Récemment, Jean-Yves Frique du
collectif Belgorage écrivait que "la prévision convective est,
avec la prévision neigeuse, la plus difficile en météorologie".
Cette remarque est à l'évidence d'une grande pertinence et nous
abondons dans ce sens. Cela est d'autant plus judicieux de le
rappeler que, pour beaucoup de personnes, les orages sont associés à
la chaleur et à l'humidité, et qu'il est donc "naturel"
d'avoir des orages quand il fait trop chaud. Les passionnés d'orages
savent combien les choses sont hautement plus compliquées. A ce
titre, l'auteur de cet article, effrayé par les orages durant son
enfance, les attendant comme une délivrance de la chaleur quelques
années plus tard, et maintenant passionné depuis 2 ans par ces
machines de thermodynamique, les découvre encore un peu comme un
novice, en tout cas par rapport à certaines sommités kérauniques.
C'est donc avec ces yeux de
néo-passionné que j'aimerais vous faire partager quelques
réflexions autour de la difficulté de la prévisions d'orages. En
effet, je découvre encore tous les jours la complexité de la
formation des orages, un peu comme notre public parfois plus que
novice qui ne comprend pas pourquoi un orage n'a pas éclaté dans
son patelin. Il arrive effectivement parfois qu'une prévision
d'orages ne se révèle pas correcte, que ce soit dans son timing, sa
localisation, ou son niveau de sévérité. Il y a bien évidemment
mille raisons à ce manque de prévisibilité, et cela demanderait de
longues recherches et des explications probablement fort techniques.
Il n'empêche : le public se sent parfois frustré de voir que les
prévisions ne se sont pas réalisées "comme prévu" et
les discours anti-scientifiques pleuvent. Cet article aimerait donc
vous expliquer la difficulté de prévoir les orages à partir de 3
cas théoriques mais bien réels : l'inversion de température, la
brise de mer, et l'instabilité.
L'inversion de température
Nous avons déjà parlé de
l'inversion de température dans cet
article. Il faut néanmoins revenir et insister sur
certains points. Etant donné que l'inversion de température est une
couche d'air plus chaude que celle qui se trouve en-dessous et
qu'elle bloque donc la convection comme un couvercle, comment fait-on
pour la vaincre et permettre ainsi le développement de nuages
convectifs ? On pourrait évidemment espérer un échauffement de la
couche inférieure qui rétablirait un profil vertical classique et
donc favorable à la convection, mais cela est trop rarement le cas.
Reste alors un forçage suffisamment puissant pour percer cette
couche d'inversion. Et c'est là qu'intervient la difficulté de la
prévision kéraunique.
Il est en effet important d'établir
quel est le degré de coriacité de la couche d'inversion, en
d'autres termes son épaisseur, mais aussi de combien de degrés la
température remonte dans cette couche. Le problème est donc le
suivant : qu'est-ce qui nous permet de savoir qu'une couche de 100m
avec une inversion de 1° pourrait être percée alors qu'une autre
de 150m avec une inversion de 1.5° ne pourrait pas l'être ? Dans
les discussions rédigées par les spécialistes analystes des
couches et masses d’air, il arrive régulièrement que le doute
subsiste sur les possibilités de perçage. Entrent en ligne des
facteurs non pas de méso-échelle, mais de micro-échelle tels le
relief très local ou d’autres. Ainsi, comment pouvoir déterminer
qu’une colline de X mètres avec une pente de Y % permettrait
d’induire une dynamique de forçage qui percerait alors l’inversion
de température ?
C’est probablement à ce moment-là
qu’on arrive aux limites de nos capacités techniques et
intellectuelles. En effet, les modèles numériques de prévisions,
même ceux à maille fine, n’offrent des résolutions que de
plusieurs kilomètres et certaines particularités du relief ou d’une
manière générale de la topographie ne sont pas ou peu prises en
compte par ces modélisations. Elaborer des machines avec encore une
résolution plus fine impliquerait non seulement d’intégrer des
éléments géographiques d’une infinie précision, mais aussi de
mettre en équation ces composants, avec toute la complexité que
cela suppose. Evidemment, on peut espérer que le progrès
technologique et humain nous permettra dans le futur (proche ou
lointain) une meilleure gestion de cette complexité, mais cela
demandera encore du temps, de l’argent, et d’autres ressources.
La brise de mer
Rappelons que la brise de mer est ce
phénomène essentiellement estival où le vent marin se lève à
cause de la différence de température entre la terre plus chaude et
la mer plus froide. Elle se forme donc dans certaines conditions de
gradient thermique mais aussi lorsque le vent continental de Sud à
Est est insuffisant pour empêcher la levée de ce vent particulier.
L’importance de cette brise pour la formation des orages est
qu’elle forme un véritable pseudo front froid le long duquel les
vents convergent pour forcer l’ascension de la masse d’air et la
convection. Il est donc important de bien évaluer la présence (ou
non) de cette brise marine et de l’intégrer dans un contexte
orageux avec les autres paramètres tels que l’énergie potentielle
ou la dynamique d’altitude.
