vendredi 25 mai 2018

La chaleur sans orage : les dégradations "silencieuses"

Dans l'imaginaire des gens, un temps chaud, surtout s'il est lourd, se finit par des orages plus ou moins violents. Pourtant, il arrive très régulièrement que de telles journées insoutenables soient suivies le lendemain par un temps bien plus agréable, voire mauvais, le tout sans grabuge. Au mieux l'observateur attentif aura vu l'un ou l'autre éclair dans le lointain, accompagné de quelques gouttes, au pire le temps sera resté absolument sec et seuls quelques nuages décoratifs et quelques rafales auront signalé le passage du front froid, accompagné irrémédiablement d'une chute des températures.


Les ingrédients nécessaires pour une dégradation orageuse d'envergure

Un orage, ça n'a l'air de rien comme ça, mais c'est le résultat d'une équation très complexe qui fait intervenir une multitude de facteurs: l'instabilité, l'humidité, la dynamique et l'inversion de températures.

L'instabilité dépend de la différence de température entre les basses couches et l'altitude. Plus ce différentiel est important, plus l'instabilité est grande, et plus ce paramètre, sans considérer les autres, est un élément renforçant des orages. Il ne faut pas nécessairement qu'il fasse très chaud au sol, tant que de l'air bien froid est présent en altitude. Par contre, il peut faire très chaud au sol et aussi assez "chaud" en altitude. Dans ce cas, il n'y a pas d'instabilité, et donc pas de risque d'orages.

L'humidité dans les basses couches est également importante, car c'est elle qui mène à la création des nuages orageux lorsque l'air s'élève, se refroidit et engendre la condensation de sa charge en vapeur. Ici, contrairement à l'instabilité, avoir trop d'humidité peut nuire au développement des orages, surtout si cette humidité est également trop présente en altitude. Le résultat en est souvent un "étouffement" des orages qui se transforment en un gros paquet pluvieux vaguement orageux.

A l'inverse, avoir de l'air trop sec en basse couche empêche également les orages de se former, même si cet air est extrêmement instable. En effet, l'air qui s'élève dans ce cas n'arrivera pas facilement à faire condenser son contenu en vapeur d'eau, ce qui formerait des nuages. Toutefois, lorsque l'air est sec en basse couche (avec parfois de l'air plus humide par dessus) et que son ascension est favorisée, cette situation peut déboucher sur des orages dont la base est très élevée, pouvant donner d'énormes coups de foudre très ramifiés. Les précipitations tendent à s'évaporer dans l'air sec sous ces orages, donnant au niveau du sol peu de pluie, voire à peine quelques gouttes. C'est ce qu'on appelle un orage sec.

Par contre, une situation favorable à de violents orages est d'avoir de l'air instable bien humide dans les basses couches et de l'air un peu plus sec en moyenne troposphère, à quelques kilomètres d'altitude. Cette situation est en effet propice à de violentes rafales en lien avec les orages.

Et puis, il y a la dynamique, terme générique qui reprend toute une série de mouvements de l'air susceptibles de booster la formation des orages. Ils sont liés aux convergences des vents en basse couche (les vents se rencontrant dans ce cas forcent l'air à s'élever). Il y a aussi les mouvements du Jet-stream en altitude, dont le comportement provoque des appels d'air dans les basses couches en-dessous. Tous ces éléments qui poussent à l'élévation de l'air portent le nom de forçages.

Enfin, on ne peut négliger le rôle de l'inversion de températures, phénomène qui survient fréquemment. L'inversion de températures est une tranche de l'atmosphère dans laquelle la température s'élève lorsque l'on monte en altitude. Cette tranche bloque complètement tout développement convectif, dit autrement toute tentative de formation d'orages. Toutefois, il existe une situation particulière où l'inversion est vaincue par les tentatives d'ascension de l'air, aidées par la dynamique. Les orages qui se forment dans ce cas peuvent être peu nombreux, mais extrêmement violents lorsque l'air est potentiellement très instable.

