire de combler le manque de mesures. J'en ferai usage dans cet article, car elles permettent pour Alex de trouver quelques hypothèses pour tenter de combler les pièces manquantes du puzzle atmosphérique (on ne le dira jamais assez, mais une tempête européenne, c'est d'une extrême complexité, à mes yeux davantage qu'un cyclone tropical par exemple, mais on peut débattre). 

A 20h00, et comme on l'entendrait dans une vieille pub d'une célèbre marque de voitures françaises, notre tempête Alex "a tout d'une grande". Dit autrement, la tête qu'elle présente sur les images satellites est celle d'une dépression en plein creusement explosif.

Alex en infrarouge à 20h00 le 1er octobre (source: Eumetsat).
 
Déjà à cette heure-là, le mot "sting jet" est employé sur Infoclimat (mais aussi ailleurs) à la vue de ce fameux dard de scorpion qui se met en place de manière menaçante immédiatement en amont de l'intrusion sèche (et du centre dépressionnaire qui se cache quelque part là en-dessous). D'ailleurs, il est vrai qu ça ventile sévère, puisqu'un bateau situé dans le quadrant sud de la dépression signale déjà des vents moyens de 111 km/h (11 Bft) en début de soirée. Mais vu son emplacement à cette heure, le bateau circule sous la warm conveyor belt ou au niveau du front froid, plus au sud que la région qui nous intéresse, proche du centre dépressionnaire.

Sting Jet, le mot est donc lâché. A nouveau, pour les détails, je vous renvoie à l'article théorique, mais rappelons très brièvement que ce sting jet est un courant qui descend en oblique juste à l'avant de la pointe nuageuse associée au front de retour, donc dans le quadrant droit de la dépression, très proche du centre, si l'on se place dans le sens de sa trajectoire. Ce courant est capable de très violentes rafales, et attire donc l'attention des météorologues. Le fait qu'il soit associé à la pointe nuageuse qui s'effiloche permet d'en supposer l'existence, mais le "supposer" a ici toute son importance, et ce pour plusieurs raisons:

  • L'effilochage (l'apparition de bandes nuageuses parallèles) est discuté dans la littérature scientifique, selon que ce soit le marqueur des mécanismes à l'origine du sting jet (évaporation, instabilité symétrique conditionnelle et convection oblique...) ou une conséquence (évaporation parce que le courant descendant du sting jet existe déjà et vient assécher certaines portions de la tête nuageuse, scénario qui se tient si l'on envisage une autre source potentielle de ce courant descendant, la frontolyse marquée au bout du front de retour).
  • Ce secteur de la dépression est le lieu habituel de fortes subsidences d'air sec qui peuvent aussi évaporer la pointe nuageuse, sans qu'un sting jet ne soit présent.
  • Le sting jet peut exister en moyenne troposphère, descendre assez bas (à 1500 ou 2000 mètres) mais passer inaperçu en tant que tel au sol, en l'absence de transfert des vitesses associées vers ce dernier (par des phénomènes encore discutés tels que la convection, la turbulence, des ondes...)
  • C'est aussi le lieu d'action de la cold conveyor belt dans les basses couches, qui s'intensifie en fin de creusement de la dépression et se localise juste du côté froid du front de retour, donc grosso modo à l'ouest puis au sud-ouest, et enfin plus tard au sud du centre dépressionnaire (Smart et Browning, 2014). L'observation personnelle me fait dire que le cold jet associé (le jet de basse couche de la CCB) semble devenir particulièrement serré et puissant en présence de séclusions chaudes marquées et de petit diamètre, or on rappellera la nature d'Alex.
  • Dans la vie d'une tempête, le sting jet tend à apparaître un peu plus tôt que le cold jet, mais pendant une période de transition de plusieurs heures, les deux peuvent coexister et interagir, le premier étant généralement spatialement un peu en avance sur le second. Par ailleurs, dans les modélisations mailles fines comme Arome, la zone de vent violent en forme de haricot au sud-ouest et au sud du centre dépressionnaire a souvent cette double origine, et il devient difficile de distinguer les deux sans l'aide d'autres paramètres physiques et de mesures diverses (Schultz et Browning, 2017). Il y a néanmoins cette idée que le cold jet est collé au gradient thermique du front de retour, tandis que le sting jet est en avant, là où ledit front se frontolyse. Ci-dessous, un exemple est donné avec l'analyse d'une dépression de tempête près de l'Irlande le 3 janvier 2012. On notera par ailleurs que le maximum de vent de surface associé au cold jet est plus intense que celui associé aux sting jets. Il ne faut cependant pas perdre de vue que si le cold jet est horizontal, le sting jet descend de la moyenne troposphère à l'ouest de ce dernier, se positionne juste au-dessus de lui puis prend les devants pour "atterrir" devant lui. Ces trajectoires ne sont pas montrées ici, mais bien visibles dans l'article de Smart et Browning (2014) sur cette tempête.

