L'été 2003 est et restera pendant longtemps la référence en matière de vague de chaleur et de températures extrêmes, à tel point qu'il a laissé dans notre mémoire collective une trace indélébile. Nous en voulons pour preuve chaque allusion que la population peut faire lorsque des journées estivales virent à la canicule. Bon nombre espèrent ainsi « ne pas revivre l'enfer de 2003 », à juste titre car il a provoqué la mort, au moins indirecte, de dizaines de milliers de personnes, principalement âgées. Durant le printemps, le même genre de réflexions est émise, surtout si les modèles saisonniers entrevoient une configuration propice à un été chaud. Il nous a paru intéressant de revenir sur cet événement qui frappa les imaginations. Nombre d'articles ont déjà été publiés sur cette période, et notre but ici n'est pas de faire des rappels statistiques uniquement pour le plaisir des chiffres, mais avant tout pour ré-analyser la position synoptique des grandes centres d'action et tenter ainsi d'apporter un nouvel éclairage sur cet été infernal.
Juin 2003
Juin 2003, le premier mois de l'été, est assez particulier : alors que les maximales n'ont jamais dépassé les 28° à Uccle, il est le juin le plus chaud depuis 1833, à égalité avec 1976. En voici le résumé pour la station bruxelloise :
Ce qui saute le plus aux yeux de ce résumé, c'est d'abord la grande homogénéité des températures : pas une ne descend en-dessous de 20° et le maximum est de 27.8° le 1er juin. 10 jours d'été (25° ou plus) sont observés, alors que la moyenne pour un mois de juin est de 5.4. Les minimales sont tout aussi peu fraîches, car une seule descend en-dessous de 10°, avec 9.7 le 21 juin. Au total, 14 nuits atteignent ou dépassent les 15°. Au final, il ne faut pas s'étonner de voir juin 2003 figurer au top malgré aucune journée cataloguée comme "tropicale" (30° ou plus). Notons aussi la sécheresse de ce mois avec à peine la moitié de ce que devrait enregistrer un mois de juin normal. La conclusion de ce mois de juin 2003 : ce fut un mois particulièrement stable, sans grands soubresauts, avec une grande présence anticyclonique. La carte du 7 juin résume assez bien la situation :
On y découvre des hautes pressions bien installées sur l'Europe, des dépressions bloquées sur l'Atlantique, et un flux de Sud-Ouest doux, voire chaud, mais pas suffisamment orienté au Sud pour permettre des advections (sub)tropicales. De temps à autre, les dépressions pénètrent le champ de pression, occasionnant quelques pluies. Même si la situation à ce moment-là ne semble pas exceptionnelle, elle annonce ce qui va suivre, surtout en août !
Juillet 2003
Le second mois de l'été météorologique sera plus instable que le premier avec des températures fluctuant plus amplement, comme le montre très bien le résumé d'Uccle :
Elle montre une haute pression bien positionnée sur la Scandinavie, avec un vent de Sud-Est soufflant sur la Belgique. Cependant, en altitude, le vent vient du Sud et continue donc d'alimenter la haute pression à un niveau supérieur à 5500 mètres. Ce positionnement d'une haute pression avec un vent sec de sol et un vent très chaud d'altitude est caractéristique des étés chauds où les anticyclones règnent en maître. Malgré la baisse de la température assez relative durant la dernière décade de juillet (maximales autour de 25°), cette configuration préfigure de ce qu'il va arriver 10 jours plus tard.
Août 2003
Le 1er août 2003 commence la vague de chaleur de ce mois resté mémorable. Le tableau récapitulatif de ce mois à Uccle nous rappelle bien des souvenirs :
La deuxième partie du mois d'août se rapprocha plus de la normale, avec même des températures plongeant en-dessous de 20° les 3 derniers jours du mois.
