Dans son oeuvre, « le temps, stratège des
batailles », Jules Metz, alias Monsieur Météo, analyse les
différentes batailles qui ont façonné notre Histoire en décrivant
les conditions météorologiques qui y régnaient, montrant ainsi
leur importance dans le déroulement du conflit. En ce 6 juin 2014,
70 ans après l'opération « Overlord », il nous a paru
opportun de revenir sur les conditions météorologiques qui ont
permis le Débarquement de Normandie, car elles constituent
l'exemple-type de bataille fortement influencée par le temps. Nous
ferons cela grâce à l'ouvrage susmentionné, mais aussi grâce à
quelques statistiques, cartes, et autres documents d'époque. Cet
article est donc un hommage à Jules Metz, mais aussi à tous les
météorologistes qui ont réussi l'impossible en ces jours décisifs
de 1944, et enfin à tous les héros de ce conflit qui nous permirent
de sortir de l'obscurité nazie.
Reconquête
1944 est l'année définitive du reflux des forces
fascistes et nazies. Déjà en 1943, Erwin Rommel est forcé de
quitter l'Afrique et, dès l'été, les forces alliées débarquent
en Sicile puis en Italie continentale. En URSS, la Wehrmacht a jeté
toutes ces dernières forces d'élite dans la bataille de Koursk,
mais fut laminée par l'Armée Rouge. Dès lors, l'étau se resserre
autour de l'Allemagne. Il manque cependant l'ouverture d'un nouveau
front, celui de l'Ouest. En effet, depuis la conquête de la France,
de la Belgique, des Pays-Bas, du Danemark, et de la Norvège par les
troupes nazies, c'est tout le Mur de l'Atlantique qui s'est constitué
pour barrer la route aux velléités alliées de reconquête de la
forteresse allemande. Néanmoins, dès les premiers mois de
l'Occupation, le Premier Ministre anglais Winston Churchill estimait
qu'une opération amphibie de débarquement sur les côtes françaises
était nécessaire pour reconquérir cette forteresse. Le problème
est que cette entreprise demande des conditions météorologiques
précises et favorables.
Guerre
scientifique
Pour cette raison, les forces alliés, essentiellement
anglaises et états-uniennes firent appel aux météorologistes les
plus experts afin de déterminer une fenêtre de conditions
favorables pour un débarquement sur les côtes du Nord-Ouest de la
France. Pour tenter de mieux connaître et comprendre les conditions
météorologiques au-dessus de La Manche, plusieurs rapports seront
émis durant la guerre : automne 1942, mai 1943, juillet à
décembre 1943 plus spécifiquement sur les conditions sur les côtes
françaises, et à partir de mars 1944, une analyse des conditions
sur les côtes normandes. Comme on peut le voir, l'idée d'un
débarquement était déjà donc suffisamment prise au sérieux pour
analyser les conditions 2 ans avant les faits. A partir de la
mi-avril 1944, les conditions météorologiques sont analysées 3
fois par jour en présence du Commandant en chef des forces alliés,
le Général Dwight "Ike" Eisenhower.
Côté allemand, l'expertise des scientifiques de la
Wehrmacht n'est plus à démontrer. De plus, occupant un territoire
particulièrement vaste, recevant des données de pays neutres, et
patrouillant dans l'Atlantique, notamment avec les sous-marins, ils
reçoivent quantité de données leur permettant d'élaborer des
prévisions d'une grande fiabilité pour l'époque. Pour cette
raison, les forces armées les consultent pour chaque bataille et ont
été impressionnées par leurs résultats. C'est donc un véritable
combat non seulement physique, mais aussi scientifique qui s'engage
sur les côtes atlantiques françaises.
Exigences
irréalistes
A son arrivée au Commandement Allié, Eisenhower fixe
des conditions drastiques aux météorologistes : absence de
nuages bas et de brouillard pour l'aviation, vent de Force 3 Beaufort
maximum et visibilité de plus de 5 kilomètres pour la marine,
rafales inférieures à 50 km/h et pas plus de 60% de couverture
nuageuse pour les parachutistes. A cela, il faut ajouter une pleine
lune pour le largage des parachutistes, une marée à mi-hauteur pour
le débarquement sur les plages. Enfin, étant donné que l'Armada se
situe en différents points de l'Angleterre et que le débarquement
doit se poursuivre 4 jours après l'attaque initiale, les militaires
demandent une période de beau temps de 10 jours de la Normandie à
la Hollande. Cet objectif étant déjà presque impossible à
réaliser aujourd'hui, en 1944, tous les scientifiques s'accordent
pour signaler à « Ike » que ses exigences ne peuvent
être satisfaites.