 Source: Smart et Browning, 2014

Les deux derniers points sont l'occasion de dégonfler le caractère "médiatique" et sensationnel du sting jet, qui est un peu devenu pour les tempêtes ce que les supercellules sont aux orages. Avec les supercellules, on s'attend toujours à un orage "super", or le chasseur d'orages à ses heures perdues que je suis est bien placé pour savoir que les supercellules, en-dehors de la rotation qui les définit, ne sont pas systématiquement des orages violents aux structures esthétiques. Une bonne part d'entre elles sont relativement quelconques et moins violentes qu'un bon multicellulaire qui pourtant ne paie guère de mine sur une imagerie radar.

Pour le sting jet, c'est pareil: une point nuageuse effilochée ne veut pas dire systématiquement sting jet, il peut exister sans avoir de contact avec le sol et, par ailleurs, il peut être relativement contenu. Un sting jet ne donne pas systématiquement des rafales destructrices, et par ailleurs, médiatiquement, il fait de l'ombre au "multicellulaire" des conveyors belts, la CCB, qui se cache sous la pointe nuageuse et peu au final être bien plus forte et sournoise que le sting jet. Du 200 km/h est tant accessible par un sting jet turbiné que par une cold conveyor belt (cold jet) dopée aux amphétamines. Ainsi, la tempête Martin du 27 décembre 1999 semble ne pas avoir eu de sting jet, et les rafales proches de 200 km/h ne peuvent qu'être attribuées au cold jet.

Le fait est que ce double jeu a vraisemblablement eu lieu au sein d'Alex, et qu'il s'agit justement de la question que s'est posé Smart (2020) dans l'une des éditions de Weather, l'un des journaux scientifiques de la Royal Meteorological Society britannique. Sur base des relevés par diffusomètre (scatterometer), il suspecte la présence d'un sting jet entre 22 et 23h00, alors que le centre de la dépression est encore bien en mer. De puissants vents de surface, orientés au sud-ouest, sont alors à l’œuvre sous l'intrusion sèche. Autrement dit, là où doit se trouver un sting jet s'il existe. Sur l'image ci-dessous, le maximum du potentiel sting jet correspond aux barbules violacées. Smart note aussi la présence de la CCB en amont du centre, bien que les vitesses doivent là être considérées avec circonspection compte tenu de la "pollution" de la mesure par la pluie (barbules noires). Toutefois, les vents dans cette partie de la dépression semblent plus puissants que dans celle où le sting jet est possiblement à l’œuvre. Une analyse des trajectoires dans cette partie de la tempête via modélisation donne un résultat cohérent avec la présence d'un sting jet, à savoir un flux d'air descendant en oblique (Smart, 2020).

Observation par l'ASCAT de la tempête Alex à 22h38 (source: NOAA via Smart (2020)).