Pour avoir des orages consistants, il faut un phasage parfait entre l'instabilité, l'humidité et la dynamique, c'est-à-dire que tous ces paramètres doivent être favorables en un même lieu au même moment. Le moindre décalage de l'un d'entre eux ou un paramètre non-favorable peut aboutir à de faibles orages, voire à aucune activité orageuse. Il faut aussi que l'inversion de températures, si elle est présente, ne soit pas trop forte, pour que la dynamique et l'instabilité, en forçant l'air à s'élever, arrivent à faire sauter ce couvercle atmosphérique.

Le déphasage entre ces éléments est précisément ce qui est observé lorsque la fin d'une période de (forte) chaleur et une transition vers un temps plus frais se font sans orage, ou très peu. Et comme on l'a vu, la transition peut se faire sans une goutte de pluie et très peu de nuages. Seule une rotation des vents et parfois une augmentation de ceux-ci signalent le passage du front froid ou de son avatar, le pseudofront froid. Nous reviendrons sur cette notion.

Parfois, l'horaire de passage de la transition n'est pas favorable aux orages. Il arrive que cette transition passe le lendemain matin d'une journée caniculaire, alors que la nuit a fait retomber la température et donc l'instabilité. Souvent, la zone de transition passe sur la Belgique en silence et active de violents orages sur l'Allemagne l'après-midi, lorsque la chaleur est remontée avec l'ensoleillement de la journée.

Quelques exemples de dégradations "silencieuses" (ou presque)

Dans ce chapitre, nous présentons quelques situations particulières où une période de chaleur s'est terminée sans ou avec peu d'orages. Pour certaines d'entre elles, les prévisions envisageaient une offensive orageuse, alors qu'il n'en fut rien en réalité.

La situation du 1er août 2012

Chez les amateurs d'orages, cette année 2012 assez pauvre reste une référence en termes de ratés de prévisions et de dégradations silencieuses. A plusieurs reprises, cette situation s'est produite, avec à chaque fois un élément qui manquait à l'appel et quand tous ceux-ci étaient présents, ils n'étaient pas phasés. Un des plus beaux exemples est celui du 1er août.

Alors que les jours précédents avaient été assez quelconques, le 1er août connait une bouffée de chaleur humide (températures maximales de 27 à 29°C), donnant un ressenti assez lourd. Comme le montre la carte ci-dessous, un front froid approche par l'ouest, et une ligne de convergence des vents se trouve sur le pays vers 20h00. En altitude, on note des courants favorables à une ascension de l'air. En clair, tous les éléments sont phasés pour une dégradation orageuse bien fournie.

Analyse de surface à 20h00 le 1er août 2012 (source: KNMI).

...Et pourtant, les heures passent, et rien ne se produit. Le récit d'un collaborateur d'Info Meteo habitant alors à Leuven est assez édifiant:

"Durant l'après-midi, une zone de précipitations non-orageuses remonta de la France et affecta les Flandres. Les pluies furent modérées, donc absolument pas exceptionnelles. Cette zone, avec un axe SSO-NNE, se déplaçait pratiquement selon le même axe, ce qui provoquait une longue stagnation des pluies sur une même région. Entrée vers 16h, cette zone s'évacua progressivement vers les Pays-Bas (où elle se montra plus active) vers 18h30. A l'arrière, le temps semblait s'assécher. Sur la France, plus rien, si ce n'est quelques phénomènes très localisés. Un énorme doute s'installe dans la communauté metéo : pour l'instant, aucun orage recensé ... Va-t-on vers un énorme flop ? Au même moment, je regarde la dernière sortie de GFS (maille large) et de WRF (maille fine). Une dépression secondaire devait se creuser sur le Nord de la France et de la Belgique. Cependant, à 18h, le modèle prévoyait déjà un creusement à 1006-1007 alors que dans la réalité les 1008 étaient à peine atteints. Dès lors, que penser de l'intensité des précipitations prévues, assez fortes et étendues en superficie ?

