L'année passée, nous avions publié un article s'intitulant "Bertha et les tornades". Aujourd'hui, c'est Henri et les orages. Le point commun entre les deux dépressions dont nous évoquons ici les noms, c'est leur origine tropicale: ce sont des cyclones tropicaux évoluant dans l'Atlantique qui, en se dirigeant vers l'Europe, perdent leurs caractéristiques tropicales mais véhiculent néanmoins avec eux des masses d'air chaud et bien humide. L'expérience nous apprend que l'arrivée de telles dépressions post-tropicales en Europe est régulièrement synonyme de grabuge, avec la survenue d'orages et parfois de tornades en série, comme cela fut le cas l'année passée avec Bertha. Ce le fut également cette année avec Henri.
Trajectoire de Henri en tant que cyclone tropical, du sud vers le nord.
Nos orages du 16 septembre trouvent donc leur origine environ une semaine plus tôt, dans l'Atlantique tropical, lorsqu'une onde développe une circulation fermée le 9 septembre à l'est-sud-est des Bermudes. Elle est alors nommée en tant que huitième dépression tropicale de la saison. Le lendemain, elle atteint péniblement le stade de tempête tropicale, et le National Hurricane Center américain lui attribue le nom de Henri. Pourtant, elle ne se renforcera pas davantage. Contrariée par des cisaillements de vent qui, par définition, ne sont pas favorables au développement des systèmes tropicaux, Henri végète au stade de faible tempête tropicale avec des vents moyens maximums de 65 km/h à peine et une pression centrale banale de 1008 hPa. Sur les images satellites (comme celle ci-dessous), Henri a l'apparence d'un tas de nuages informe, dénotant sa faible structuration. La vie tropicale de la tempête est éphémère et, déjà le lendemain, elle perd ses caractéristiques tropicales en évoluant en direction de Terre Neuve.
Henri le 9 septembre après-midi
Pourtant, aussi peu intense soit-elle, la faiblissante dépression Henri
promène avec elle une bouffée d'air tropical bien chargé en humidité.
Nous sommes donc le 11 septembre, soit cinq jours avant la survenue de
nos orages. L'image ci-dessous, datant du 13 septembre, montre la dépression Henri près de Terre Neuve, transportant une langue de theta élevés. En météo, les theta sont une température fictive permettant de mieux distinguer les différentes masses d'air. En l'occurrence, celle qui accompagne Henri est bien tropicale et marquée par une flèche rouge.
Sortie du modèle GFS le 13 septembre montrant la langue de theta élevés entraînée par Henri vers l'Atlantique nord.
Au même moment, notre ami le courant Jet, qui véhicule les dépressions tempérées et les intensifie, commence à onduler dans la partie atlantique de l'Hémisphère nord, comme le montre la carte ci-dessous.
Certaines de ses branches, colorées en jaune, indique qu'il est dans une phase d'intensification, due notamment à l'apport supplémentaire d'énergie en provenance des Bermudes. Henri, désormais extratropicale, va intensifier le courant Jet, et le courant Jet va intensifier Henri en retour.
Après avoir erré à proximité de Terre Neuve et dépourvue de tout phénomène intéressant autre que des pluies modérées, la dépression Henri prend donc la route de l'Europe, en se décomposant progressivement en deux ondes dépressionnaires. La première d'entre elles parvient ainsi au nord de la Galice espagnole à la mi-journée du 15 septembre en ayant subi une phase d'intensification aux mécanismes très communs sous nos latitudes puisqu'ils dirigent le creusement de n'importe quelle dépression: présence d'un Jet-stream puissant et contraste thermique important entre le flanc sud-est chaud de la dépression et son flanc nord-ouest plus froid. La subtilité réside ici dans le fait que l'air chaud à l'avant de la dépression est tropical puisque provenant des Bermudes.
Sur l'image satellite vapeur d'eau ci-dessous, on note en vert l'air d'origine tropicale fortement chargé en humidité, ici transporté progressivement vers la moyenne troposphère par la warm conveyor belt, en interaction avec la dynamique d'altitude. Cette dernière se devine à l'intrusion sèche d'altitude en bleu. La seconde dépression, plus à l'ouest, est moins organisée à cette heure, mais ici aussi, on repère une seconde intrusion sèche et de l'humidité transportée à l'est du centre dépressionnaire.
La seconde dépression, à l'arrière, se creuse jusqu'à 980 hPa au petit matin du 16 au nord de la Galice. Pendant ce temps, la première dépression atteint la Bretagne à minuit, creusée à 985 hPa, puis se désorganise en parcourant la Manche. Sur son flanc sud-est, le front chaud associé, très actif, traverse la France du sud-ouest au nord-est, accompagné de précipitations continues.
En début de matinée du 16 septembre, c'est le front chaud de la seconde dépression traverse la Belgique du Sud vers le Nord, apportant des pluies plutôt modérée. La première dépression finit elle-même par se faire ingérer par cette seconde dépression, formant un creux sur la Manche.
Donnant des rafales jusqu'à 120 km/h dans le Golfe de Gascogne puis sur
les côtes de Vendée en journée du 16, la seconde dépression est donc une tempête classique des régions
tempérées. La subtilité vient du passé tropical d'Henri, dont la
langue d'air tropical déboulant alors sur la France est une archive.
A l'arrière du front chaud de cette seconde dépression, la masse d'air aux origines tropicales produit ses premiers effets : la France baigne dans une certaine moiteur avec même un vent de Sud provoquant un effet de foehn dans la région grenobloise. On relève 21.6° de température minimale dans la préfecture de l'Isère, et la température atteint rapidement 24° à 8h du matin.