Un peu plus tôt, vers 21h15, j'intervenais justement sur le forum d'Infoclimat, en commentant une image vapeur d'eau à mes yeux fort parlante, avec une intrusion sèche très marquée. J'avais déjà en tête l'idée du sting jet, en connaissance de la nature de la dépression (les sting jets semblent ne se produire que dans les dépressions de Shapiro-Keyser) et de cette pointe nuageuse effilochée, indice toutefois imparfait on l'a vu. Dans tous les cas, cette zone de très forte subsidence d'air bien sec, apparaissant en jaune sur l'image satellite, semblait correspondre à un ciel bien dégagé et laissait alors supposer bien du grabuge à cette heure-là à cet endroit-là de la tempête. La vigilance rouge pour le Morbihan, au regard de ces éléments, était tout à fait justifiée.

Image satellite vapeur d'eau à 21h15 (source: Kachelmann Wetter).

Un peu plus tard, une animation composée par mes soins et postée sur le forum laissait présager un flux très rapide dans la partie droite de la pointe nuageuse, avec des lambeaux défilant à grande vitesse vers le sud-sud-est. Il est alors cependant difficile de statuer sur ce qui est alors observé: la partie haute du sting jet qui plonge en virant plus tard sur la gauche pour s'aligner au sud-ouest, ou le cold jet en train de s'établir? La petite taille d'Alex ne permet pas, sur base de cette seule animation, de distinguer les choses...

Animation infrarouge aux alentours de 22h00 (source: Kachelmann Wetter).

Par la suite, la première rafale significative est enregistrée à Belle-Ile, 130 km/h vers 22h30, et un vent moyen de 86 km/h quelques instants plus tard. Dans le même temps, on note une baisse des points de rosée et une augmentation de la température, soit un air plus sec et cohérent avec une subsidence, ou simplement avec l'arrivée de la séclusion chaude (difficile de trancher à ce niveau). Vers 23h00, le vent vire plein sud en montant à 139 km/h. Un quart d'heure plus tard, celui-ci baisse néanmoins, tandis que l'humidité remonte à nouveau. A ce moment, le centre de la dépression est très proche de l'île. Du côté sous le vent (Palais), un témoignage fait même état d'un calme plat après les rafales plus tôt dans la soirée. On notera cependant que la pointe nuageuse a bien progressé, et se prépare à passer sur Belle-Ile. Ceci aurait donc tendance à placer le sting jet, qui atteint la surface devant cette pointe, hors de portée de l'île.

Alex aux alentours de 23h30, alors que son centre atteint les côtes bretonnes (source: Infoclimat).

Peu avant minuit, le vent se renforce brutalement, virant au sud-ouest, puis à l'ouest, en montant rapidement à 66 km/h de vent moyen, et à 172 km/h en rafales, tandis qu'une chute des températures et du point de rosée est observée. S'en suit la rafale à 186 km/h de nord-ouest, que Smart (2020) attribue davantage à la cold conveyor belt qu'au sting jet, bien qu'il n'exclut pas que ce dernier se soit retrouvé à proximité immédiate de Belle-Ile. Il eut été pourtant tentant de l'attribuer au SJ, chose à laquelle j'ai par ailleurs pensé dans un premier temps, avant de prendre connaissance du point de vue de Smart. Nous allons à présent essayer de tester les deux hypothèses.

Relevés de la station de Le Talut - Belle-Ile (source: Meteociel).

On observe bien que les plus violentes rafales sont associées à une baisse de températures et au maintien de l'humidité relative. De plus, cette température se maintient par la suite, signe que Belle-Ile est passé du côté froid du front de retour, dans de l'air maritime polaire. Le parallèle fait avec l'article de Smart et Browning (2014) pointant le maintien d'une très haute humidité relative dans la CCB donne du poids à l'hypothèse du cold jet. Avec un sting jet atteignant le sol, nous aurions assisté à un nouvel assèchement de l'air. Martinez-Alvarado et al. (2015) se servent aussi de l'humidité relative pour distinguer la CCB et le Sting Jet opérant dans la tempête Friedhelm de 2011.