Pourtant, un élément va venir perturber nos réflexions : l'alerte jaune/orange (selon les régions et les phénomènes) de l'IRM et un message signalant “qu'une zone pluvio-orageuse assez intense traversera le Centre-Ouest du pays dans les prochaines heures”. Coup de poker de l'IRM ? (...) Alors, on attend ... Sur la France, des convergences s'installent, et la dépression progresse mais ne se creuse pas. A Louvain, le ciel est bizarre : fort gris mais avec des nuages très étalés. L'inverse joue son rôle : elle plaque toute l'énergie à basse altitude et l'étale sur une grande surface. Si l'inversion doit être percée, ça va péter. Vers 19h, à l'arrière de la zone de précipitations qui part vers les Pays-Bas, une très mince zone de précipitations non-orageuses se forment sur le Nord de la France. Elle ne fait pas plus de 30kms de large. Serait-ce la zone redoutée par l'IRM ? Au fil des minutes, elle se développe et remonte vers la Vallée de la Lys. En entrant en Belgique, des orages se forment. Encore une fois, le sens de déplacement et l'axe de la zone sont plus ou moins parallèles : les précipitations stagneront longtemps à un même endroit. Waregem recevra 21mm d'eau. La zone se déplace progressivement vers Gand et sa banlieue Est. Le reste du pays semble épargné. Je jette un coup d'oeil sur l'image satellite : j'observe 2 bandes de nuages épais : une sur Gand, l'autre sur l'Est de Bruxelles. Je suis étonné par la deuxième, mais je ne lui accorde pas plus d'importance. Erreur ...

La bande gantoise se déplace vers les Pays-Bas où elle évoluera en grosse masse orageuse type MCS. Quant à moi, légèrement frustré par l'évolution mais rassuré pour l'IRM, je m'apprête à aller me coucher dans une certaine moiteur. J'éteins donc mon ordinateur, et je me mets à lire. Vers 22h15, alors que j'allais m'endormir, j'entends un bruit semblable à un coup de tonnerre ! Je me dis : “Impossible, ils ne sont pas plus à l'Est qu'Anvers !” Je pense alors au bruit des volets qu'on descend dans la maison. A un moment, j'ai l'impression de sentir derrière moi, à travers la fenêtre, un flash lumineux. Puis, j'entends 2 nouveaux roulements au loin. N'y tenant plus, j'allume de nouveau mon PC pour visualiser le radar. Et là, quelle surprise : une cellule orageuse à l'Est de Bruxelles et une autre vers Aarschot se développent. Je suis pris entre les deux, mais le flux étant au SSO, je vais peut-être y échapper. C'est en fait la deuxième bande nuageuse qui a percé l'inversion et qui a formé des cumulonimbus. Comme quoi ... Ne servant à rien de regarder le radar, je me couche. A travers les fenêtres, j'aperçois de nouveaux flashes : l'activité électrique est assez intense, les grondements continuent et se multiplient. Finalement, vers 23h, une forte pluie se déverse, mais elle ne durera que 3 minutes. L'orage s'évacue vers les Pays-Bas. Je m'endors ...

Au final, l'inversion a donc été percée à 2 endroits : sur un axe Mouscron-Gand, et sur un autre du Nord de Namur vers la Campine, à chaque fois localisé et suivant une mince bande. Cet épisode, bien que parfaitement modéré, montre à quel point la prévision des orages est compliquée, et qu'il suffit parfois d'une chiquenaude atmosphérique pour les développer."

La nuit suivante, quelques orages à peine plus consistants éclateront sur l'est de la Wallonie.

On le voit ici, malgré tous les éléments en place, il n'y a eu que peu d'orages en Belgique, et ceux-ci sont restés faibles à modérés. Une inversion de températures assez coriace a suffi pour pratiquement tout bloquer, alors qu'une importante dégradation était attendue.

Activité électrique du 1er août. Les orages ont été peu nombreux et généralement faibles à modérés (source: Lightningmaps).

La situation du 10 juillet 2016

Il s'agit également d'une journée particulière: les maximas sont élevés (une trentaine de degrés sur le centre du pays), une ligne de convergence précède un front froid et traverse le pays en fin d'après-midi, et pourtant rien ne bouge. Pas le moindre coup de tonnerre, ni la moindre goutte d'eau. Le lendemain, l'air sera redevenu bien moins chaud. Les jours suivants seront même très frais.