A Lyon, dans l'après-midi, on enregistre 27° alors que des rafales non-orageuses atteignent les 121 km/h et déracinent les arbres :
Ces deux valeurs résument bien à elles seules le phénomène de la vieille tempête tropicale arrivant en Europe : elle véhicule un air bien doux dans les basses couches (bien que cette température ne soit pas exceptionnelle) et provoque un renforcement des vents suite à son interaction avec le courant Jet. La valeur de 121 km/h à l'aéroport de Lyon-Bron est d'ailleurs un record pour cette station pour le mois de septembre ! A la gare de Part-Dieu, le trafic est fortement perturbé :
Aux alentours de 16h30, le centre dépressionnaire de la seconde dépression atterrit sur les côtes
françaises au niveau de Saint-Nazaire, creusé à 983 hPa. Son
affaiblissement a toutefois déjà commencé.
La seconde dépression dans le Golfe de Gascogne quelques heures avant son arrivée en France. Sur le centre-ouest de la France, les orages sont déjà visibles.
En résumé, en début d'après-midi, différents éléments sont en place pour une dégradation orageuse d'envergure:
- Une langue d'air d'origine tropicale bien chargée en humidité, cette humidité étant renforcée par des averses précédant les orages;
- Un puissant Jet-stream au-dessus de l'Europe occidentale, la Belgique et le nord-est de la France étant placés en sortie gauche de ce jet, où la divergence du courant force l'air des basses couches à s'élever;
- Une anomalie de tropopause enfonçant de l'air froid et sec en direction de la langue d'air chaud;
- Et enfin, des cisaillements de vent avec l'altitude très prononcés, voire extrêmes sur l'ouest de la France.
Un axe orageux s'est donc organisé en début d'après-midi à proximité de l'Ile-de-France avant de filer vers le nord-est de l'Hexagone. Dans un premier temps, c'est uniquement sa partie sud - semblant éviter la Belgique - qui est orageusement active. Pendant ce temps toutefois, une première supercellule isolée concerne la Famenne, générant une tornade sur la région de Melreux. Celle-ci serait classée F2 au maximum de sa puissance et a porté de nombreux dommages aux toits et à la végétation. Les premiers résultats de l'enquête effectués par Belgorage montrent que la tornade a été très certainement contrariée par le relief: celle-ci s'est en effet déplacée parallèlement au contact entre la Famenne et l'Ardenne - le long de la Calestienne - ce qui l'a empêché de maintenir en permanence un contact avec le sol. La trajectoire est à première vue longue de 7 à 8 kilomètres.
Extrait d'une vidéo de la tornade (auteur: E. Cockx).
Image radar de l'IRM peu avant 16h00, juste avant que la cellule isolée sur la Famenne génère la tornade de Melreux.
Dans le même laps de temps, on observe une intensification de la partie nord de l'axe orageux, qui finit par évoluer en LEWP (en français, ligne d'orages en forme de vagues), un système orageux très structuré et dont l'intensité est surprenante pour un mois de septembre. Ce système, marqué par une virulente activité électrique et de fortes rafales de vent, balaie tout le sud-est de la Belgique en fin d'après-midi. Une pointe de 115 km/h est mesurée à Buzenol (Lorraine belge) au passage de cette ligne orageuse, et de nombreux dégâts associés à une ou plusieurs rafales descendantes sont signalés. A 17h30 (deuxième image ci-dessous), l'axe est particulièrement actif sur cette région où de fortes précipitations sont observées.
En France, trois tornades ont été observées: une dans le département des Ardennes, une seconde dans le Loiret, et la troisième, la plus forte, en Poitou-Charentes. Cette dernière a parcouru 70 km, soit l'une des plus longues trajectoires tornadiques connues en France, et a concerné vingt-quatre communes.
Comme tempête, Henri a surtout été actif sur les côtes atlantiques de la France et en Rhône-Alpes, où de fortes rafales ont été mesurées:
117 km/h à Chemoulin
113 km/h à la Pointe des Baleines
117 km/h à Saint-Sauveur
121 km/h à Lyon-Bron
Plus au nord-est, les fortes rafales sont surtout le fait des orages, avec par exemple 135 km/h relevé à Saint-Dizier et 93 km/h à Metz-Nancy-Lorraine, ou encore les 115 km/h de Buzenol côté belge.
Du côté des précipitations, des cumuls assez importants ont été observés, mais ils ne sont pas uniquement dus aux orages. Bien que ces derniers aient apporté la plus forte contribution pluviométrique, de nombreuses averses et les pluies du front chaud précédant les orages ont précipité pas mal d'eau. On relève ainsi:
46 mm à Buzenol
39 mm à Saint-Hubert
35 mm au Mont-Rigi
25 mm à Humain
24 mm à Dourbes
23 mm à Florennes
21 mm à Elsenborn
20 mm à Bierset
La carte des impacts de foudre est assez marquante pour un mois de septembre, avec de beaux cumuls sur le sud-est de la Belgique et le nord-est de la France.
Cet article montre comment l'existence d'une banale tempête tropicale près des Bermudes peut, in fine, se révéler être une histoire passionnante et engendrer de gros orages et une tornade chez nous, ce qui n'est quand même pas courant en septembre, bien que cela soit arrivé plusieurs fois dans le passé. Le lecteur peut ainsi comprendre pourquoi les météorologues amateurs et professionnels sont souvent sur le qui-vive lorsque les restes d'un système tropical abordent nos régions. Ils sont souvent générateurs de surprises...
Pour aller plus loin, voir aussi l'article suivant: L'Europe à portée de tir des cyclones tropicaux?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.