Pour autant, Smart (2020) fait l'hypothèse que des éléments du sting jet étaient probablement présents dans les parages de Belle Ile et, à ce titre, l'assèchement observé un peu plus tôt, associé au premier maximum de vent, porte les traces de la possible proximité d'un tel jet. Il n'est pas impossible que la trace au sol dudit sting jet ait transité un peu plus au sud-est. Il est également possible qu'une partie de ce jet surplombe la tête de pont de la cold conveyor belt en train d'atteindre Belle-Ile. Par ailleurs, à ce moment, Belle Ile se retrouve sous l'extrémité de la pointe nuageuse, ce qui signifie que l'impact au sol du sting jet devait se retrouver un peu en avant, au sud-est et à l'est de l'île. Pour autant, vers minuit, les images satellites montrent clairement que ce secteur entre Belle-Ile et Le Croisic, auparavant dégagée, commençait à se remplir de nébulosité basse (stratus et stratocumulus), signifiant vraisemblablement que le contact du sting jet avec la surface venait d'être rompu. L'apparition d'un "trou" dans la couche de stratocumulus au sommet de la couche limite, devant la pointe nuageuse du front de retour, semble être un marqueur de la présence d'un sting jet très près du sol (Smart et Browning, 2014). L'absence de très violentes rafales dans le secteur entre Vannes et Saint-Nazaire semble acter la disparition du sting jet à ce moment, à tout du moins sa perte d'influence avec le sol.

Pour étayer mes propos et donner du poids à mes arguments, je fais aussi appel au run d'Arome 18z du 1er octobre. Encore une fois, merci pour les archives, et ce qu'il y a de merveilleux avec les mailles fines, c'est de pouvoir aller chercher la petite bête ou, plus platement, tenter de cerner des éléments de petite taille mais qui ont toute leur importance. Pour autant, il faut faire le postulat que le modèle a été très proche de la réalité (il faut en quelque sorte vérifier la pertinence de ses calculs en le comparant avec la survenue réelle de l'épisode), et cela m'oblige à garder à l'esprit que les éléments et arguments que je vais évoquer sont davantage des hypothèses (assez solides si on s'aide de la littérature scientifique) que de véritables certitudes. Néanmoins, leur association aux observations faites jusqu'ici permet d'apporter quelques éléments intéressants. Il faut toutefois garder à l'esprit que je m'attaque à une tempête de petit diamètre; les sting jets sont à la base des couloirs relativement étroits, de quelques dizaines de kilomètres de large dans une tempête classique. Pour Alex, le flux en question a pu être aussi étroit qu'une dizaine de kilomètres, ce qui devient limite pour la modélisation, même pour un Arome et sa maille kilométrique.

Pour commencer, jetons un coup d’œil aux valeurs de thetas à 850 hPa, qui permettent de bien visualiser les fronts. A 22h00, Alex est en train de se constituer une solide séclusion chaude, évolution qui aboutit vers minuit. On notera à ce stade le gradient thermique très serré juste à l'ouest du centre dépressionnaire, marquant le front chaud de retour. Sur la dernière image, on note que ce gradient traverse Belle-lle. Or, en théorie, ce front est, à tout du moins dans les basses couches, longé par la cold conveyor belt davantage que le sting jet qui devrait alors atterrir un peu plus à l'est, là où le gradient se relâche quelque peu (frontolyse du bout du front de retour).



Champ des thetas à 850 hPa à 22h00, 23h00 et minuit d'après Arome 18z (source: Meteo France via Meteociel).

Intéressons-nous maintenant au vent moyen. Nous avons choisi de prendre ce paramètre plutôt que celui des rafales maximales pour la simple et bonne raison que ce dernier est représenté sous la forme des rafales mesurées pendant un laps de temps d'une heure, ce qui donne des traces. On remarque, à 22h00, un maximum de vent serré mais puissant qui culmine à 12 Beaufort, soit la force ouragan. En comparant avec la carte des thetas, on remarque que ce maximum évolue devant le bout du front de retour. Autrement dit, si sting jet il y a eu, ce maximum de vent, à ce moment-là, se trouve là où on est en droit de l'attendre.

Vent moyen à 10 m selon Arome 18z pour 22h00 (source: Meteo France via Meteociel).