 Analyse de surface à 14h00 le 10 juillet, avec la ligne de convergence alors sur l'ouest du pays (source: KNMI).

L'auteur de cet article se rappelle assez bien de cette journée, et était en promenade en Thudinie lorsque la ligne de convergence est passée en fin d'après-midi. Alors que cette dernière est porteuse d'orages lorsque les conditions sont réunies, ici elle ne donnait qu'un ciel sale avec une rangée d'altocumulus castellanus, ces nuages en forme de petites tourelles de château.

Ciel de dégradation "silencieuse", avec des castellanus en barres au-dessus de l'horizon (auteur: Le Chroniqueur météo).

Pourtant, ces altocumulus castellanus marquent la présence d'instabilité en moyenne troposphère, et témoignent du fait que ce premier élément était présent. A noter qu'en début de soirée, ces mêmes nuages sur la même convergence donneront un beau ciel du côté de Liège.

Ciel d'altocumulus castellanus en région liégeoise (source: webcam Meteo Belgique de Slins).

Si on regarde le taux d'humidité en début de soirée, on constate qu'il est assez bas. Pour résumer, il fait vachement sec en basse couche. Seul l'ouest du pays a vu rentrer de l'air un peu plus humide à l'arrière de la convergence, mais très en retard par rapport à cette dernière. En altitude, l'air est plus humide, mais ça ne suffit pas.
 
Humidité relative le 10 juillet 2016 à 20h00 (source: Infoclimat).

Enfin, la dynamique est molle, pour ne pas dire inexistante. En altitude, le Jet-stream est en retard, tandis qu'au sol, la convergence est assez lâche. Dans ce contexte, il est difficile d'obtenir des ascendances importantes et la formation de nuages orageux. On y ajoute l'inversion de températures qui régnait ce jour-là, et toute tentative orageuse s'en trouve ainsi complètement annihilée.

La situation du 22 juin 2017

Une nouvelle fois, une canicule concerne le pays. Ce jour, il fait de 32 à 35°C. Sur le nord-est de l'Ardenne, l'instabilité devient suffisante pour donner quelques orages, mais ailleurs c'est le calme. Tout au plus note-t-on un vent modéré, ce qui est assez inhabituel par fortes chaleurs. Et puis brutalement, en seconde partie d'après-midi, le vent tourne à l'ouest et monte d'un coup, soufflant en rafales bien présentes. La chaleur semble s'amoindrir, et au coucher du soleil, il fait moins de 20°C pratiquement partout, soit une chute de 12 à 15°C de la températures en quelques heures seulement. Le tout s'est fait dans le calme - hormis le vent fort - et sans la moindre goutte de pluie (sauf très localement). La carte ci-dessous permet de comprendre ce qu'il s'est passé.

Analyse de surface à 20h00 le 22 juin (source: KNMI).

Un front froid achève de traverser le pays, chassant la chaleur. A son arrière, c'est de l'air maritime bien plus frais qui envahit une grande partie de la Belgique, d'où la baisse de température rapide. Une fois n'est pas coutûme, il ne se précède pas immédiatement d'une ligne de convergence (celle sur l'Allemagne, en rouge gras, s'y est formée). L'air sec et la faible dynamique n'ont pas permis de déclencher des orages au passage du front, qui n'avait d'autres manifestations que la saute de vent et quelques nuages d'instabilité plus présents.
 
Carte des températures en début d'après-midi du 22 juin, avec le front froid dessiné (source: Infoclimat).
 
Des situations "limites" où ça se joue à pile ou face 

Il arrive dans certains cas qu'un ou plusieurs éléments soit assez faiblement présent, de telle sorte qu'un petit changement de la valeur de ce(s) paramètre(s) modifie complètement la réalité. Autrement dit, cette petite modification peut déterminer s'il y aura des orages (parfois violents) ou pas. Un air ni sec ni très humide, une inversion qu'un degré de plus au sol peut supprimer, une dynamique présente mais assez molle... Un rouage qui défaille, même à peine, et c'est toute la mécanique orageuse qui déraille. Dans ce cas, la prévision devient extrêmement complexe et sujette à des ratés. Ceci est d'autant plus délicat lorsque les autres éléments présentent des valeurs favorables à de violents orages. Dans ce cas, l'infime modification de l'élément "limite" peut à elle seule changer une situation sans orages en une dégradation orageuse violente, ou inversément.

