lundi 9 septembre 2013

L'importance de l'inversion de température dans le développement des orages

Il fait très chaud. Et en plus, l'humidité de l'air est lourde, insupportable. Vous vous dites qu'il faudrait un petit orage pour rafraîchir l'atmosphère et pouvoir passer une nuit tranquille. Les heures passent : 17h, 18h, 19h, 20h ... Quelques nuages bas ou moyens se sont formés dans le ciel, mais rien de bien méchant. La température baisse à peine, et vous commencez à maudire le présentateur ou la présentatrice météo qui avait annoncé de l'orage. En réalité, les nuages que vous observez trahissent un phénomène à la fois assez connu et simple mais trop peu mentionné pour expliquer la situation que vous vivez : l'inversion de température ! Celle-ci est un des facteurs qui empêche le développement des orages et nous aimerions vous expliquer ici son importance, mais aussi montrer, à travers un cas réel, comment elle peut être vaincue.




Chacun sait que la température diminue théoriquement avec l'altitude, et ce d'environ 6° tous les 1000m. Ce n'est que vers 12-14 kilomètres qu'on arrive au sommet de la troposphère et que la température réaugmente. C'est d'ailleurs justement à cet endroit que les cumulo-nimbus sont stoppés par cette évolution positive de la température. Cependant, il arrive plus régulièrement qu'on ne le croit que l'évolution de la température soit aussi inversée dans les basses couches de l'atmosphère. Un cas classique est observé en hiver lorsque des hautes pressions plaquent l'air humide et froid au sol et forment des nuages bas. Ceux-ci rendent le temps des plaines extrêmement gris et déprimant alors que les sommets baignent dans le soleil. Et de fait, il peut faire 2° à Bruxelles, mais 10° à Elsenborn ! Un exemple a eu lieu le 9 janvier 2013 (rappelez-vous de cette sombre période où il n'y a pas eu une minute de soleil pendant de nombreux jours !) :


Un anticyclone d'hiver est bien positionné sur la France et plaque l'humidité au sol. De fait, puisque les hautes pressions sont constituées d'air chaud en altitude, le sondages de Trappes (près de Paris) est très éloquent :


Il montre clairement une baisse de la température jusqu'à environ 1000m (première flèche bleue) alors qu'elle réaugmente jusqu'à environ 1600m (flèche rouge), formant ainsi une inversion de température, phénomène couvercle qui plaquera donc l'humidité au sol, formant ces désagréables nuages bas. Mais revenons à nos orages ...

Pour qu'un orage, donc un cumulo-nimbus, se forme, le profil de la température depuis le sol jusqu'à la limite de la troposphère doit enregistrer une tendance descendante, sinon l'ascension de l'air est bloquée, comme le montre ce schéma suivant :


De fait, la situation que vous avez observée, à savoir des nuages bas ou moyens qui n'ont pas pu se développer plus haut car bloqués par l'inversion de température est typiquement rencontrée dans ce schéma. Elle montre néanmoins que l'air des basses couches est humide. Un observateur attentif pourra aussi remarquer que ces nuages ont leur sommet situé plus ou moins tous à la même hauteur, trahissant la limite inférieur de l'inversion de température. Cette situation d'inversion durant les très chaudes journées d'été est plus courante qu'on ne le croit, encore une fois à cause de hautes pressions d'altitude bien constituées d'air chaud vers les couches moyennes de l'atmosphère. La preuve par le sondage de Trappes du 2 août 2013, plus chaude journée de cette année 2013 :


On voit bien que la température baisse normalement jusqu'à 1178m avant de réaugmenter jusqu'à 1300m. Il sera donc difficile pour les nuages d'avoir un développement de type cumulo-nimbus avec un profil vertical aussi peu favorable.

Les orages sont-ils donc impossibles par grosse chaleur ? Certainement pas ... Comme chacun a pu le constater, des orages se développement malgré tout régulièrement quand il fait chaud, mais sont en général assez localisés. Il y a donc des facteurs qui permettent malgré tout de vaincre l'inversion de température. D'abord, le relief engendre des vents verticaux qui dépassent localement l'inversion. Ensuite, un simple front froid qui modifie la structure verticale de l'atmosphère, ou l'approche du courant Jet qui aspire les vents vers la haute atmosphère. Ou encore un puissant échauffement des basses couches de telle manière que celles-ci deviennent plus chaudes que les couches moyennes où se situent l'inversion et engendrent donc un profil vertical classique avec une température décroissante jusqu'au sommet de la tropopause. Nous aimerions brièvement vous parler d'un cinquième facteur qui est la ligne de convergence.