Le problème de la brise marine est
qu’elle réagit là aussi à une situation précise et complexe. En
effet, si c’est le gradient thermique qui la provoque, comment
peut-on évaluer qu’un gradient thermique de 5° la provoquera et
qu’un autre de 4° ne la provoquera pas ? Dans la majorité
des cas, les modélisations numériques appréhendent cela assez bien
et cela est répercuté dans les bulletins généralistes, mais il
existe encore des exceptions qui peuvent perturber les prévisions et
en surprendre plus d’un. Malheureusement, intervient aussi l’autre
facteur déterminant, à savoir l’orientation du vent continental
qui affrontera donc la brise marine. Pour que ce front soit efficace
au niveau des convergences et des forçages, il faut que l’angle
créé par les vents continentaux et marins soit le plus proche
possible des 180°, ce qui permettra un affrontement maximal. Dès
lors, vu l’orientation de la côte belge et la brise marine de
Nord-Ouest, c’est un vent continental de Sud-Est qui sera le plus à
même de générer un forçage efficace. A contrario, un vent plus
orienté au Sud ou à l’Est créera un angle d’affrontement qui
s’écartera des 180° avec à la clef des forçages moins
importants.
Toute la difficulté de la
modélisation et de la prévision réside donc dans la mécanique de
précision de l’orientation des vents. Un écart de 10° peut être
suffisant pour perturber la convergence et les forçages. Comme pour
l’inversion de température, certains détails topographiques,
synoptiques ou thermiques provoqueront un changement dans
l’orientation des vents susceptible ou non de déclencher la
convection. Ces paramètres sont encore difficiles à appréhender
par les supercalculateurs car ils sont inférieures à leur
résolution. Ils échappent donc à la prévision convective dont la
résolution est plus de micro-échelle que de méso-échelle. Il
reviendra donc au prévisionniste d’affiner cela via l’observation
visuelle, satellite, radar, et par l’expérience.
L’instabilité
Un troisième cas n’est pas le
moins rencontré : il s’agit de l’instabilité, et plus
précisément d’une instabilité revue à la baisse à cause d’une
couverture nuageuse plus dense que prévue et donc d’un
ensoleillement moins généreux. Durant les grandes périodes
estivales, il arrive en effet fréquemment que la dégradation
orageuse positionnée sur l’Atlantique voie ses restes envoyés
vers la Belgique durant la nuit et en matinée. Dès lors, alors que
celle-ci est prévue dans l’après-midi avec un degré de sévérité
plus ou moins élevé, la présence de nuages limitera d’autant
l’instabilité prévue. Le tout est de savoir de combien sera ce
« autant ».
Cela dépendra évidemment de la
capacité des nuages à se dissiper durant la journée.
Interviendront le taux d’humidité, la puissance du soleil,
l’orientation et la puissance du vent (humide ou sec), les champs
nuageux situés sur la France et remontant vers nos régions, et même
des différences thermiques et hygrométriques entre différentes
couches de l’atmosphère, entre autres facteurs. Un des problèmes
est que la modélisation numérique ne pourra être modifiée qu’à
partir des données récoltées au moment de cette invasion nuageuse,
c’est-à-dire vers 6h du matin, avec une sortie du « run »
à 12h. La présence nuageuse de la matinée sera elle intégrée à
12h avec une prévision à 18h, en pleine dégradation orageuse. Il
existe donc déjà un problème de timing de la prévision qui sera
« en retard » par rapport aux événements en cours.
Notons aussi que ces nouvelles données imprévues sont difficiles à
intégrer dans les nouvelles équations et ont du mal à
« rattraper » la situation.
De plus, une des difficultés du
prévisionniste de la convection sera de pouvoir déterminer quelles
régions seront les plus exposées aux éclaircies et jusqu’à quel
niveau. De cela dépendra évidemment le risque orageux et celui-ci
pourrait être redistribué en fonction de la répartition de
l’ensoleillement. A ce moment-là, la modélisation numérique sera
en grande partie inefficace et seule une observation du ciel et des
images satellite et radar pourra donner au prévisionniste une idée
des possibilités de développement convectif en fonction des
régions. L’expérience jouera aussi un rôle non-négligeable.
Toutefois, il arrive encore régulièrement que des « surprises »
se produisent et que les prévisionnistes soient tout simplement
dépassés par les éléments.
Conclusion
On a pu donc le voir à travers 3 cas
particuliers, théoriques, mais réels et assez fréquents : la
prévision convective est chaque jour délicate. Elle requiert des
moyens humains, intellectuels, technologiques, et financiers
colossaux. Prévoir des phénomènes aussi localisés que les orages
et qui réagissent à des détails aussi infimes et variables relève
à chaque fois de la pirouette et du génie humain. Nous nous
trouvons à mille lieux de l’équation simpliste : chaleur +
humidité = orage. Ces machines de thermodynamique ont besoin de
situation beaucoup plus précise que le quidam ne l’imagine car
elles réagissent à une dynamique de basse couche (les forçages)
réglée presque au degré près, à une énergie potentielle
suffisante trop souvent perturbée par un manque d’ensoleillement
mal géré par la modélisation numérique, et à un profil vertical
thermique dont la progression parfois particulière perturbe les
mouvements convectifs. Monsieur tout-le-monde sera alors bien souvent
surpris, frustré, et même trop souvent énervé par le manque de
prévisibilité et de fiabilité de la prévision convective.
Pourtant, si on voulait améliorer la
prévision kéraunique, il faudrait une petite révolution. Le
météorologiste Luc Trullemans a déclaré un jour que « pour
mieux maîtriser cette prévision, il faudrait envoyer des
ballons-sondes tous les 5 kilomètres avec des mesures d’altitude
tous les 10 mètres, ce qui impliquerait un investissements
colossal ». On pourrait rajouter que ce seraient les personnes
les plus insatisfaites des prévisions actuelles qui refuseraient de
mettre la main à la poche pour financer cet effort scientifique. Dès
lors, la prévision convective est et restera la prévision la plus
difficile où même les meilleures machines construites par l’homme
ne pourront rien face à la complexité des orages. Le dire n’est
pas un aveu d’échec ou d’incompétence. C’est de l’humilité.
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