Septembre et octobre 2003
Le mois de septembre qui suivit
s'inséra essentiellement dans une continuité synoptique, mais aussi
statistique. Ainsi, le tableau récapitulatif d'Uccle montre encore
quelques journées bien chaudes :
5 jours d'été ont été observés
durant ce mois ainsi que 15 journées d'au
moins 20°. Aucune journée ne descendit en-dessous des 15°, et nous
connûmes 22 jours sans pluies. La situation peut être résumée avec
une carte qui ressemble à celles que nous avons pu retrouver en
août, bien que l'anomalie soit plus décalée vers l'Est et moins
marquée :
En effet, alors qu'août a vu la
permanence de hautes pressions sur l'Europe Occidentale, celles-ci
furent « attaquées » par un thalweg plus vigoureux,
signe que l'été était bel et bien fini. Néanmoins, ceci permit
encore la séquence des 5 jours d'été observés du 18 au 22
septembre 2003. Notons qu'on manque le jour tropical de un dixième
de degré à la station bruxelloise, mais d'autres stations
franchirent bien le seuil symbolique. Le 23 septembre, le thalweg
présent sur le proche Atlantique s'enfonça sur le continent, d'où
la perte de 10 degrés :
Cette évolution préfigura de ce qu'il
devait se passer en octobre. Le tableau récapitulatif du dixième
mois de l'année montra bien la rupture malgré un début de mois
encore assez doux :
La seule journée avec 20° fut la
première. Par la suite, on observa une lente baisse des températures
pour finir avec un scénario incroyable le 24 octobre. En effet, dans
un air polaire se développèrent quelques éclaircies favorisant un
intense refroidissement nocturne. A Uccle, la minimale enregistrée
descendit à -3,4°. Dans la matinée, une perturbation s'engagea
dans cet air froid et précipita finalement vers midi en neige en
pleine capitale belge. Une accumulation temporaire fut même
enregistrée :
Cet autre extrême de la saison
estivale pourrait être considéré comme la « cerise sur le
gâteau » de ces 5 mois complètement fous qui nous virent
coincés dans le côté chaud du Jet pendant 4 mois avant de
connaître le côté froid. On pourrait alors considérer le 24
octobre 2003 comme la « compensation » de la canicule
d'août 2003, mais l'analyse ne s'arrête pas là et nous aimerions
maintenant, après tout ce rappel statistique, analyser plus en
profondeur ce qu'il s'est réellement passé durant ces mois épiques.
Quasi-résonance des ondes de
Rossby
Durant l'été
2003, l'Europe Occidentale s'est constament retrouvée dans la
partie Sud du courant Jet qui est lui-même lié au défilement des
ondes de Rossby. Celles-ci sont des mouvements ondulatoires de la
circulation atmosphérique et varient en fonction des différences de
températures. Elles séparent donc, comme le courant Jet, les masses
d'air polaire et tropicale. La carte moyenne de la première
quinzaine du mois d'août est assez éclairante à ce sujet :
On y retrouve
plusieurs vagues au nombre de 6. Une septième se situe au niveau de
la Sibérie et est nettement moins visible. Sur la carte suivante,
les 7 ondes sont nettement plus perceptibles :
Cette illustration
indique les anomalies de vents méridionaux dans l'Hémisphère Nord
au niveau 500Hpa (entre 5500 et 6000m). Les traits discontinus
représentent les 7 ondes de Rossby avec celle située en Sibérie
nettement plus visible. En Europe, les vents méridionaux sont bien
matérialisés à l'Ouest des Îles Britanniques. C'est en effet à
cet endroit que la vitesse des vents est maximale entre la haute
pression d'altitude, située donc à l'Est, et le thalweg, située
donc à l'Ouest. La carte suivante le montre aussi clairement :
Datant du 11 août
2003, c'est-à-dire au plus fort de la canicule, elle indique bien
les isohypses (isobares d'altitude, en couleurs sur la carte) plus
resserrés à l'Ouest de l'Irlande, avec des vents méridionaux bien
rapides sur l'Océan Atlantique. La haute pression d'altitude est
très marquée en provenance du Maghreb et se retrouve au sol au Nord
de nos régions, avec une situation de blocage. Situés à droite des
vents méridionaux, en pleine haute pression d'altitude remplie d'air
maghrébin, éloignés des dépressions et au Sud d'une haute
pression de sol, dans un air continental tropical, nous devons donc
supporter la synoptique la plus chaude et sèche. En France, les 40°C sont régulièrement atteints et les grandes villes doivent supporter
des nuits à plus de 25°C. Le positionnement de l'Onde de Rossby a
donc permis cette situation. Mais une telle récurrence de masses
d'air tropical de juin à septembre ne peut s'expliquer que par un
dynamisme particulier des ondes de Rossby.
En
effet, selon les travaux de Vladimir Petoukhova, Stefan Rahmstorfa, Stefan Petria, et Hans Joachim Schellnhuber du Potsdam Institute forClimate Impact Research, les ondes de Rossby ont été amplifiées
par le phénomène physique assez connu qui est celui de résonance.
Cette dynamique est produite par la convergence des fréquences
identiques de 2 mouvements, ici les ondes de Rossby et les vents
méridionaux.
Un
exemple relativement connu de la résonance est l'histoire du Pont
de Tacoma.
Cet ouvrage d'art, produisant sa propre fréquence, entra en
résonance avec les turbulences du vent passant sous son tablier.
Ceux-ci furent tellement amplifiés que le pont commença à se
tortiller fortement de haut en bas pour finalement s'effondrer après
plusieurs heures de "danse" :
Notons
que, pour être complet, cette théorie de l'effondrement du pont
n'est pas totalement acceptée, mais elle permet de bien comprendre
le mécanisme, et donc la théorie de l'Institut de Potsdam concernant
la canicule de l'été 2003. Les
ondes de Rossby se comportent effectivement comme n'importe quel
phénomène ondulatoire, y compris donc dans la circulation générale
de l'atmosphère. Ici même, l'onde 7 de Rossby, située sur l'Europe
Occidentale, fut continuellement amplifiée par la résonance avec
les vents méridionaux, ce qui donna cette forte anomalie
anticyclonique sur nos régions. Cet apport continuel de chaleur
maghrébine constitua finalement son propre réservoir sur des pays
comme la France avec plus de 10 jours avec des températures à 40°.
