Dans nos régions, si les orages causent régulièrement des dégâts, ils sont rarement meurtriers. Pourtant, il y a trente ans se produisait l'un des pires désastres attribués à un orage que notre pays ait connu. Au soir du 24 août 1987, des orages diluviens ravagent l'Entre-Sambre-et-Meuse et emportent malheureusement avec eux trois victimes dans les brutales inondations qui en découlent au sud-est de Charleroi. Dans cet article, nous relaterons les événements puis nous tenterons de cerner les conditions atmosphériques ayant permis à ces orages d'inonder le Pays d'Acoz.
Une grande partie des informations reprises ici est tirée d'un mémoire de fin d'étude (DESMEDTS I. : L'inondation de la Biesme à Gerpinnes et Acoz le 24 août 1987), consultable à la bibliothèque des Sciences de l'UCL à Louvain-la-Neuve. Ces informations ont été croisées avec celles tirées de nos propres recherches.
Déroulement des événements
A priori, ce qui ressort des données météorologiques du jour, c'est que rien n'a laissé pressentir que des orages aussi intenses allaient éclater le soir même. La journée du 24 n'a en effet rien d'estival.
Les données de la station météo de Florennes renseignent du brouillard à l'aube, puis un temps très nuageux et même des périodes de bruine et de pluie faible à partir de midi, jusqu'au début des orages entre 18h00 et 19h00, moment où de la pluie forte est renseignée. La température maximale, 18°C, est plutôt fraîche, même pour une fin août, mais doublée par une humidité qui avoisine les 90 %, donnant une certaine impression de lourdeur. Nous verrons que cette humidité a sans doute contribué au caractère diluvien des précipitations orageuses. Le vent, resté faible à modéré, a soufflé de l'est à nord-est avant les orages, puis a tourné au sud-est après ceux-ci. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Les relevés de Florennes indiquent environ deux heures de pluies intenses, doublées d'orages. Il en tombe 47 mm sur ce laps de temps. Au total, le relevé entre le 24 8h00 et le 25 8h00 s'élève à 54 mm. Une autre donnée nous permet de saisir toute la violence de l'épisode. Une station météo amateur située à Hanzinne, à deux kilomètres au sud de Gerpinnes, mesure une cote exceptionnelle de 114 mm de précipitations, dont 112 tombés en moins de deux heures. Or, Hanzinne est situé sur la Biesme, rivière qui prend sa source à Oret un peu plus au sud-est, et qui se jette dans la Sambre à Aiseau-Presles après avoir traversé Acoz et Gerpinnes. Son bassin versant reçoit donc des précipitions très importantes en deux heures.
Dans la région, d'autres cotes pluviométriques sont remarquables: 64 mm à Landelies, 56 mm à Merlemont, 37 mm à Gochenée, 34 mm à Marcinelle et 33 mm à Donstiennes. A l'échelle du pays, d'autres orages très pluvieux éclatent ailleurs: on relève 61 mm près de Gedinne et 44 mm du côté de Ypres.
La crue de la Biesme débute à 20h00 à Hanzinne, à 20h30 à Gerpinnes, à 21h30 à Acoz et à 23h00 à Bouffioulx. A Gerpinnes et Acoz, la décrue commence progressivement peu avant minuit. Ces décalages sont liés à deux phénomènes:
- Premièrement, le temps nécessaire aux sols pour atteindre leur complète saturation et donc accentuer le ruissellement. Malgré le fait que ces sols soient déjà bien gorgés avant l'orage, les premières grosses pluies ont pu être partiellement absorbées, la suite dégoulinant directement vers la Biesme.
- Deuxièmement, le temps nécessaire au ruissellement pour remplir le cours de la Biesme et à la progression de la crue au long de ce cours très sinueux.
Le débit est réellement impressionnant, transformant les rues des villages traversés en véritables torrents d'eaux furieuses de plus de deux mètres de hauteur par endroits. Lorsque ces eaux se retirent complètement tard dans la nuit, elles laissent derrière elles de gros dégâts, d'énormes quantités de boue que les citoyens, aidés des pompiers et de l'armée, mettront des jours à enlever, et malheureusement, trois victimes, surprises par la brusque montée des eaux.
