En météo, la mention du
« Pukkelpop », festival de musique rock alternatif situé
à Kiewit, près de Hasselt, fait surgir en nous un sentiment
d'effroi. En ce 18 août 2011, un violent orage accompagné de très
fortes précipitations et d'une puissante rafale descendante ravagea
le site du festival à tel point que tentes et châpiteaux
s'abattirent sur le public, causant la mort de 5 festivaliers.
Bientôt 4 ans après les faits, ce sentiment est encore présent. Il
l'est d'autant plus que l'auteur de cet article a vu passer le même
orage sur son village, à l'Est de Louvain, dans des conditions
certes moins dévastatrices, mais qui lui laissèrent un souvenir
très particulier. Nous vous proposons donc de revenir sur cet
événement sous la forme d'une chronique à dimension très humaine
introduite par un rappel des conditions atmosphériques.
Durant cet été à la fin funeste, peu
d'éléments présageaient d'un tel dénouement. Les températures
avaient été assez souvent en berne, malgré quelques pics tropicaux
en juin. Cependant, à cette mi-août, un thalweg, une dépression
d'altitude, prit fantaisie de se développer sur le proche
Atlantique.
Assez traditionnellement, les vents
d'altitude s'orientèrent plus au secteur Sud-Ouest. Les fronts
ondulant sur nos régions, en proximité du courant Jet, purent
temporairement remonter vers la Mer du Nord, mais bloqués par un
anticyclone de surface. Dès lors, de l'air chaud et humide circulant
à l'arrière du front chaud envahit nos régions, mais,
parallèlement, la haute pression a entretenu un vent de Nord-Est au
niveau du sol. Enfin, tout aussi traditionnellement, une ligne de
convergence s'était formée à l'avant du front ondulant. Dès lors,
le théâtre du drame se mit progressivement en place : air
chaud et humide dans les basses couches, air froid d'altitude avec la
proximité du thalweg, instabilité assez marquée, veering des vents
du sol avec l'altitude, accentuation des cisaillements avec la
présence du courant Jet. Les éléments purent se déchaîner.
En cette après-midi du 18 août 2011,
dans la périphérie orientale de Leuven, je surfais comme à mon
habitude pour suivre l'évolution de la situation. A cette époque,
ma connaissance des orages était plus que rudimentaire. Je suivais
bien les radars pour voir l'évolution de la situation et ces
manifestations extrêmes de la thermodynamique atmosphérique étaient
plus l'occasion pour moi de me rafraîchir. Il faut dire que, sans
être exceptionnelles, les températures avaient été accompagnées
d'une humidité fort élevée, principalement entre 70 et 80%. Dès
lors, la sensation était malgré tout fort lourde.
A 15h, les premiers orages se
développent dans les Flandres, et progressent assez rapidement vers
le Nord-Est.
A 16h, ils abordent les plaines du
Brabant Flamand. Commencent alors 4 heures tragiques ...
Me rendant compte que les orages
arrivent par le Sud-Ouest, je tente de les voir arriver derrière la
végétation assez prolixe. Bien sûr, le ciel devient fort gris,
comme à l'avant de n'importe quel orage. Je retourne à mon poste.
Soudainement, alors que rien ne pouvait vraiment l'annoncer,
l'atmosphère devient très sombre. Cette forte pénombre me fait
pressentir un orage violent et il ne faut pas attendre longtemps pour
en avoir le coeur net. Il est 16h30.
Les premières gouttes tombent avec
grand bruit, faisant presque penser à des grêlons, tellement leur
taille apparaît importante. D'abord relativement isolées, celles-ci
s'accélèrent très vite pour se transformer en un véritable
déluge. En quelques minutes, alors que le soleil luisait encore
partiellement, le paysage change du tout au tout. La visibilité est
réduite à moins de 100m à cause de la très forte densité des
précipitations. Vient s'ajouter à ce rideau de pluies de fortes
rafales de telle manière que les précipitations tombent sous un
angle de plus en plus oblique. Les arbres ploient sous l'effet de
cette lourde pluie balayée par un vent aux allures d'une tempête
tropicale. En quelques minutes, les rigoles dégoulinent sur les
côtés de la véranda. Les fenêtres subissent le même sort et
voient l'eau se déverser le long de leurs parois.
En un éclair, je pense aux précédentes
inondations connues à cause de la pente abrupte de l'entrée du
garage. Je file au rez-de-chaussée et je constate que l'eau parvient
à s'immiscer en-dessous de la porte, sans que cela soit important.
