lundi 2 mai 2016

Anthologie de la désinformation météorologique : la fiabilité des prévisions

Introduction

Le temps faisant partie de notre quotidien pour sa prise en compte dans l'organisation et le déroulement de notre travail, de nos activités, et de nos vacances, il est très largement consulté sur différents canaux, depuis les simples radios et télévisions jusqu'aux moyens les plus modernes, comme les réseaux sociaux et les nouveaux appareils de haute technologie. De plus, les changements climatiques et les phénomènes qui y sont largement liés contribuent à un intérêt chaque année plus massif pour la météorologie et les spécialités qui tournent autour. Dès lors, lorsque les prévisions entendues sur tous ces canaux ne se sont pas réalisées ou les phénomènes extrêmes ne sont pas prévus, la population a une fâcheuse tendance à dénigrer tout le travail des météorologistes. Ces comportements négatifs à répétition, largement motivés par une certaine frustration, de l'incompréhension, de l'ignorance, mais aussi amplifiés par une désinformation chronique de la part des médias généralistes nous amènent à aborder ce deuxième volet sur la désinformation météorologique.



Ici même, et comme toujours, l'objectivité sera de rigueur. Ainsi, nous ne nierons pas forcément les erreurs commises dans les prévisions établies par les différents supercalculateurs et divers centres de prévisions européens et mondiaux. Par contre, il nous paraît important de remettre encore une fois l'église au milieu du village, et donc de dénoncer les déformations des médias généralistes, ce qui provoque parfois de grosses différences entre les prévisions de base des centres de prévisions et l'information qui arrive à la population, et donc aussi des différences notables entre la prévision et la réalité, source de la frustration de la population.

Pour étudier ces désinformations, mais aussi pour expliquer les difficultés des prévisionnistes, nous nous pencherons donc sur plusieurs cas très concrets et réels de prévisions, portant essentiellement sur les différentes échéances, à savoir le (très) court terme, le moyen et long terme, et les tendances saisonnières.


Cas 1 : Fin avril 2016

Après un hiver 2015-2016 qui s'est classé au deuxième rang des hivers les plus doux, avec notamment un mois de décembre au niveau d'un mois d'avril normal (Tm décembre 2015 : 9.6°/Tm avril normal : 9.8°), le printemps 2016 ne s'est pas spécialement caractérisé par une douceur aussi extrême que son prédécesseur. Mars 2016 a vu sa température moyenne mensuelle se limiter à une valeur de 5.3°, soit 1.5 en-dessous des normales climatologiques 1981-2010. Avril 2016, quant à lui, n'a pas véritablement connu de périodes particulièrement douces, si ce n'est au tournant de la dernière décade avec temporairement des valeurs de 20°. C'est donc dans ce contexte de fraîcheur assez généralisée et récurrente que se déroule une offensive venant du Pôle assez marquée. Celle-ci étant assez tardive et symbolisant un printemps peu engageant, elle a provoqué quelques articles manquant de rigueur. L'élément central de cette offensive est qu'elle nous permet d'étudier la fiabilité des prévisions aussi bien dans les tendances saisonnières que le moyen et long terme (7-10 jours).

1. Les tendances saisonnières
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Dans sa page sur les tendances saisonnières, Frédéric Decker écrit ceci : "Les prévisions saisonnières peuvent prêter à sourire, et sembler du même ordre que les dictons d'autrefois. C'est pourtant sur ces prévisions que les plus grands organismes météorologiques du monde planchent constamment pour acquérir la plus grande fiabilité possible. Des organismes aussi respectables que NOAA aux Etats-Unis ou Météo France chez nous travaillent en effet sur ces prévisions d'ensemble sur les mois à venir. De telles prévisions peuvent aider par exemple le monde agricole à se préparer à des déficits pluviométriques ou au contraire à de fortes précipitations plusieurs semaines à l'avance". Pourtant, l'hiver très doux que nous avons connu avec une fin un peu plus fraîche avait été correctement prévu par les modèles saisonniers. De notre côté, dans notre équipe, nous avions suivi l'évolution de l'Arctique, avec son record minimal de banquise, ses records, notamment à Spitzberg, avec le plus grand intérêt. Sous les coups de boutoir d'une douceur insolente, l'Arctique et son vortex stratosphérique ont commencé à être perturbés à la fin du mois de janvier, et ont vu un lobe de douceur venir déplacer le froid des hautes sphères :