Situation météorologique
De manière générale, l'été 1987 est particulièrement mauvais. Juillet a été frais, avec de fréquentes perturbations. Le 17 juillet, on a même observé un coup de vent hors saison et une pression particulièrement basse (991 hPa à Charleroi à 18h00 au passage d'un front froid orageux). Août n'est guère mieux, amenant des pluies de manière régulière et qui saturent les sols. Le 21, on note toutefois un bref coup de chaud (29°C à Charleroi), mais déjà le 23 les conditions se dégradent à nouveau avec la présence d'une goutte froide descendant de la Grande Bretagne vers la France. Entretemps, des orages ont éclaté dans l'après-midi du 22.
Le 24 à 14h00 (12h00 temps universel), les reconstitutions numériques montrent la présence de cette goutte froide sur la France (couleurs jaune-vert). Sur l'Europe de l'est, c'est au contraire un anticylone bien solide qui campe. Entre les deux, le gradient des couleurs permet de cerner l'existence d'un fort courant de sud-sud-ouest en altitude, ramenant de l'air chaud et humide depuis la Méditerranée en direction de l'Allemagne. On note aussi que la pression est particulièrement basse en surface, entre 1005 et 1010 hPa en Belgique. Il est intéressant de noter que sur le sud-est et l'est de la France se trouvent deux petits minimums dépressionnaires, sous 1005 hPa.
L'air chaud s'observe très bien sur la carte des températures à 850 hPa (1500 mètres), avec notamment la bouffée qui remonte vers l'Allemagne, tandis que les températures à cette altitude restent fraîches sur la France. Le gradient permet de deviner la présence d'un front particulièrement marqué entre les deux, qui à ce moment-là va grosso modo de la Provence aux Pays-Bas via l'Alsace.
Ce que ces cartes ne montrent pas (mais bien celles de 20h00), c'est que ce front se déstabilise sur l'est de la France et la Suisse, avec la présence d'une onde dépressionnaire. L'air chaud à l'est commence à pousser progressivement vers le nord-ouest, individualisant un front chaud et un front froid particulièrement marqués. Ce système remonte rapidement en direction de notre pays.
A 20h00 (18h00 temps universel), on remarque que la dépression s'est déplacée rapidement, se trouvant juste au sud de notre pays, à 1002 hPa. A son nord, elle continue de pousser l'air chaud allemand en altitude vers l'air froid de la goutte froide qui campe sur la France.
La carte ci-dessous présente les valeurs spatiales de la température pseudopotentielle. Sans rentrer dans les détails, il ne s'agit pas de la vraie température commune, mais d'une transformation mathématique qui permet de mieux isoler les différentes masses d'air. L'air polaire a des valeurs basses (bleu), tandis que l'air tropical a des valeurs plus hautes (orange). On note ainsi sur la Belgique un gradient très resseré entre de l'air tropical en orange et de l'air maritime assez frais en vert. Ce gradient matérialise une activité frontale particulièrement marquée en travers de notre pays, ici un front chaud.
Près du sol, le champ des vents répond bien au creusement dépressionnaire, avec un enroulement autour du centre, induisant un flux de basse couche de nord à est à travers la Belgique. On note toutefois que le flux ne s'enroule pas comme une spirale parfaite. Au niveau du cercle rouge, les flèches montrent un certain resserrement des vents en surface, avec la formation d'une convergence assez marquée sur la Wallonie. Or, ces vents qui convergent n'ont d'autre solution que de s'élever.
A noter que l'instabilité n'était pas particulièrement élevée. Les réanalyses numériques semblent montrer que la CAPE, représentative de celle-ci, ne dépassait pas 400-500 J/kg d'air sur l'Entre-Sambre-et-Meuse. Même si les valeurs peuvent avoir été plus hautes localement, elles restent bien loin de celles rencontrées lors des grandes dégradations orageuses estivales (1500-2000, voire plus). C'est donc pour l'essentiel la dynamique, comme nous venons de le voir, qui a forcé les orages.