Une situation très limite qui aboutit à des orages intenses: le 27 août 2016 

Cette journée du 27 août 2016 a vu se produire une puissante dégradation orageuse sur les provinces de Luxembourg, Namur et Liège. Pourtant, dans les heures qui ont précédé, les modèles ont pataugé sur la survenue ou non de ces orages, rendant la prévision très hasardeuse.

Remettons d'abord les choses en contexte. La Belgique vit une vague de chaleur tardive très remarquable, voire exceptionnelle. Le 27 août, les maximales atteignent 34 à 35°C en de nombreuses régions. Pourtant, l'air maritime plus frais pousse à la porte du pays, avec un front qui depuis la veille tangeante le Royaume. Sur la carte ci-dessous du 27 à 20h00, il prend la forme d'un front chaud pratiquement immobile au nord et d'un front froid à l'ouest qui progresse vers nos régions. Cette disposition particulière est le fait d'une dernière bouffée de chaleur torride responsable des maximales du jour.

Analyse de surface du 27 août à 20h00 (source: KNMI).

Sur la carte ci-dessus, on note la présence de deux petites convergences (en rouge gras) sur nos régions. Ce sont des éléments de dynamique. En altitude, on en trouve un autre: une petite branche de Jet-stream est bien placée par-dessus le sud-est de la Belgique en soirée. Tous ces éléments de dynamique favorisent l'ascension des masses d'air, mais ceux-ci sont en ce 27 août fort "limites": la convergence sur le sud-est n'est pas très nette tandis qu'en altitude, la divergence du Jet-stream n'est pas vigoureuse. A l'inverse, l'atmosphère est chargée en énergie, et potentiellement très instable. Mais la valeur d'un dernier paramètre achève de semer le trouble: l'humidité.

Humidité relative le 27 août 2016 à 20h00 (source: Infoclimat).

La carte ci-dessus montre qu'il fait bien sec en province de Liège. Sur le sud de la province de Namur, on note des valeurs de 60-70 % d'humidité relative, ce qui est meilleur mais pas extraordinaire. Au-delà de 70 %, on pourrait estimer que l'humidité est suffisante pour réellement développer des orages, mais avec les valeurs rencontrées, on tombe sur une situation à pile ou face.

Il est possible de consulter les archives des modèles de prévision comme Arome, et de voir à quel point ceux-ci ont pataugé. La veille, dans son run ( =calcul) de midi, ce modèle Arome voyait bien des orages locaux mais possiblement intenses se développer le lendemain soir:

 Sortie du modèle Arome du 26 août midi pour le lendemain 19h00 (source: Meteociel).

Au matin du 27 août, coup de théâtre! Le run de minuit ne voit pour ainsi dire plus rien. Celui de 6h00 (qui sort sur le temps de midi) ne voit guère rien de plus:

 Sortie du modèle Arome du 27 août 6h00 pour le soir même (source: Meteociel).
 
Et ici commencent les tractations et les interrogations entre le prévisioniste et les modèles. Le tour des paramètres donne ceci: instabilité très importante, humidité présente mais pas non plus délirante, dynamique molle. Bref, il y a énormément de carburant, mais il manque l'allumette pour décrocher la timbale.

La carte ci-dessous montre les valeurs de l'instabilité, la CAPE. Sans entrer dans les détails, sachez que quand c'est rouge, c'est que l'énergie est suffisante pour de puissants orages si la dynamique et l'humidité suivent. Alors quand ça violace...

 Energie disponible pour la convection (ou CAPE) à 19h00 le 27 août, telle qu'estimée par le run d'Arome du matin (source: Meteociel).