Néanmoins, je prends un torchon et je tente tant bien que mal
d'empêcher l'eau de s'accumuler dans le premier mètre du garage
pendant que le déluge continue dehors. Je pense aussi à la porte de
derrière, plus sensible. L'eau y est effectivement déjà plus
avancée sans que cela ne prête malgré tout à de fâcheuses
conséquences. Je peux y voir, au contraire de la porte du garage, le
rythme de l'eau qui tombe toujours avec la même intensité. C'est
une course entre le déluge et moi qui multiplie les aller-retour
entre le torchon et le seau. Heureusement, progressivement, le rythme
de la pluie diminue et devient plus typique d'une pluie frontale.
Après quelques minutes, elle s'arrête même totalement. Il est
légèrement passé 17h.
Le danger étant passé, je redémarre
mon ordinateur pour observer le radar. Je rends compte sur divers
forums de ce que je viens de vivre. J'enrage de ne pas avoir eu
d'appareil-photo pour immortaliser le moment kéraunique. Cette
vision carribéenne hante encore aujourd'hui mon esprit avec ce
rideau gris de pluie fouettant le vert de la végétation malmenée
et cette visibilité digne d'un brouillard d'hiver déchaînant des
carambolages monstres. Mon père sort et constate les dégâts :
un poirier s'est fait déraciner ! Passé l'orage dans la
région, je peux aussi consulter la pluviométrie. Dans la zone du
Brabant Flamand, les quantités atteignent bien souvent les 30mm
alors que les intempéries ont duré une grosse demie-heure.
Nous nous remettons progressivement du
petit choc de ce déluge tropical. Les éléments se sont calmés. Il
fait sec et le soleil refait quelques apparitions. La température a
bien évidemment chuté au passages des précipitations. Les orages
se décalent vers l'Est-Nord-Est ... vers le Limbourg.
A ce moment, alors que ma mère est
assise dans son fauteuil en train de regarder ses jeux TV favoris, je
ne peux m'empêcher de penser au Pukkelpop, étant relativement
proche de ce monde. Je lâche une phrase qui sonnera comme une
prophétie : « Dis donc, ils doivent déguster au
Pukkelpop ! »
...
Peut-on imaginer un seul instant ce
qu'il se passe réellement et la tragédie qui s'y déroule?!
Bien entendu, on ne peut croire que cette phrase, presque lancée
dans le vide, se transforme dans la vie réelle et à ce moment
précis en un enfer pour les festivaliers. On imagine bien la pluie,
la boue, le vent, les chanteurs et musiciens affrontant les éléments
et tentant de motiver les mélomanes de Belgique et d'ailleurs. Mais
jamais on imagine que tentes, châpiteaux et autres structures
s'abattent sur des êtres humains, les plongeant dans l'obscurité
éternelle et envoyant leur famille dans la stupeur, la détresse,
et le chagrin.
Et pourtant ...
Il est 19h30 et au journal de la VRT,
on annonce qu'il y aurait des morts. Est-ce mon néérlandais qui me
fait défaut ou je n'arrive pas à y croire ? Pourtant, le mot
« doden » est si simple et le journal de la RTBF annonce
la même horreur. Ex-festivalier, il y a une solidarité de fait qui
me lie à toutes ces personnes. Mais au final, tout le monde est
solidaire au vu des images qui commencent à foisonner sur Internet.
Evidemment, le drame n'aurait pas eu
lieu s'il n'y avait pas eu de festival à cet endroit. C'est la
principale leçon de ce funeste 18 août 2011. L'orage était certes
violent, et il existe un débat pour déterminer le type exact de
l'orage. Belgorage estime que c'était un orage du type bow echo. Des spécialistes flamands pensent au contraire qu'il
était supercellulaire. Tout ceci peut paraître dérisoire au regard
du drame, mais les événements et festivités estivaux resteront
toujours tributaires des conditions météorologiques, et
principalement des orages. Vu les conditions d'instabilité et de
vent, de violents orages étaient possibles ce jour-là. Les suivre
et prévenir les organisateurs de festivals comme celui du Pukkelpop était un minimum car ceux-ci sont météo-sensibles. A l'avenir, une vraie synergie entre spécialistes de la météo, amateurs ou professionnels, médias, instances, et organisateurs d'événements est plus que souhaitable afin d'éviter de tels drames.
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