En d'autres termes, à cette heure, des masses d'air très humides et assez chaudes à moyenne altitude sont en ascension au-dessus de la Wallonie, plus précisement sur l'Entre-Sambre-et-Meuse, formant d'énormes cumulonimbus qui précipitent à leur tour des pluies diluviennes sur la région de Gerpinnes. On notera qu'en altitude, le Jet-stream est orienté à l'opposé, en soufflant du sud au nord, avec en plus une petite divergence provoquant des appels d'air depuis les basses couches. Cette disposition a probablement permis aux orages de se régénérer et/ou de stationner plusieurs heures sur l'Entre-Sambre-et-Meuse.
Le schéma ci-dessous résume le tout:
En conclusion, c'est donc un phasage de phénomènes atmosphériques qui a débouché sur les orages diluviens dans la région de Gerpinnes il y a trente ans. Pour autant, ce type d'orages et ces situations se rencontrent assez régulièrement dans nos régions, mais les précipitations ont probablement été exacerbées dans ce cas-ci par la présence d'un air très humide. De même, les inondations résultent en partie de la saturation des sols à la suite d'un été particulièrement mauvais. Enfin, le fait que les orages se déclenchent au-dessus d'une région relativement peuplée aura rendu dévastateur un événement qui se produit pourtant assez régulièrement, mais la plupart du temps au-dessus de territoires moins peuplés et/ou ayant une plus grande capacité d'évacuation de ces pluies diluviennes.
Archives de l'époque
La chaîne de télévision régionale de la région de Charleroi, TéléSambre, a réalisé il y a peu un épisode dans le cadre de ses Archives, Quand les éléments se déchainent. La vidéo ci-dessous présente seulement la séquence sur les inondations de Gerpinnes, mais l'intégralité de l'épisode avec les autres événements peut être consulté à l'adresse suivante: http://www.telesambre.be/local-archives-local-archives-quand-les-elements-se-dechainent_d_13952.html
Les inondations à Acoz, village de Gerpinnes, au soir du 24 août 1987 (tiré de acoz.skynetblog).
De manière générale, l'été 1987 est particulièrement mauvais. Juillet a été frais, avec de fréquentes perturbations. Le 17 juillet, on a même observé un coup de vent hors saison et une pression particulièrement basse (991 hPa à Charleroi à 18h00 au passage d'un front froid orageux). Août n'est guère mieux, amenant des pluies de manière régulière et qui saturent les sols. Le 21, on note toutefois un bref coup de chaud (29°C à Charleroi), mais déjà le 23 les conditions se dégradent à nouveau avec la présence d'une goutte froide descendant de la Grande Bretagne vers la France. Entretemps, des orages ont éclaté dans l'après-midi du 22.
Le 24 à 14h00 (12h00 temps universel), les reconstitutions numériques montrent la présence de cette goutte froide sur la France (couleurs jaune-vert). Sur l'Europe de l'est, c'est au contraire un anticylone bien solide qui campe. Entre les deux, le gradient des couleurs permet de cerner l'existence d'un fort courant de sud-sud-ouest en altitude, ramenant de l'air chaud et humide depuis la Méditerranée en direction de l'Allemagne. On note aussi que la pression est particulièrement basse en surface, entre 1005 et 1010 hPa en Belgique. Il est intéressant de noter que sur le sud-est et l'est de la France se trouvent deux petits minimums dépressionnaires, sous 1005 hPa.
L'air chaud s'observe très bien sur la carte des températures à 850 hPa (1500 mètres), avec notamment la bouffée qui remonte vers l'Allemagne, tandis que les températures à cette altitude restent fraîches sur la France. Le gradient permet de deviner la présence d'un front particulièrement marqué entre les deux, qui à ce moment-là va grosso modo de la Provence aux Pays-Bas via l'Alsace.