Rappelons que le principe du vortex stratosphérique est le suivant : un vortex très froid (en couleur bleue), concentrique et concentré au-dessus du Pôle, en contraste avec les températures plus "douces" dans les Tropiques, provoque de très puissants vents et courants d'Ouest dans la stratosphère qui se répercutent à nos niveaux avec un puissant courant Jet véhiculant dépressions et douceur sur le continent européen. A contrario, un vortex déplacé voire même divisé en plusieurs parties bouscule ce dynamisme d'Ouest jusqu'à parfois inverser les courants avec des vents de Nord ou d'Est en provenance du Pôle ou de la Russie et qui déferlent sur l'Europe Occidentale. C'est la situation de l'hiver 2012-2013. Dans le cas du mois de février 2016, un "simple" déplacement du vortex provoque une fin de mois fraîche alors qu'une division aurait pu provoquer de véritables offensives hivernales. Cependant, étant donné que cette évolution vers un vortex moins solide se mettait de plus en plus en place avec un réchauffement stratosphérique final précoce, notre équipe délivra finalement une analyse sur la page Facebook avec une version You Tube :


Au regard des statistiques de mars et d'avril, il est notable de remarquer que cette analyse s'est bel et bien révélée correcte.

2. Les prévisions à moyen et long terme.

Dans la continuité des tendances générales saisonnières et à long terme, il est important de démontrer que cette offensive fraîche/froide avait été particulièrement bien entrevue jusqu'à (très) long terme. Ainsi, aussi bien le modèle européen ECMWF/CEPMMT/IFS que les cartes ensemblistes du modèle GEFS et son diagramme avaient nettement prévu une chute des températures pour la dernière décade d'avril, et ce dès le 15 avril :




Les 2 cartes de ECMWF et GEFS sont particulièrement remarquables car elles indiquent de grandes similitudes dans la distribution des différents centres d'actions : 1) Un complexe dépressionnaire s'étirant depuis les Açores jusque Terre-Neuve 2) Une puissante haute pression avec des racines à l'Est des Açores et propulsée vers les très hautes latitudes (Nord du Groenland) 3) Un deuxième complexe dépressionnaire depuis Spitzberg et la Nouvelle-Zemble jusqu'aux latitudes des grandes chaînes de montagnes européennes (Alpes, ...) avec un centre plus ou moins constitué de la Mer du Nord vers la Mer Baltique. L'enfoncement de cette dépression depuis les régions arctiques fait suite à la scission des hautes pressions, dont le premier centre devait provoquer 2-3 jours de temps doux sur l'Europe Occidentale par flux de Sud avant de voir une rupture dans la barrière anticylonique et la haute pression arctico-atlantique en pleine gestation et développement, induisant ce puissant flux de Nord. Le diagramme de GFS avec les 20 perturbations de modèles, c'est-à-dire les 20 scénarios, montrent très bien ce yo-yo faisant passer le mercure (ligne blanche moyenne des scénarios) nettement au-dessus des normales (ligne rouge), avant de le voir plonger nettement en-dessous. On remarquera aussi la partie inférieure indiquant les précipitations, présentes au moment où la température baisse, symbole de l'instabilité naissante et liée à la présence d'air arctique très instable.

L'élaboration de prévisions à long terme, de 7 à 10 jours, n'est pas une mince affaire. Elle demande une comparaison entre plusieurs modèles, dont les principaux ECMWF et GFS. Elle demande d'approfondir l'analyse avec les cartes de leur ensembliste respectif (50 scénarios pour le modèle européen, 20 pour son compère états-unien), d'analyser le mouvement du courant Jet, des anomalies de pression d'altitude, permettant de mieux discerner l'évolution des grandes masses et des centres d'actions. Elle demande aussi une comparaison entre les différents "runs", c'est-à-dire entre les calculs, principalement ceux de 00Z (vers 6h du matin) et 12Z (vers 6h du soir), et ce sur plusieurs jours. S'il existe une cohérence entre les 2 modèles, entre leur ensembliste, sur plusieurs runs, que les centres d'actions sont clairement établis avec une analyse du courant Jet nette, une tendance à long terme peut se dégager. Dans le cas qui nous préoccupe, les similitudes entre les 2 modèles sur plusieurs jours étaient frappantes. De plus, la marge d'erreur du diagramme ensembliste de GFS paraissait ténue, y compris jusqu'à long terme. Bien évidemment, quelques différences existaient, principalement dans les détails, mais la distribution des centres d'action et la position des masses d'air étaient plus que nettes. Dès lors, le 15 avril 2016, notre équipe ne pouvait pas ne pas attirer ses lecteurs sur ce scénario froid dont le degré de probabilité était particulièrement élevé pour une échéance de 10 jours :