Forçages
tropicaux et régimes de Cassou
Mais
ce n'est pas tout ! En effet, la résonance amplifia l'onde dans son
mouvement vers le Nord et sa stabilité sur l'Europe Occidentale,
mais d'autres événements durent se produire plus vers le Sud, donc
à la base, pour permettre ce puissant apport d'air tropical. Selon les travaux de Christophe Cassou et Laurent Terray du CNRS français,
il fallut un déplacement vers le Nord de la Zone de Convergence
Inter-Tropicale (ZCIT) avec la saison des pluies la 3° la plus humide dans le
Sahel depuis 1960. C'est toute la circulation générale de
l'atmosphère au niveau des Tropiques qui en fut translaté avec un
Equateur plus sec que la normale, comme l'indique cette image :
On
remarquera les zones en vert, plus
humides, et les zones en orange, plus sèches. Cette convection
tropicale déplacée produisit un assèchement des sols aussi bien
autour de l'Equateur que dans le Nord de l'Afrique, à la base de
l'advection tropicale vers l'Europe de l'Ouest. En effet, cette
sécheresse de l'air dégagea un surplus de chaleur dans l'Afrique
maghrébine, à la base d'un forçage tropical vers le Nord. Cassou
et Terray ont intégré dans un modèle couplé atmosphère-océan
les différents paramètres observés dans l'Afrique maghrébine et
sahélienne en 2003, comme la sécheresse du sol, le niveau de
convection, et la réflectivité issue des nuages convectifs, pour en
faire ressortir un impact sur les régimes de l'Atlantique Nord. La
conclusion est que le régime de « Atlantic ridge »,
haute pression océanique responsable de vents de Nord-Ouest frais
sur l'Europe, est moins présent de 54%. Par contre, les régimes de
« Atlantic Low », responsable de vent de Sud-Ouest
doux/chauds et humides, et de « Blocking », responsable
de vents de Sud à Est (très) chauds et secs s'en trouvent renforcés
de respectivement 50% en juin 2003 et 69% en août 2003. Le tableau suivant
résume bien les différents régimes observés en 2003 (et d'autres
étés chauds) :
En
effet, la sur-représentation de régimes chauds (« Atlantic
Low » et « Blocking ») permet d'expliquer
l'anomalie très chaude observée en France. Notons donc que le
régime « Atlantic Low » très persistent de juin 2003
permit le record dont nous avons parlé au début de l'article.
Celui-ci n'est pas le plus chaud en termes d'extrêmes, mais son
omniprésence maintint des températures élevées quasiment les 30
jours. Celui de « Blocking » fut plus présent en août
mais uniquement sur la première partie du mois, ce qui empêcha tout
record mensuel.
Conclusion
Au
final, le forçage tropical issu de conditions équatoriales
particulières couplé à une quasi-résonance de l'onde 7 de Rossby
avec les vents méridionaux permit une advection massive et
quasi-permanente d'air tropical depuis l'Afrique maghrébine vers
l'Europe de l'Ouest via des hautes pressions se développant à
l'avant d'une dépression atlantique. Celles-ci évoluèrent d'abord
depuis l'Espagne vers la France, avant de s'amplifier vers l'Europe
du Nord, entretenant un vent de plus en plus chaud et de plus en plus
sec. Le rééquilibrage se produisit en octobre, avec le déplacement
de la dépression vers le continent, ce qui eut pour conséquence
d'observer un mois d'octobre trop frais.
Ces
travaux particulièrement brillants et intéressants sont aussi la
preuve que la recherche scientifique avance à pas de géant dans la
compréhension de notre système climatique, que les nouveaux
super-calculateurs sont d'une puissante utilité, et que donc à
l'avenir on pourrait mieux appréhender le déplacement des grandes
masses d'air, des grands courants d'altitude, et donc des grands
cycles climatiques dans des régions données.
Cela
semble d'autant plus nécessaire que l'été 2003, extra-terrestre au
même titre que juillet 2006 pour l'Europe de l'Ouest, ou l'été
2010 pour la Russie, sont autant d'événements qui montrent que le
climat est perturbé. Bien que la discussion semble encore engagée
pour les causes premières de ces extrêmes, notre équipe est de
plus en plus convaincue qu'ils sont plutôt directement liés aux
changements climatiques observés maintenant depuis plusieurs
décennies. Dès lors, les déclarations de scientifiques au sortir
de cet été 2003 sur la « normalité de ce genre d'événements
à la fin du 21° siècle » ne nous paraissent pas exagérées
et ce mauvais souvenir ne serait alors que le miroir de notre futur.
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