Ce que ces cartes ne montrent pas (mais bien celles de 20h00), c'est que ce front se déstabilise sur l'est de la France et la Suisse, avec la présence d'une onde dépressionnaire. L'air chaud à l'est commence à pousser progressivement vers le nord-ouest, individualisant un front chaud et un front froid particulièrement marqués. Ce système remonte rapidement en direction de notre pays.
A 20h00 (18h00 temps universel), on remarque que la dépression s'est déplacée rapidement, se trouvant juste au sud de notre pays, à 1002 hPa. A son nord, elle continue de pousser l'air chaud allemand en altitude vers l'air froid de la goutte froide qui campe sur la France.
La carte ci-dessous présente les valeurs spatiales de la température pseudopotentielle. Sans rentrer dans les détails, il ne s'agit pas de la vraie température commune, mais d'une transformation mathématique qui permet de mieux isoler les différentes masses d'air. L'air polaire a des valeurs basses (bleu), tandis que l'air tropical a des valeurs plus hautes (orange). On note ainsi sur la Belgique un gradient très resseré entre de l'air tropical en orange et de l'air maritime assez frais en vert. Ce gradient matérialise une activité frontale particulièrement marquée en travers de notre pays, ici un front chaud.
Près du sol, le champ des vents répond bien au creusement dépressionnaire, avec un enroulement autour du centre, induisant un flux de basse couche de nord à est à travers la Belgique. On note toutefois que le flux ne s'enroule pas comme une spirale parfaite. Au niveau du cercle rouge, les flèches montrent un certain resserrement des vents en surface, avec la formation d'une convergence assez marquée sur la Wallonie. Or, ces vents qui convergent n'ont d'autre solution que de s'élever.
A noter que l'instabilité n'était pas particulièrement élevée. Les réanalyses numériques semblent montrer que la CAPE, représentative de celle-ci, ne dépassait pas 400-500 J/kg d'air sur l'Entre-Sambre-et-Meuse. Même si les valeurs peuvent avoir été plus hautes localement, elles restent bien loin de celles rencontrées lors des grandes dégradations orageuses estivales (1500-2000, voire plus). C'est donc pour l'essentiel la dynamique, comme nous venons de le voir, qui a forcé les orages.
En d'autres termes, à cette heure, des masses d'air très humides et assez chaudes à moyenne altitude sont en ascension au-dessus de la Wallonie, plus précisement sur l'Entre-Sambre-et-Meuse, formant d'énormes cumulonimbus qui précipitent à leur tour des pluies diluviennes sur la région de Gerpinnes. On notera qu'en altitude, le Jet-stream est orienté à l'opposé, en soufflant du sud au nord, avec en plus une petite divergence provoquant des appels d'air depuis les basses couches. Cette disposition a probablement permis aux orages de se régénérer et/ou de stationner plusieurs heures sur l'Entre-Sambre-et-Meuse.
Le schéma ci-dessous résume le tout:
En conclusion, c'est donc un phasage de phénomènes atmosphériques qui a débouché sur les orages diluviens dans la région de Gerpinnes il y a trente ans. Pour autant, ce type d'orages et ces situations se rencontrent assez régulièrement dans nos régions, mais les précipitations ont probablement été exacerbées dans ce cas-ci par la présence d'un air très humide. De même, les inondations résultent en partie de la saturation des sols à la suite d'un été particulièrement mauvais. Enfin, le fait que les orages se déclenchent au-dessus d'une région relativement peuplée aura rendu dévastateur un événement qui se produit pourtant assez régulièrement, mais la plupart du temps au-dessus de territoires moins peuplés et/ou ayant une plus grande capacité d'évacuation de ces pluies diluviennes.
Archives de l'époque
La chaîne de télévision régionale de la région de Charleroi, TéléSambre, a réalisé il y a peu un épisode dans le cadre de ses Archives, Quand les éléments se déchainent. La vidéo ci-dessous présente seulement la séquence sur les inondations de Gerpinnes, mais l'intégralité de l'épisode avec les autres événements peut être consulté à l'adresse suivante: http://www.telesambre.be/local-archives-local-archives-quand-les-elements-se-dechainent_d_13952.html
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