"Neige sur les sommets". Le mot était lâché. Bien évidemment, la neige n'est pas si rare que cela sur les sommets du Signal de Botrange et du Mont-Rigi, y compris pour la fin avril. Les différentes valeurs modélisées par ECMWF et GFS envisageaient des températures de -5 à -7° au niveau 850Hpa. Pouvant rajouter à ces valeurs 12 à 14° pour les régions de plaine et soustrayant les habituels 5-6° pour les Hautes Fagnes, des températures maximales de 2-3° pour ces régions devaient être un maximum, les nuits pouvant passer en-dessous de 0°.Le 17 avril, la tendance hebdomadaire publiée sur notre page Facebook poursuivait dans cette voie-là. Il faut dire que les modélisations n'avaient absolument pas changé d'un iota. Pire, la prévision précise pour la journée de dimanche stipulait ceci : "Après un début de matinée pourtant prometteur, les nuages se multiplieront rapidement et les averses seront de plus en plus nombreuses et intenses. Sous les plus fortes, des orages, de la neige fondante et de la grêle seront à redouter dans une atmosphère nettement rafraichie. Ces derniers pourront mener à une légère accumulation temporaire par endroits. Tmin: 0 à 5°c Tmax: 5 à 9°". Ainsi donc, de la neige semblait probable à J+7, et ce pour le dimanche de Liège-Bastogne-Liège. Le mardi suivant, le 19 avril, à une échéance de J+5, notre équipe twittait la probabilité au service des sports de la RTBF. La zone en hachures indique des précipitations de neige (fondante).
La deuxième et la troisième image sont des captures d'écran de la course à environ 15h et au sommet de la Côte de la Redoute, montrant les conditions épouvantables. Le trajet a dû d'ailleurs être modifié entre les kilomètres 45 et 75 à cause des précipitations hivernales.




Le 18 avril, soit le jour avant ce tweet, nous avions encore tapé sur le clou de cette situation dont les valeurs en altitude commençaient à titiller les records. En effet, la carte suivante est une modélisation du supercalculateur européen ECMWF pour l'échéance de J+7, soit le 25 avril. Y sont présents les isobares (de la pression au sol) en lignes noires, les isohypses du niveau 500Hpa en lignes blanches, et la température au niveau 500Hpa sous forme de plages de couleurs avec des traits discontinus tous les 5°. Cette carte avait pour but de faire le parallèle entre les 3 paramètres, et surtout de montrer l'anormalité de la situation. Ainsi, au sol, la haute pression pointait à plus de 1025Hpa depuis le centre de l'Atlantique jusqu'au Groenland, mais était soutenue par un isohypse de 570dam (décamètres) au Sud de l'inlandsis et une température de -20° (douce à cette altitude et cette latitude pour la saison) à ce même niveau. Sur son flanc Est coule de l'air très froid, en plage grise, avec des valeurs inférieures à -35° au niveau 500Hpa, soit à une altitude de 530dam (5300m). Ces valeurs nous servaient à montrer que cet air très froid d'altitude allait générer une forte instabilité car c'est le contraste thermique entre les basses couches et les hautes couches qui la provoque et donc les intenses et fréquentes averses.



Cette carte déclencha une certaine incrédulité parmi nos lecteurs. Et pourtant ... Au vu de nos premiers avertissements, cette situation paraissait déjà bien établie. Il est d'ailleurs curieux de constater que malgré le haut degré de fiabilité, la presse n'avait pas encore réagi, alors que pour d'autres prévisions nettement plus risquées, les articles exagérés fusent. "Heureusement", elle allait se rattraper. Et pour une fois, ce n'est pas le plus sensationnaliste qui lança la nouvelle. En effet, le journal "Le Soir" relaya une publication du "site spécialisé" néérlandophone Noodweer Benelux :