Un zoom sur la zone en question, avec l'ajout du front de retour. A noter que l'on voit aussi un second maximum se développer à l'ouest, et plaqué du côté froid du front; ce maximum est vraisemblablement la cold conveyor belt en train de s'accélérer à ce niveau, formant le cold jet:

Structure et maxima de vent associés à Alex à 22h00 (source: Meteo France via Meteociel).

Bien que nous ayons de solides arguments en termes de localisation et de forme, nous ne pouvons à ce stade affirmer qu'un sting jet est certain à cette heure, d'autant plus que nous nous basons sur l'archive d'un modèle. Voyons ce qu'il se passe dans les deux heures suivantes:

Structure et maxima de vent associés à Alex à 23h00 (source: Meteo France via Meteociel).

Structure et maxima de vent associés à Alex à 0h00 (source: Meteo France via Meteociel).

Au fil des heures, le second maximum prend le pas sur le premier, au point qu'à minuit, c'est celui-là qui présente les plus fortes valeurs et atteint Belle-Ile. Si le modèle a vu juste - les observations semblent aller en ce sens - c'est le cold jet qui est responsable des 186 km/h enregistrés au Talut. Le sting jet, en début de déclin, semble en effet passer à côté de Belle-Ile. Les images satellites montrant la pointe nuageuse passer sur et non à l'ouest de l'île semble confirmer l'idée que Belle-Ile est bien atteinte, peu avant minuit, par le front de retour. La très rapide hausse du vent à l'ouest et la chute des températures semblent également indiquer le passage dudit front. La carte est à comparer avec le schéma issu de l'article de Smart et Browning (2014) et montre aussi que lorsqu'un sting jet survient, il n'est pas forcément associé au maximum de vent le plus violent, le cold jet a aussi son mot à dire...

Nous avons donc là de solides arguments, mais il ne nous est pas possible de certifier les propos que nous avançons, faute de moyens à notre disposition. Il faudrait en effet pouvoir accéder à une vue 3D de ce secteur de la tempête pour vérifier si le premier maximum attribué au sting jet correspond bien à l'arrivée près de la surface du courant descendant en oblique caractéristique de ce type de flux. Néanmoins, en prenant quelques variables supplémentaires, nous pouvons possiblement ajouter quelques arguments à notre raisonnement. 

Humidité relative à 700 hPa (vers 3000 mètres) à 23h00 selon Arome 18z (source: Meteo France via Meteociel).

On note un assèchement prononcé juste au sud du centre dépressionnaire, avec le minimum d'humidité le plus méridional se superposant assez bien au maximum de vent identifié comme étant le possible sting jet. La composante descendante de ce flux mène à un assèchement suite à l'échauffement par compression adiabatique, pour autant que l'évaporation et son action refroidissante ne vienne pas contrecarrer cet assèchement. Il est possible de dire que ces minimas d'humidité correspondent à une descente d'air, sans pour autant être catégorique à ce sujet.

Au final, la présence d'un sting jet semble bien probable, mais celui-ci semble entamer son déclin à proximité de Belle-Ile, et les plus fortes rafales observées sur cette dernière semble devoir être attribuées à l'arrivée de la cold conveyor belt, pour rappel hypothèse formulée par Smart (2020). Toutefois, comme souligné par ce dernier, le sting jet a pu se trouver très proche de Belle-Ile, et possiblement interagir avecle cold jet. Une superposition du cold jet et du sting jet passant par dessus (pour atteindre la surface plus en avant) est tout à fait possible, et a pu contribuer au renforcement du maximum de vent qui a atteint Belle-Ile peut avant minuit.

Bibliographie

Martinez-Alvarado, O. et al. (2015). Cloud banding and winds in intense European Cyclones. Results from the DIAMET Project. American Meteorological Society.

Schultz, D., Browning, K. (2017). What is a Sting Jet? Weather, 72(3), 63-66.

Smart, D., Browning, K. (2014). Attribution of strong winds to a cold conveyor belt and sting jet. Quarterly Journal of the Royal Meteorological Society, 140, 595-610.

Smart, D. (2020). The origin of an extreme wind gust at Belle-Ile-en-Mer, Brittany during storm Alex, 1-2 October 2020. Weather, 75(12), 392-393.


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