Et brutalement, le run de 12h00 d'Arome, qui sort en toute fin d'après-midi, revient sur sa décision: il y avait bien un risque d'orages locaux intenses! La dynamique était à présent modélisée un poil plus forte, et ça suffisait à faire sauter l'atmosphère.

Sortie du modèle Arome du 27 août midi pour le soir même (source: Meteociel).

En soirée, les orages ont bien eu lieu, et ont été par endroits forts et très électriques, avec quelques dégâts dus au vent et à la grêle, mais aussi à la foudre. Et même s'ils n'ont pas pris l'ampleur d'une dégradation nationale, on ne peut pas dire qu'ils sont restés locaux, comme en témoigne la carte ci-dessous.

Activité électrique du 27 août 2016 (source: Lightningmaps).


La situation du 15 septembre 2016

Il s'agit également d'une situation très particulière, au sein d'une période qui l'est tout autant. La mi-septembre voit survenir une canicule très tardive et exceptionnelle, brisant des records de températures maximales et minimales pour une mi-septembre. Les 13 et 14, on observe des maximales de 30 à 33°C dans de nombreuses stations météorologiques du pays.

Le 15 septembre, la dégradation s'amorce, avec l'arrivée d'un front froid par le sud. Il se précède d'une ligne de convergence qui se forme sur le pays en matinée, en ne donnant rien si ce n'est un arrêt de l'envolée des températures qui se stabilisent sous 30°C. Par contre, elle met en place une situation très particulière: en passant, elle amène un vent de sud-ouest dans les basses couches, apportant de l'air maritime plus humide, alors qu'au-dessus, l'air reste très chaud. Une puissante inversion de températures se forme ainsi, ce qui bloque toute tentative de développement de nuages orageux.

Analyse de surface à 20h00 le 15 septembre (source: KNMI).

Le front froid lui-même a un comportement très particulier. En réalité, il n'existe que dans les basses couches; plus en altitude, on ne remarque pas vraiment se présence, avec de l'air qui reste assez doux pour cette altitude.
 
C'est ici que se joue un timing plutôt spécial et "anti-orageux". Le pays a passé la plupart de la journée entre la ligne de convergence et le front froid, avec cette air maritime moins chaud et de l'air très chaud juste au-dessus, engendrant une inversion de températures qui bloque le développement des orages, et ce malgré une humidité bien présente. Dans l'air très chaud au-dessus de l'inversion, on note de l'instabilité, mais pas de quoi non plus mener à un orage.

C'est dans cette structuration de l'atmosphère qu'arrive le front froid, qui n'existe en basse couche comme on l'a vu. Il amène ainsi de l'air encore un peu plus frais en-dessous de l'air chaud, renforçant l'inversion de températures et augmentant ainsi la puissance du couvercle anti-orages qui recouvre le pays. A la limite entre l'air plus frais et humide des basses couches et l'air très chaud en altitude, on voit apparaître un ciel menaçant, des stratocumulus undulatus, mais qui ne donnent strictement rien.

Undulatus dans le ciel de Cerfontaine en fin d'après-midi du 15 septembre (source: webcam MétéoBelgique).

Seule une dynamique très forte aurait pu assurer l'ascension des masses d'air et déboucher sur des orages possiblement violents, mais il n'en est rien. Tout se retrouve complètement bloqué et la dégradation se fait en silence.

Seul le nord-est du pays connaîtra des orages juste au-devant du front froid, à la faveur de conditions un peu plus favorables, notamment la dynamique un peu meilleure. Et ce malgré les modélisations qui avaient envisagé de forts orages sur une bonne partie de l'est du pays.

 Sortie du modèle Arome du 15 septembre 6h00 pour le soir même (source: Meteociel).

En conclusion, nous aurons ainsi passé en revue les éléments qui permettent, lorsqu'ils sont combinés, la formation des orages. A travers différentes situations, nous avons également pu voir que la chaleur ne suffisait pas à elle seule à les déclencher, et qu'il arrivait dès lors que des vagues de chaleur se terminent en silence, sans ou avec très peu d'activité orageuse.

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