Une fin mai tropicale
L'histoire météorologique de ces jours héroïques
montre à quel point les experts anglo-saxons ont réussi une
pirouette rare, permettant aux armées alliées de bénéficier d'un
temps acceptable tout en profitant d'un effet de surprise cher aux
stratèges. Tout commence en mai quand la deuxième quinzaine se
révèle être une succession de journées ensoleillées. Stressée
par ce temps particulièrement favorable pour un débarquement, la
Wehrmacht met en état d'alerte toutes ses unités massées sur le
Mur de l'Atlantique. Pendant des jours et des jours, Erwin Rommel
prie pour que le temps revienne à la pluie. Le 30 mai est le point
d'orgue de ce temps magnifique :
A Uccle, la température maximale atteint 32,7°, valeur
particulièrement remarquable pour l'époque. Un vent de Sud à
Sud-Est amène de l'air tropical sur toute l'Europe Occidentale. Bien
que très chaud, c'est un temps idéal pour un débarquement. Le
problème, c'est que les Alliés ne sont pas prêts ... et qu'il est
prévu que le temps se dégrade les jours suivants, avec l'apparition
de dépressions entraînant le retour d'une nébulosité très
présente et d'un vent marin plus que prohibitifs pour des opérations
amphibies et aéroportées. Pourtant, le 5 juin semble être la
journée idéale pour le largage des parachutistes et le
débarquement : la lune sera pleine et la marée sera à
mi-hauteur. Dès lors, les météorologistes redoublent d'effort pour
trouver une fenêtre favorable.
Suspense
hitchcockien
Le vendredi 2 juin 1944, J. Stagg, conseiller
météorologiste annonce l'arrivée de profondes dépressions sur
l'Atlantique, et estime que les journées du 6-7 juin seront marquées
par l'arrivée d'un front froid avec de très mauvaises conditions.
La journée du 5 juin semble donc être la bonne pour le débarquement
avant une dégradation du temps. Décision est prise d'envoyer les
navires se trouvant en Ecosse et en Irlande vers La Manche le 2 juin.
Le 4 juin, Stagg prévient les forces armées que le front froid se
déplace plus vite que prévu et empêcherait tout débarquement le 5
juin. Les navires venant d'Ecosse et d'Irlande sont enjointes de
s'arrêter. Le débarquement est postposé de 24h.
Le 5 juin, dans la matinée, le front froid passe
effectivement avec son cortège de houle et de très mauvaise
visibilité. Un dernier point météo fixe des conditions favorables
le 6 juin et la nuit suivante à l'arrière du front froid :
bonne visibilité, couverture nuageuse à 5/10, vent de Force 3 sur
les plages. Dwight Eisenhower consulte Bernard Montgomery, le
général anglais vainqueur d'El-Alamein, et décide, au bout de ce
suspense hitchcockien, de relancer les opérations pour débarquer le
6 juin au petit matin. Il s'écrie alors « Notre sort est entre
les mains des météorologistes », 1993 ans après le « Alea
Jacta Est » de Jules César.
«Moment
météorologique»
Le reste est connu. Les conditions météorologiques
favoriseront le débarquement et la maîtrise aérienne jusqu'au 8
juin, ce qui donnera plus de temps qu'il n'en faut aux forces alliées
pour mettre le pied dans le bocage normand durant «ce jour le plus
long ». Seule une résistance acharnée dans un secteur des
plages, celui d'Omaha Beach, perturbera un moment la mise en place de
la tête de pont. Malgré cela, l'opération est un succès. Cela est
en grande partie dû à la prévision du « moment
météorologique » par les services anglais :
Il s'agit de la plus banale des situations
météorologiques : une crête anticyclonique mobile
s'établissant sur les côtes atlantiques après le passage du front
froid. Y règne une certaine stabilité dans une hausse de pression,
une bonne visibilité dans un air polaire maritime, un petit vent de
Nord-Ouest nettoyant les plages, permettant à l'aviation alliée de
maîtriser les airs mais accumulant les nuages dans les terres,
rendant difficile le décollage de la LuftWaffe.
Au final, les météorologistes anglais ont réussi à
prévoir ces quelques heures de « beau temps » au milieu
d'un défilé de perturbations rendant a priori impossible un
débarquement de 5000 bâteaux. Ils donnent aux militaires alliés un effet
de surprise total car la Wehrmacht n'aurait jamais pu imaginer qu'on
débarque au milieu de cette vague de mauvais temps. En ce 6 juin
1944, où Uccle enregistre une température maximale de 14,4°, soit
18° de moins que 7 jours auparavant, la plupart des forces nazies en
état d'alerte ont été démobilisées, éreintées par des semaines
de surveillance. Erwin Rommel fête l'anniversaire de sa femme et le
reste de la hiérarchie du « Mur de l'Atlantique » se
situe à Rennes, voire même à Berlin.
Dès lors, grâce à cet effet de surprise, les Allemands auront du mal à réagir, parfois même incrédules face aux événements. Aucun avion, aucun radar, aucun bâteau ne détecta la flotte de débarquement. Seule une oreille d'une sentinelle postée sur une plage entendit l'ancre d'un navire mouillant dans la baie. En haut, dans les dunes fortifiées, c'est aussi l'incrédulité, puis un effroi mêlé d'admiration :
Dès lors, grâce à cet effet de surprise, les Allemands auront du mal à réagir, parfois même incrédules face aux événements. Aucun avion, aucun radar, aucun bâteau ne détecta la flotte de débarquement. Seule une oreille d'une sentinelle postée sur une plage entendit l'ancre d'un navire mouillant dans la baie. En haut, dans les dunes fortifiées, c'est aussi l'incrédulité, puis un effroi mêlé d'admiration :
La bataille de Normandie peut commencer. Elle débouchera 2 mois et demie plus tard sur la Libération de Paris, et un an après sur la fin de la guerre. Une guerre durant laquelle la météorologie acquit ses lettres de noblesse et participa à notre libération !
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