jeudi 22 février 2018

No panic! Pas de vortex polaire sur la Belgique (mais ses conséquences bien)

Ces derniers jours, nous avons vu apparaître plusieurs sorties dans la presse annonçant le passage d'un vortex polaire sur la Belgique. Il n'en est évidemment rien. Il est assez amusant (ou agaçant, c'est selon) de voir à quel point la réalité a été bien déformée. Parce que oui, il y a bien une histoire de vortex polaire au départ, mais rassurez-vous, on est bien loin d'un scénario digne du film "Le Jour d'Après". A travers cet article, essayons de démêler le vrai du faux.

Le Dubus du 22 février. On vous rassure, nous ne sommes pas que des scientifiques carrés, nous avons aussi beaucoup d'humour...

Vortex... de quoi parle-t-on?

Pour ceux qui ont un peu de temps, nous leur conseillons de (re)lire un article écrit il y a une quinzaine de jours, qui explique ce qu'est le vortex polaire et ce qui lui est arrivé à la mi-février: Eclatement du vortex polaire: quelles conséquences sur notre météo?

Pour ceux qui n'ont pas le temps, faisons un bref résumé: le vortex polaire, c'est un phénomène tout à fait banal et normal, nous insistons là-dessus. Il s'agit d'une grande bulle d'air très froid qui trône au-dessus des pôles lors des hivers, au niveau de la stratosphère, la couche de l'atmosphère au-dessus de la troposphère où ont lieu la plupart des phénomènes météorologiques. Cette stratosphère s'étend de 10 à 60 km d'altitude.

Au début de l'automne, l'air au-dessus des pôles se refroidit avec l'allongement des nuits. Il se forme donc cette grande bulle d'air froid entourée d'air un peu moins froid. Au contact de ces deux masses d'air se crée un courant de vent rapide tournant autour de la bulle d'air froid, d'ouest en est. C'est le Jet de la nuit polaire (à ne pas confondre avec le Jet-stream).

Certains hivers, il arrive que  ce grand tourbillon d'air froid soit déstabilisé et éclate en plusieurs petits tourbillons, c'est ce qui est arrivé il y a environ deux semaines. Le Jet de la nuit polaire qui tourne autour du pôle d'ouest en est s'en trouve profondément perturbé, voire complètement arrêté. Il est alors remplacé par des vents d'est, donc contraires.

Les conséquences normales d'un phénomène normal

A la manière d'engrenages, ces modifications se transmettent petit à petit à "notre" couche en-dessous, à savoir la troposphère, où se trouvent nos anticyclones et dépressions. Or, classiquement, nos régions connaissent un flux d'ouest, avec des dépressions près de l'Islande et l'anticyclone des Açores... aux Açores (ou dans les environs). Or, ce schéma peut être perturbé par toute une série de causes, et l'éclatement du vortex polaire en stratosphère peut en être une. Dès lors, l'anticyclone des Açores se trouve plus libre d'étirer des dorsales vers l'Europe du Nord, et d'y former des masses anticycloniques tandis que l'activité dépressionnaire atlantique est délogée de sa place normale.

Or, pour nos régions, un anticyclone sur le nord de l'Europe, ça signifie la mise en place d'un flux d'est ou de nord-est allant pomper le foid du continent. Sans surprise, en hiver, un flux continental sur nos régions est donc froid, voire très froid.

La séquence d'images suivante est tirée du modèle européen ECMWF et montre comment tout cela pourrait se mettre en place dans les prochains jours. Nous allons surtout nous intéresser aux couleurs, qui représentent le géopotentiel. Pour faire simple, le géopotentiel est un peu le "relief" de l'air. Il donne l'altitude, à travers le territoire, d'une pression particulière, ici 500 hPa. Or, la pression diminue classiquement avec l'altitude. Plus cette pression est trouvée à haute altitude, plus on a une "montagne" d'air, et donc des masses anticycloniques (représentées en jaune-orange). A l'inverse, plus cette altitude est basse, plus on a une "vallée" ou un "creux" d'air, et donc des masses dépressionnaires (représentées en bleu).

La première image montre la situation d'aujourd'hui. Pour la petite histoire, nous avons déjà un flux d'est en surface, mais il n'est pas encore très solide et n'est pas soutenu par le géopotentiel en altitude. Par contre, ce que l'on voit, c'est la mise en place d'une grande dorsale anticyclonique, dont l'axe est représenté en tirets rouges. La petite dépression (entourée en noire) près des Açores n'y est sans doute pas étrangère, car sa présence pousse le haut géopotentiel à aller plus au nord, d'où cette langue jaune qui s'étire. On remarque aussi les bas géopotentiels sur la Russie, donc les masses en bleu en haut à droite de l'image. Nous allons y revenir.

Situation ce jeudi (source: Meteociel).

Voici maintenant la situation telle que modélisée pour dimanche. On remarque que la dorsale s'est bien étirée vers le nord, et est sur le point de se faire couper au niveau de l'Espagne et du Portugal. Cette invasion anticyclonique à haute latitude (où classiquement en hiver, c'est plutôt dépressionnaire) a comme conséquence de mobiliser les masses dépressionnaires. On voit ainsi que les bas géopotentiels près de la Russie commencent à poindre dans notre direction... En surface, les isobares (lignes blanches) montrent l'établissement de pressions de plus de 1045 hPa sur le nord de la Scandinavie. On a donc un solide anticyclone de surface soutenu par une dorsale anticyclonique en altitude, le tout mettant progressivement en route un vigoureux flux d'est sur l'Europe centrale.

Situation modélisée pour dimanche (source: Météociel).

La dernière carte montre la situation modélisée pour mercredi prochain. Bien que l'échéance engendre quelques incertitudes, dans les grandes lignes cette carte permet de comprendre l'aboutissement du processus. On note que l'anticyclone de surface près de la Scandinavie est bien soutenu par l'anticyclone d'altitude issu de l'isolement de la dorsale partie de l'Atlantique subtropical (voire première carte). D'ailleurs, puisque soutenu, l'anticyclone de surface conserve même une dorsale sur l'Atlantique nord (tirets en noir), faisant la jonction avec un autre anticyclone de surface sur le Groenland. La Belgique est alors surplombée par les bas géopotentiels venus de Russie, le tout dans un flux d'est très bien établi. Pour nous, la météo sera donc très froide, avec peut-être l'un ou l'autre flocon, mais ce risque neigeux est très incertain vu l'échéance.

Situation modélisée pour mercredi prochain (source: Météociel).

En conclusion

On l'a vu, il n'est donc pas question d'un passage du vortex polaire chez nous, et quand bien même qu'un des morceaux issus de son éclatement passait au-dessus de la Belgique, ça ne changerait pas grand chose pour nous. Par contre, ce qui a une grande influence, c'est justement ce grand décrochage de bas géopotentiels en provenance de Sibérie, guidés par les hauts géopotentiels qui vont s'établir sur le nord de l'Atlantique et la Scandinavie. Ce serait donc cette grande masse dépressionnaire en altitude - et donc froide - qui passerait, aidée par un flux d'est en surface qui amènera déjà du froid en basse couche. Froid de basse couche et froid d'altitude se renforceront donc mutuellement en quelque sorte, donnant à nos régions des températures très inférieures aux normales de saison.  

Bref, encore une démonstration que rien n'est simple avec toute la machinerie atmosphérique... 

Voir aussi l'article de l'IRM qui parle de ce sujet. 



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