Dans notre bulletin du 16 juin, nous avions pu expliquer ce qu'est une ligne de convergence : c'est une limite où les vents convergent car ils y changent de direction. Elle peut se former notamment par le développement d'une petite dépression thermique (appelée dans le jargon méso-dépression) :


On peut aisément comprendre qu'une convergence des vents les oblige à s'élever brutalement à une limite bien précise, que la vitesse de l'ascension qui en résulte peut vaincre l'inversion-couvercle et produire alors des orages sur cette limite. A travers un cas bien précis, nous aimerions encore être plus explicites. Revenons presque 2 ans en arrière, le 10 septembre 2011.

Ce jour-là, il a fait chaud comme le montre cette carte :


27° sur Bruxelles ont été enregistrés. Sur la France, il fait même plus de 30°. Une ligne de convergence s'est formée depuis la Normandie, la région Centre, le Limousin, et l'Aquitaine. A l'Est de cette limite, les vents sont orientés au Sud; à l'Ouest de cette limite, ils sont orientés au Sud-Ouest.

En se rapprochant de la Belgique, on constate qu'en plus de cette ligne de convergence s'est formée une brise de mer du fait de la différence de température entre la terre et la mer :


La brise de mer est cette ligne bleu foncé parallèle à la côte alors que la ligne de convergence est la ligne en cyan. Ce parallélisme est évidemment dû à la caractéristique même de la brise de mer : elle souffle perpendiculairement à la côte et son front suit donc la limite côtière. Un élément capital ici sera la géographie locale. En effet, à hauteur de Dieppe, la côte est orientée SSO, et le front de brise de mer ne fait que suivre la ligne de convergence; mais arrivé à Calais, le front va s'adapter à la géographie locale et plus s'orienter au SO :



A hauteur de Hazebrouck, la situation est telle que les 2 limites, à savoir la ligne de convergence et le front de brise de mer se rejoignent :


A cet endroit-là se produit un élément important : nous aurons non pas une simple convergence des vents mais une double convergence des vents avec une tri-partition de leur orientation : Sud à Lille, Sud-Ouest à Amiens, Ouest à Dunkerque. Cette forte convergence permettra un soulèvement explosif de la masse d'air qui vaincra l'inversion de température très présente ce jour-là :


Dès lors, malgré ces conditions peu favorables pour ce qui est du profil vertical de la température, la géographie locale du Nord-Pas-De-Calais permettra de produire un orage de type supercellulaire largement immortalisé par notre partenaire Belgorage :



Nous avons donc là un exemple type d'une inversion bien présente vaincue par une puissante convergence en grande partie liée à la géographie du Nord de la France et de l'Ouest de la Belgique. Notons donc au passage que la présence d'une ligne de convergence dans ces parages et/ou d'un front de brise de mer ne sont donc pas dûs au hasard et que cette zone est donc assez sensible pour le développement de puissants orages de type supercellulaire. Emportés essentiellement par un vent d'altitude orienté au SO, ils frappent des régions allant de Courtrai, Est de Gand à la région anversoise, formant un couloir appelé communément "Allée des tornades belge".

Insistons aussi sur d'autres points : ce soulèvement explosif se joue véritablement sur des détails très difficiles à prévoir : la vitesse de la convergence et l'orientation des vents. Une déviation de quelques degrés des vents ou une baisse de leur intensité peuvent annihiler toute tentative de dépassement de l'inversion. De même, une couche d'inversion plus épaisse de 50m ou une température de 0.5° plus élevée que prévu auront les mêmes conséquences. Il est évident que même les supercalculateurs météorologiques les plus puissants ne savent pas appréhender de telles situation locales, et cela explique donc bien des choses dans les "flops orageux" !

Il est aussi important de signaler que l'inversion de température est un facteur inhibitif pour le développement des orages, mais aussi stimulateur pour le développement de supercellules. En effet, si l'inversion est inexistante, toute l'énergie de la masse d'air est plus ou moins également répartie sur un territoire assez vaste, est donc déconcentrée, et ne produit donc pas a priori de puissants orages. A contrario, la présence d'une inversion bloque l'énergie au sol, mais si celle-ci est libérée, elle se concentre en un point et participe à un développement explosif tel qu'observé dans la video de Belgorage.

Nous avons donc là une réponse aux interrogations de nombreuses personnes qui ne comprennent pas pourquoi les orages n'ont pas frappé leur région : l'inversion de température a empêché les développements orageux et seuls quelques endroits du pays, placés dans des conditions locales particulières très difficiles (voire impossibles) à prévoir ont pu observer des orages, parfois violents. L'équation chaleur+humidité+changement de temps n'est donc pas toujours garante d'orages. De micro-détails peuvent tout faire capoter et c'est probablement là ce qu'il y a de plus beau (et de plus frustrant) dans les orages !

Remerciements particuliers à Belgorage pour certaines cartes.
Autres sources : Wetterzentrale et University of Wyoming 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.