Noodweer Benelux estime qu'une masse d'air issue du Pôle Nord va nous envahir avec des averses hivernales ou de neige en Ardennes, et de la neige fondante peut-être aussi ailleurs dans un deuxième temps. Plusieurs commentaires peuvent être faits concernant cet article. D'abord, sous le titre "De la neige en Belgique la semaine prochaine", on retrouve une tentation généralisante de la presse concernant les intempéries hivernales. Il arrive trop régulièrement que de la neige en Ardennes est vue comme "de la neige dans toute la Belgique" alors que nous savons pertinemment bien qu'il existe une différence d'environ 5° entre les reliefs de l'Est et la plaine, parfois plus. Ces derniers hivers ont régulièrement pu enregistrer une couche de parfois plusieurs dizaines de centimètres au-delà de 500m alors que la plaine et même une altitude de 250m n'enregistraient aucune neige, ou tout au plus quelques traces qui ne représentaient aucun danger pour la circulation. Qui plus est, même si la vision symbolique du flocon de neige fin avril peut surprendre (cela ne devrait pas), il est évident que les conséquences seront surtout concrètes s'il y a accumulation. Or, il apparaîtra que cette neige annoncée n'aura accumulé qu'à une altitude généralement supérieure à 500m et que le reste des précipitations hivernales étaient très fondantes en-dessous du même niveau. Enfin, la carte publiée par Noodweer Benelux et affichée dans le site du "Soir" n'est accompagnée d'aucune explication pédagogique alors que celle-ci peut être trompeuse. En effet, le lecteur lambda, généralement peu accoutumé à ces documents techniques, se limitera à constater qu'un isotherme à 0° s'enfonce sur l'Europe Occidentale jusqu'à la latitude de Bordeaux. Rien ne sera ajouté par rapport au paramètre de cette carte qui est la température au niveau 850Hpa, soit environ 1500m (altitude variable en fonction des situations). Le lecteur lambda pourra donc s'en trouver particulièrement surpris par ces valeurs modélisées pour l'après-midi, et penser qu'une véritable offensive totalement hivernale avec gel permanent et généralisé combiné à d'importantes chutes de neige envahira l'Europe Occidentale fin avril. Il est malheureusement déjà arrivé que Sud Presse titre : "Des vents de 350 km/h sur la Belgique" alors que la carte parlait de la vitesse du courant Jet, à une altitude de 10000m, à l'origine d'un creusement dépressionnaire dont les vents au sol atteignaient "seulement" les 100 km/h. Tout est bon pour vendre ...

Bien évidemment, suite à cet article, vite relayé par d'autres journaux (comme quoi la concurrence fait dire n'importe quoi, et surtout empêche tout esprit critique !), les premiers commentaires fusèrent sur l'impossibilité "de faire des prévisions à 5 jours alors qu'on ne sait même pas le faire à 1 jour !" Au final, nous constaterons qu'au contraire de cet "argument", cet offensive "semi-hivernale" aura été très bien appréhendée par les modèles à long terme. Prenons par exemple les 2 modélisations à 168h des modèles GFS et CEP et comparons-les avec celle à 6h (donc pratiquement équivalente à la situation réelle) pour la journée du 25 avril :




Les hautes pressions étaient bel et bien installées sur l'Atlantique Nord, avec des racines sur l'Afrique du Nord, et une large zone dépressionnaire d'altitude et de sol étaient opérationnelles depuis l'Arctique vers l'Europe Occidentale. Des détails comme un centre dépressionnaire sur la région du Danemark et de la Mer du Nord ont même été correctement modélisés alors qu'une telle masse d'air aussi froide et aussi rare n'est certainement pas facile à prévoir. C'est probablement là une des plus belles performances des supercalculateurs d'avoir pu discerner une descente dépressionnaire depuis la Mer de Norvège vers l'Europe Occidentale, et ce à 7 jours d'échéance. En effet, les petites dépressions remplies d'une telle bulle d'air froid d'altitude ne sont pas faciles à modéliser à ce terme-là. Concrètement, il était aussi apparu que les températures maximales devaient nettement stagner en-dessous des 10°, aux alentours des 7° dans le centre du pays, ce qui se réalisa. Nous pouvons donc estimer que, tant dans les grandes lignes que dans les détails, les modèles de prévision numérique ont réalisé un excellent travail pour un épisode qui allait se révéler remarquable, et donc moins facilement prévisible.

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